Cyrine Chakroun : Le Milan et le Rossignol
Au beau milieu d’une pandémie planétaire qui provoque des milliers de morts, plus de la moitié de la population mondiale est confinée. Alors que la nature semble reprendre ses droits, l’humanité lutte pour sortir de cette crise globale. Tous les corps de métier du domaine scientifique sont mobilisés : les chercheurs qui effectuent toutes sortes d’expériences pour trouver un remède, les médecins et les paramédicaux, tous sont en première ligne pour venir en aide aux personnes contaminées et protéger les autres. Mais à l’heure où la science détient un pouvoir de plus en plus important sur notre présent et sur notre avenir, qu’en est-il de la culture, des arts, de la littérature ?
Parler de l’épanouissement culturel à un moment tragique, où la mort s’acharne à frapper à toutes les portes, peut paraître absurde. Jean de La Fontaine le mettait déjà en évidence dans sa fable « Le Milan et le Rossignol » : un oiseau de chasse rencontre sur sa route un malheureux rossignol qui lui propose de le divertir au moyen de chants et de récits. Mais le Milan, insensible au charme des contes et au pouvoir de la musique répond par ces propos, désormais proverbiaux : « Ventre affamé n’a point d’oreilles ». Cette maxime n’aura jamais été aussi véridique qu’en ce temps de crise globale. Tandis que beaucoup de personnes dans le monde souffrent du manque d’hygiène, d’aliments et de médicaments, situation devenue insoutenable en cette période où la santé de tous est mise en danger, d’autres bénéficient d’une expérience culturelle extraordinaire. C’est que la culture n’a jamais été aussi importante qu’en ce temps de confinement. Ce qui lui donne un surcroît d’importance, c’est la prolifération, grâce au numérique, des facilités d’accès aux médias, à l’art, à la littérature, aux espaces culturels dans la diversité de leurs thèmes et de leurs supports.
Le Coronavirus a transformé notre rapport à la culture. La fermeture pour des mesures de sécurité de salles de cinéma, de théâtres, de conservatoires, de bibliothèques, de librairies, de musées… n’a pas conduit au refoulement de nos besoins culturels, ne nous a pas condamnés à la frustration de notre appétence culturelle.
J’appartiens à cette génération Z qui représente aujourd’hui un tiers du nombre d’habitants sur la planète. Toute ma vie a été bercée par la navigation sur le web. Je vois qu’en temps de Corona, la technologie devient plus créative et plus inventive que jamais. L’être humain se retrouve alors incapable de tout suivre et d’être à jour sur tout ce que la toile propose à son intelligence. Nous avons désormais un libre accès à une quantité innombrable de ressources culturelles et nous nous trouvons pris dans un tourbillon culturel prodigieux.
Ma conviction est que la pandémie nous a permis de comprendre que la culture joue un rôle grandissant, qui va au-delà du simple divertissement. Le virus menace notre vie de manière immédiate, soudaine et brusque. Il la transforme sans retour à la normale. Un nouvel ordre se prépare où le numérique occupera la première place dans tous les secteurs. La culture en tirera le meilleur bénéfice. Jour après jour, la toile nous submerge de livres qui n’attendent que d’être lus, d’expositions virtuelles qui n’attendent que d’être visitées, de podcasts qui n’attendent que d’être écoutés, de films et de spectacles qui n’attendent que d’être regardés. La culture s’avère indispensable à notre survie. Elle conforte notre résistance au chaos dans lequel nous plonge une crise d’une ampleur jamais vue.
Je dirai que le confinement n’a pas que de mauvais côtés. N’a-t-il pas stimulé en chacun de nous notre potentiel de créativité, notre intelligence d’adaptation par l’innovation ?
Ainsi, en cette période de confinement, on relève un paradoxe : nous sommes privés de sorties culturelles, mais nous avons la possibilité de profiter autant, voire mieux, du monde culturel. Cela est certainement dû au fait que nous avons plus de temps libre, que nous sommes plus disponibles, que nous disposons de plus de canaux et de réseaux de transmission culturelle.
Rappelons-nous alors que la valeur de tout individu ne dépend pas de la fortune qu'il peut posséder. Non pas de la matière, mais de ce qui est moral et intellectuel : son intelligence, son savoir, son savoir-faire et son savoir-être face à l’inconnu et à l’invisible.
C’est ainsi qu’en cette période qui est morose pour nous tous, le temps est précieux. Mais, une fois que l’on sortira du confinement et que l’on reprendra la course contre la montre de notre quotidien, la proximité que nous avons acquise avec la culture restera-t-elle la même, ou sera-t-elle affectée… pour sombrer dans le néant ?
Cyrine Chakroun
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