News - 26.04.2020

Ahmed Guidara: Les finances locales tunisiennes face à la pandémie du corona virus

Guidara Ahmed : Les finances locales tunisiennes  face à la pandémie du corona virus

Le Contexte actuel de la pandémie

La pandémie  du coronavirus est déjà la cause d’une crise économique et sociale grave en Tunisie. Elle sera, certainement, suivie de problèmes cruciaux pour les finances publiques.

Les finances locales ne sont pas épargnées de ce fléau. On peut même prévoir des incidences plus profondes du corona virus à cause des nouvelles dépenses prises en charge par les communes depuis le déclenchement de cette pandémie ainsi que la dépendance d’une partie des ressources communales des dotations provenant de l’Etat.

On peut s’attendre à ce que ce processus s’accélère compte tenu des difficultés économiques et sociales considérables auxquelles l’Etat doit et devra faire face ainsi que des conséquences désastreuses sur les recettes publiques. Des pertes sont certes à prévoir, mais il reste difficile, pour l’heure, d’en mesurer l’impact.

Rappelons aussi que la décentralisation assortie d’une autonomie financière des collectivités locales investies dans le développement économique a longtemps été considérée dans de nombreux contextes étrangers comme une réponse à la crise économique mais aussi à celle des finances publiques. Elle permettait d’alléger les finances de l’Etat en le désengageant de certaines fonctions plus efficacement réalisées en vertu du principe de subsidiarité.

Impacts de la pandémie sur les finances locales

Quelques études récentes évoquent les impacts économiques du coronavirus sur l’économie et sur l’Etat sans pour autant évoquer les conséquences qui concernent les communes. D’ailleurs, les réflexions répandues depuis longtemps ont toujours été cloisonnées. Plus précisément, les  études et les analyses ne sont jamais parvenues à instituer un équilibre dynamique fondé sur des rapports clairs entre l’Etat central et les collectivités locales.

La connaissance des impacts de la pandémie sur les finances locales évoque souvent les agrégats permettant de les apprécier. En effet, les dépenses et recettes des collectivités locales peuvent être exprimées selon différentes comptabilités :

La comptabilité budgétaire retrace l'exécution des dépenses budgétaires, au moment où elles sont payées et l'exécution des recettes, au moment où elles sont encaissées.
La comptabilité générale recense les opérations prises en compte au titre de l’exercice auquel elles se rattachent par leur fait générateur, indépendamment de leur date de paiement ou d’encaissement.
La comptabilité nationale permet d’agréger et d’extraire les ratios utiles à la compréhension de l’économie nationale, à l’image du PIB. Elle permet également de calculer les capacités ou besoins de financement des collectivités en fonction du budget de l’Etat ou du PIB, exigence instituée par le traité de Maastricht pour les pays européens.

C’est en effet depuis près de 23 ans (date de promulgation du code de la fiscalité locale) que l’on peut constater un effritement de la fiscalité locale et une transformation progressive des impôts et taxes en des miettes. Cet ancien code autorisait plus de 80 recettes entre impôts, taxes et redevances mais seulement 5 parmi eux procurait à eux seuls 90 % des ressources propres.

Ainsi, en 2018, les finances locales ne représentent que moins de 3.5% des finances publiques. En 2018, les ressources propres de toutes les communes tunisiennes ont atteint une enveloppe de 700 millions dinars contre un transfert de l’Etat sous différentes formes de l’ordre de 338 millions, ce qui représente un taux d’autonomie de l’ordre de 67.5 %.

A l’instar des finances de l’Etat, les finances locales seraient mises à très rude épreuve notamment par les pertes de recettes fiscales et non fiscales auxquelles on doit s’attendre. Les mesures de confinement vont priver les communes tunisiennes de recettes liées à la facturation de concessions de services publics municipaux (marchés de bestiaux, marchés hebdomadaires,…), des redevances relatives à l’occupation du domaine municipal public ou privé (occupation temporaire de la voie publique, publicité…).

Les répercussions de la baisse d'activité économique sur les recettes fiscales pourraient être sévères essentiellement pour les communes dont la structure des recettes ordinaires est de faible diversification (communes se basant sur la taxe hôtelière, communes propriétaire de marchés hebdomadaire ou de bestiaux de forte affluence).

A cet effet, la suspension de l’activité économique des entreprises durant la période du confinement aura des impacts néfastes sur les impôts locaux comme l’exemple de la TCL représentant en 2018 un montant de 291 millions de dinars et représentant la première source de financement des collectivités en Tunisie, de même pour le cas de la TH procurant 22 millions de dinars ainsi que les marchés concédés contribuant par 67 millions de dinars.

On peut aussi s’inquiéter de la capacité de l’Etat à compenser les conséquences ainsi qu’à allouer des dotations équivalentes à ce qu’elles ont été jusqu’alors compte tenu des conséquences de la crise actuelle mais aussi de l’amplification des besoins auxquels il devra faire face tout cela conjugué avec une évasion fiscale internationale considérable venant s’ajouter à la baisse des principaux impôts (TVA, IS) liée à la baisse d’activités. Il est à rappeler que l’Etat a compensé les communes tunisiennes durant les premières années de la révolution tunisienne, ce qui a permis aux communes tunisiennes de garantir un niveau minimum de service et d’honorer les dépenses obligatoires (salaires, carburant, pièces de rechange,…).Le tableau suivant indique l’ enveloppe des dotations exceptionnelles fournies par l’Etat au communes tunisiennes durant la période 2011-2016 pour l’indemnisation des chutes de recette causée par la révolution.

Année 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
Dotations exceptionnelles - 112 93 74 38 33 34

La décentralisation en Tunisie: l’impératif d’achever les reformes entamées

Les collectivités locales doivent être en mesure de faire face aux défis de plus en plus lourds qui menacent les villes qui ne cessent de naitre. Il est indispensable qu’elles disposent de ressources autonomes. Or la fiscalité en est le dispositif par excellence.

Malgré l’avancement de l’arsenal juridique de la décentralisation en Tunisie, composé par le chapitre 7 de la constitution de 2014 et le code des collectivités locales promulgué par la loi organique n 29 du 9 mai 2018, les collectivités locales ne disposent pas de pouvoir fiscal,  en ce sens qu’elles n’ont pas les compétences leur permettant de créer des impôts propres, modulables et rentables, condition de leur liberté de choix ainsi que de leur rapidité et de leur souplesse d’action.

En terme de benchmark, il est à noter que l’article 9 de la Charte Européenne de l’Autonomie Locale reconnaît l’importance de ce principe en prévoyant que « les systèmes financiers sur lesquels reposent les ressources dont disposent les collectivités locales doivent être de nature suffisamment diversifiée et évolutive pour leur permettre de suivre, autant que possible dans la pratique, l’évolution réelle des coûts de l’exercice de leurs compétences ».

De ce qui précède, l’augmentation des transferts du budget d’Etat s’avère indispensable pour doter les collectivités des moyens nécessaires pour jouer leur rôle de première ligne contre la lutte contre la pandémie du Corona Virus.

Mis à part cette situation causée par le corona virus, une réflexion sérieuse doit être entamée pour augmenter les ressources propres des communes tunisiennes comme le prévoit l’article 131 du code des collectivités locales, qui stipule « L’Etat s’engage, à travers les lois de finances, les lois fiscales et les lois relatives aux biens, à ce que, progressivement, les ressources propres représentent la part déterminante des ressources de chaque collectivité locale. L’autorité centrale s’engage à apporter son concours aux collectivités locales pour atteindre l’équivalence entre les ressources et les dépenses.
sur la base de leurs besoins au financement. »

Ces transferts peuvent concerner dans un premier temps les recettes de l’Etat dont le fait générateur est déclenché sur le plan communal. On parle essentiellement des recettes suivantes:

Droits sur les mutations des biens immobiliers (284 millions en 2020).
Taxe de circulation sur les véhicules automobiles (263 millions en 2020).
Droits sur les Actes et Transactions (232 millions en 2020).

Ahmed Guidara
Expert en finances locales
 

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