News - 12.04.2020

Afef Hammami Marrakchi: Pouvoir local et sanctions administratives

Afef Hammami Marrakchi: Pouvoir local et sanctions administratives

La publication au dernier numéro du journal officiel des collectivités locales de l’arrêté, à caractère règlementaire du maire de l’Ariana n°1 en date du 30 mars 2020, attire l’attention.

En effet, au milieu de cette nébuleuse causée par la propagation du virus Covid 19 et face à la prolifération de décisions qui se superposent entre le pouvoir central et le pouvoir local, voici enfin un maire, en l’occurrence le Doyen Fadhel Moussa, qui use pleinement des pouvoirs qui lui sont reconnus par la Constitution et le Code des Collectivités Locales dans cadre du respect de l’unité de l’Etat.

Par cet arrêté à caractère réglementaire «relatif à la lutte contre la propagation du virus corona 19», le maire regroupe dans un seul texte composé de 23 articles l’ensemble des dispositions jusque-là éparses adoptées au niveau de la commune de l’Ariana en les adaptant à l’évolution de la situation sanitaire locale.

Au-delà de l’intérêt juridique que cet arrêté suscite et qui s’inscrit au cœur des pouvoirs reconnus au maire, en sa qualité traditionnelle de pouvoir règlementaire général, c’est l’aspect relatif aux sanctions prévues dans ce texte qui interpelle.  

D’ailleurs, la question a été souvent posée sur plusieurs plateaux de télévisions concernant la possibilité pour les organes de la commune (le maire ou le conseil municipal en l’occurrence) d’instituer des sanctions administratives en cas de violations par les habitants locaux d’une réglementation sanitaire? Au-delà de la réponse positive à cette question, c’est aux conditions de légalité encadrant l’édiction de tels arrêtés qu’il faudrait également s’intéresser.

De la compétence du pouvoir local à instituer une sanction administrative  

Une première précision mérite d’être apportée au préalable. Quelle est la différence entre une sanction administrative et une sanction pénale? 

La sanction administrative est la punition qu’une autorité administrative (ministre, gouverneur, maire) inflige en cas de violation de la loi ou d’un règlement (décret gouvernemental, arrêté ministériel, arrêté municipal ……). 

Si nous nous arrêtons au niveau local, le droit tunisien prévoit diverses sanctions administratives qui peuvent prendre plusieurs formes: il peut s’agir   de la saisine de matériaux de construction  par exemple en cas de construction en infraction à un permis de construire (art 80 du Code de l’Aménagement du Territoire et de l‘urbanisme),  ou encore d’un arrêté de démolition (article 84 du Code de l’Aménagement du Territoire et de l‘urbanisme et article 259 du Code des collectivités locales) ou même de la fermeture provisoire d’un commerce qui ne respecte pas les conditions d’hygiène (article 10 dernier paragraphe de la loi n°2016-30 du 5 avril 2016 modifiant la loi n°2006 -59 du 14 août 2006 relative à l’infraction aux règlements d’hygiène dans les zones relevant des collectivités locales)(1).

La sanction administrative peut prendre aussi la forme d’une amende administrative. C’est ce que prévoit la loi de 2016 précitée. D’ailleurs, l’arrêté du maire de l’Ariana a fait référence dans ses visas à la dite loi et a institué une amende administrative en cas d’installation anarchique(2).

A ce niveau, il faudrait distinguer l’amende administrative de l’amende pénale qui est la sanction pénale décidée par le juge pénal en cas de violation d’une disposition préétablie par la loi.

La sanction pénale comme le délit (l’infraction: contravention, délit, crime) obéit au principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines c’est-à-dire seule la loi peut prévoir  l’incrimination et la sanction qui lui est applicable (article 65 de la constitution du 27 janvier 2014 ).

D’ailleurs, l’arrêté du maire de l’Ariana dispose à l’article 21 que «tout contrevenant aux dispositions de cet arrêté est passible des sanctions prévues à l’article 312 du code pénal». Dans ce cas, le maire fait constater l’infraction par un procès-verbal qu’il transmet au procureur de la République qui peut déclencher l’action publique et permettre, dans le cadre d’un procès, à un juge pénal de décider de la sanction pénale. Cet article dispose qu’ «Est puni de six mois d’emprisonnement et de cent vingt dinars d’amende , quiconque aura contrevenu aux interdictions et mesures de contrôle ordonnées en temps d’épidémie»(3).

De plus, l’arrêté du maire de l’Ariana ajoute à côté des sanctions pénales «les autres sanctions prévues par les lois spéciales», il s’agit donc également  des sanctions administratives prévues par des lois spéciales à l’instar de la loi de 2016 précitée. D’ailleurs le même acte fautif peut conduire aussi bien à une sanction pénale qu’à une sanction administrative.

Alors, qu’elle est l’autorité locale compétente pour édicter et infliger une amende administrative? 

D’après l’article 10 (bis) de la loi de 2016  précitée relative aux infractions aux règlements d’hygiène dans les zones relevant des collectivités locales «en cas de violation aux règlements spécifiques d’hygiène et de propreté publique fixés par arrêté de la collectivité locale, le président de la collectivité (le maire) peut infliger une amende administrative qui varie entre 300 D et 1000D».

De la lecture de cet article, on constate deux étapes distinctes.

La première étape: Qu’implique l’expression «violation aux règlements spécifiques d’hygiène et de propreté publique fixés par arrêté de la collectivité locale».

D’après l’article 26 du CCL, c’est le conseil municipal qui dispose d’une compétence de principe pour édicter dans le cadre de son pouvoir normatif et à travers une délibération, les règlements relatifs à la protection de l’hygiène et de la santé qu’impose la situation sanitaire.

Par ailleurs, et d’après l’article de 266 (alinéa 2) du CCL, c’est le maire qui adopte les règlements spéciaux relatifs à la protection de la santé, la sécurité et la tranquillité. C’est aussi le maire, par application de l’article 267 du CCL, qui adopte, dans le cadre de son pouvoir de police, les règlements sanitaires qui comportent d’après le même article les mesures prévenant les épidémies et les maladies transmissibles.

Cet arrêté comme tous les arrêtés à caractère réglementaire (c’est-à-dire à caractère général, obligatoire et s’imposant à toute la population locale) et qui peut comporter des interdictions spécifiques ainsi que des obligation particulières d’hygiène doit être publié au journal officiel des collectivités locales par application de l’article 45 du CCL(4).

La deuxième étape :Comment est infligée la sanction administrative? 

En cas de non respect des dispositions d’une réglementation municipale en matière d’hygiène ( tel que  l’article 14 de l’arrêté du maire de l’Ariana imposant aux  boulangeries de fournir  les produits nécessaires à l’hygiène et de prendre  les mesures de distanciation entre les clients par exemple ), la loi de 2016 dispose que  le maire inflige par arrêté  individuel à l’encontre du fautif une sanction administrative sous forme d’amende variant entre 300 et 1000D.A ce niveau, un certain nombre de remarques s’imposent concernent la légalité des arrêtés édités par le maire. 

Des conditions de la légalité des arrêtés adoptés par le maire

1 - La légalité de la règlementation municipale imposant des règles spéciales liées à la protection de la santé et de l’hygiène  

Si la collectivité locale dispose d’après l’article 25 du CCL d’un pouvoir réglementaire qu’elle exerce dans les limites de son espace, ce dernier est soumis à des limites.

La première est le respect des dispositions des lois et des règlements à caractère national. Il s’agit pour l’autorité locale de ne pas violer une disposition supérieure et c’est là où le principe de l’unité de l’Etat opère. La collectivité locale ne peut pas édicter une disposition enfreignant un texte supérieur.

Le pouvoir réglementaire local n’a pas un rang égal au pouvoir réglementaire national exercé par le chef de l’exécutif. Le pouvoir local est résiduel, subsidiaire et subordonné par rapport à la réglementation nationale(5).

Ici une remarque est à signaler: la circulaire n’est pas un texte supérieur, elle n’a normalement aucune valeur juridique et son rôle est simplement explicatif. D’ailleurs, il est étonnant de voir des arrêtés réglementaires publiés au journal officiel des collectivités locales qui se référent dans leurs visas à une circulaire du ministre des Affaires locales qui n’ont pourtant aucune place dans la hiérarchie des normes. 

Par contre, au regard du principe de la libre administration et au pouvoir réglementaire dont dispose la collectivité locale et le maire, un règlement peut contenir des mesures plus contraignantes que celles édictées au niveau central et qui permettraient d’assurer la santé publique de la population locale. Cette mesure locale doit être justifiée par les circonstances particulières à la commune au regard de la menace de l’épidémie (le nombre élevées des personnes atteintes par le virus par exemple). 

De plus, l’article 25 du CCL exige que la mesure municipale qui est limitative des libertés et des droits soit nécessaire. A ce titre, il faut rappeler que le principe est la liberté, sa restriction est l’exception. C’est pour cette raison que l’autorité administrative doit prouver qu’elle était dans l’obligation d’intervenir pour faire face au danger sanitaire. 

Donc le règlement ne doit intervenir qu’en cas de nécessité, de plus il doit se limiter à ce qui est nécessaire. C’est la proportionnalité. 

Le principe de proportionnalité concerne le contenu du règlement qui doit être proportionnel à l’objectif pour lequel il a été adopté .C’est-à-dire que le maire doit peser les avantages et les inconvénients de sa décision réglementaire, voir s’il peut prendre une décision moins attentatoire à la liberté et aux droits des citoyens. A défaut, les mesures édictées peut être considérées comme non proportionnelles et donc illégales et peut être attaquées devant le juge administratif.

Les principes de nécessité et de proportionnalité sont enracinés dans la justice administrative en matière de police locale et l’article 49 de la Constitution de 2014 est d’ailleurs venu les codifier.

A ce titre, le droit tunisien permet le recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté du maire ou la délibération du conseil municipal. De plus, l’article 278 du CCL apporte une nouveauté à cet égard en permettant au gouverneur territorialement compétent ou à toute personne ayant intérêt à agir de demander en urgence le sursis à exécution de ladite décision si elle met en péril une liberté. Le président du tribunal administratif de première instance peut accorder le sursis à exécution dans un délai de 5 jours.

Citons dans ce cadre, une récente actualité juridictionnelle administrative en France liée au corona virus où le juge administratif des référés en date du 9 avril 2020 a accordé un sursis à exécution de l’arrêté du maire de Sceaux imposant à ses habitants de se couvrir le nez et le visage lors de leurs déplacements. Le juge a considéré que l’arrêté du maire « est manifestement illégal puisqu’il restreint la liberté d’aller et de venir des habitants alors qu’il n’est justifié par aucune circonstance locale et que le maire pouvait assurer la sécurité des habitants par une mesure moins attentatoire aux libertés fondamentales ».

2 – La légalité de l’arrêté individuel du maire infligeant la sanction administrative

Il faut préalablement à l’adoption par le maire de l’arrêté infligeant  la sanction administrative que les agents chargés de dresser les procès-verbaux constatent l’infraction et transmettent le procès-verbal rempli en bonne et due forme au maire. 

Cette condition est essentielle sans laquelle il n’y a aucune preuve officielle de l’infraction. Le procès-verbal de constatation de l’infraction doit être établit par l’un des agents habilités à cet effet. Il s’agit essentiellement des agents de la  police de l’environnement mais aussi des différents agents chargés du contrôle  sanitaire et habilités à constater les violations des règlements municipaux(6).

Ensuite, le maire doit avant l’adoption de l’arrêté individuel infligeant la sanction convoquer le contrevenant au siège de la collectivité pour l’auditionner (pour lui permettre de se défendre). Il s’agit ici d’une formalité substantielle dont l’irrespect conduit à l’annulation de l’arrêté en cas de recours pour excès de pouvoir.  Cette formalité est liée au droit de la défense qui est un principe à valeur constitutionnelle.

Enfin, la décision d’infliger la sanction prend la forme d’un arrêté individuel (l’arrêté est pris à l’égard de Mr X de Madame Y) et doit être motivé. C’est-à-dire que le maire est dans l’obligation de justifier la sanction en expliquant clairement  les fondements de faits et de droit sur lesquels s’est basée sa décision.

La motivation des décisions est l’un des fondements de l’Etat de droit et découle de l’obligation constitutionnelle de transparence. Elle permet à la personne lésée par une décision de connaitre les raisons de la décision et de se défendre le cas échéant.

Au final, la sanction est la condition de l’effectivité de la norme y compris locale, il est donc normal que les autorités locales use de leur fonction répressive pour imposer le respect de la réglementation municipale particulièrement en cette période de crise sanitaire sans précédent compte tenu des possibilités que leur offre le droit en vigueur et qui ne sont pas jusque- là toujours exploitées.

(1)Un arrêté municipal récent mérite d’être cité, il s’agit de l’arrêté de la mairesse de la commune de Gremda (gouvernorat de Sfax) en date du 8 avril 2020 infligeant la fermeture d’un commerce pour la violation des prescriptions sanitaires.

(2)Voir article 3 dudit l’arrêté

(3)D’ailleurs cet arrêté aurait pu faire référence aussi à l’article 315 du code pénal qui dispose «sont punis de quinze jours d’emprisonnement et de quatre dinars huit cent minimes d’amende ceux qui ne se conforment pas aux prescriptions des règlements et arrêtés pris par l’autorité compétente».

(4)D’après le même article, l’arrêté entre en vigueur et produits ses effets juridiques 5 jours après son dépôt au JO et devient ainsi opposable à l’égard de ses destinataires Il faut préciser que le conseil municipal peut par une majorité  des 3/5 ème  décider l’entrée en vigueur immédiate ( dés son adoption ) d’un règlement ) lorsque l’urgence l’impose , la crise du Covid constitue une situation d’urgence Il suffit d’afficher l’arrêté, de le déposer chez le gouverneur , d’en informer la population par tout moyen disponible puis il sera publié au journal officiel ( article 276 alinéa 2 du CCL).

(5)Le Conseil constitutionnel français exige que le pouvoir règlementaire local respecte le pouvoir réglementaire de droit commun, que  la constitution attribue au Chef de l’exécutif.

(6)Article 257 du CCL.

Afef Hammami Marrakchi

Maître de Conférences agrégée en droit Faculté de droit de Sfax

 

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