News - 12.04.2020

Monji Ben Raies: des personnes qui embrassent avec le regard!

Monji Ben Raies : des personnes qui embrassent avec le regard!

Je vous parlerai d’une guerre particulière, une guerre qui n’a pas de front, une guerre sans fumées et sans feux, sinon celui des funérariums, une guerre silencieuse et feutrée, une guerre qui meurtrit les sociétés de l’intérieur et abat les civilisations. L’empire romain en a été victime lorsque s’est abattu sur lui le fléau de la peste de Justinien. La nature use parfois de ces armes que l’homme ne possèdera jamais dans son potentiel de destruction. Face à cette adversité, il est des personnes qui s’y opposent et se dévouent à sauver et sauvegarder ce qui peut l’être, sans rien demander, sans s’épargner, sans peur de la mort, tandis que les maîtres se terrent dans leur tour d’ivoire, se bornant à ordonner ou se murant dans un mutisme éloquent racontant leur impuissance et leur couardise. Les plus grands échecs résident parfois dans l’atteinte des objectifs en ayant perdu tout sens de la grandeur de ce que l’on poursuit, dans le fait de ne pas savoir baisser sa vitre pour ressentir et voir ce qu’il se passe pendant que vous êtes en train de rouler.

L’épidémie qui sévit a transformé les personnes et mis un masque sur les visages pour les reléguer dans l’anonymat, mais qu’importe... Pourtant il en est qui en sortent et se portent en première ligne ; certaines personnes embrassent avec le regard. Ces personnes sans rien dire, et lorsque tout est silencieux, sont capables d’accompagner nos moments les plus difficiles, de soulager la souffrance et faire oublier la peur. Elles sont celles qui, grâce à la lueur présente dans leur regard, transmettent un flot d’émotions et nous aident à ramasser nos pièces cassées, sans rien exiger de nous, sans nous mettre une quelconque pression, uniquement en nous accompagnant. Ce sont des personnes foyer, des personnes magiques, des personnes qui se définissent par leur coeur, toutes « vêtues de probité candide et de lin blanc» (Victor Hugo, Booz endormi; extrait de la Légende des siècles, poème basé sur le récit biblique du livre de Ruth.); Des personnes expertes dans le réveil du calme, pour nous aider à voler, en pensée, à briller et à partager leur lumière. Elles sont amies de la bonté et de l’espoir, mais surtout de l’amour des autres. Les personnes qui embrassent avec le regard ne doivent pas uniquement être appréciées, mais admirées pour leur dévouement. Elles sont exemple à suivre et trésor le plus précieux de la société. La magie de ces individus réside dans leur facilité à transmettre la sérénité, pour inspirer et permettre aux autres de se rendre compte que chaque moment vécu avec eux est unique. Ils sont méticuleux, éduqués et ont un grand sens des responsabilités et du respect. Des personnes capables d’embrasser avec leur regard et expertes dans le langage des gestes sauveurs et des mots qui apparaissent toujours au moment adéquat. Elles ne prononcent jamais un mot de trop, et pourtant, jamais un mot ne manque, comme une graine qu’elles offriraient aux autres pour que, de celle-ci, se développe une belle fleur comme l’estime de soi ou la compassion, qui ne fleurit que si l’on prend soin de l’arroser et de s’en occuper. Leur magie est une capacité à obtenir des choses extraordinaires à partir de choses simples et avec humilité, sans dévoiler leur secret d’une sagesse intérieure. Leur stratégie est la maîtrise du silence pour régénérer les sentiments, recoudre les blessures et transmettre aux autres le comment faire. Mais elles soignent aussi les manques d’envie, les tristesses et les démotivations. Leur présence est comme un refuge, car elles sont la représentation d’un monde invisible de calme et de sécurité, de sensations liées par les fils de l’affect et apportent de la lumière dans les jours gris.

Les personnes qui embrassent avec le regard se distinguent par leur magie, et leur aura les identifie. Cette radiation de bonté qui brille et peut se ressentir les yeux fermés, du fait de son intensité profonde et de la vibration intérieure qu’elle provoque. Ces personnes sont spécialistes des journées où la joie est rare, que la motivation s’en est allée, et que la tristesse est devenue la patronne morale. Ces personnes ne promettent pas d’arc-en-ciel, ne forcent pas à être heureux; elles écoutent simplement, agissent et font se sentir écoutés, acceptés et compris. Elles font se sentir aimés. Les personnes qui embrassent avec le regard sont en connexion avec les autres. Ce sont des personnes qui illuminent l’obscurité, sans obliger à allumer une quelconque lumière, car elles savent que la traversée des jours gris est parfois nécessaire. Néanmoins, la lumière de ces individus est contagieuse et balise la voie; leur patience, leur capacité à redonner la liberté sont sans erreur. Ces personnes ont une sensibilité spéciale pour se connecter, pour générer de la confiance et pour s’intéresser aux autres. Il ne suffit que d’un regard vers leurs yeux pour s’en rendre compte. Elles sont de celles qui pensent qu’une fois reconstruite, la personne doit suivre son propre chemin. Les personnes qui embrassent avec le regard sont des personnes inoubliables. Le mieux que nous puissions faire est donc de prendre soin d’elles. Il faut leur accorder du temps et bien sûr valoriser ce qu’elles font pour nous. En effet, bien que leur affection à notre égard soit infinie, elles méritent d’en recevoir de notre part. Prenons soin de ceux qui prennent soin de nous, car ils le méritent et en ont besoin. De plus, c’est l’unique moyen de renforcer les liens inoubliables qui font de nous une population. Merci aux personnes bienveillantes. Merci aux personnes magiques qui se dévouent aux autres dans ce combat inégal auquel est confrontée notre société, aujourd’hui.

Les personnes qui embrassent avec le regard luttent au quotidien et ont des marques de sagesse dans le dos, même si cette dernière a surgi de situations que personne ne souhaiterait vivre. Les personnes qui luttent jour après jour ne brillent normalement pas par des «sprints» qui nous laissent abasourdis et entraînent de grandes ovations. Dans la majorité des cas, elles comptent sur leur envie et leur faculté de combattre, mais certaines circonstances peuvent faire que le chemin pour gagner quelque chose devienne difficile et long. Elles sont les filets invisibles qui soutiennent des personnes et qui les empêchent de se jeter dans le vide, parce qu’elles ont développé la capacité d’éviter et d’amortir les coups. Parfois, ces personnes ont dû se lever sans que quiconque leur tende la main et ont ressenti la douleur d’une manière brusque et sèche. Elles ne souhaitent pas que quelqu’un de leur entourage vive la même chose.

Les personnes qui embrassent avec le regard luttent au quotidien paraissent invisibles et vivent dans un monde grisâtre, mais en réalité elles créent la couleur autour d’elles à partir des ombres. Elles mènent des actions qui ne seront que très peu reconnues, mais peuvent véritablement profiter des effets que celles-ci entrainent.

Les personnes qui embrassent avec le regard luttent au quotidien, héroïnes et héros invisibles ; et si, contempler les réussites de grands génies nous emplit de joie, ce n’est rien comparé au bonheur que nous offre le soutien continu et ferme de tant de combattants anonymes. Nos ainés, ceux qui mettaient notre cartable sur notre dos pour le jour de la rentrée, comme s’ils attrapaient notre peur en même temps. Ces mères capables de réunir toute la famille autour d’une table parfaite, bien que

les relations entre les membres ne le soient pas. Capables de rassembler ce qui paraissait détruit et de soulager du poids des émotions négatives, quand elles nuisent à nos forces.

«Les faibles ne luttent pas. Les plus forts luttent peut-être une heure. Ceux qui sont encore plus forts luttent quelques années. Mais les plus forts de tous luttent toute leur vie: ceux-ci sont indispensables. » -Bertolt Brecht-

Des personnes capables d’ouvrir à nouveau leur coeur alors qu’il a été brisé mille fois. Ce sont ces opposants, assis avec le monde pour seule compagnie, chaque fois plus marqués par la fatigue et l’incertitude après des années d’études sans chercher de rémunération économique. Ce sont ces personnes au chevet des malades chroniques, qui luttent chaque jour pour garder un soupçon de santé qui leur permette de vivre avec dignité. Des personnes qui parlent à ceux souffrant de dépression, d’anxiété, qui ont un passé de maltraitance et d’abus et qui s’habillent et se chaussent chaque jour pour recomposer leur vie une nouvelle fois, lors d’une nouvelle journée, avec une nouvelle opportunité d’accumuler de l’oubli et de gagner de la force.

Ce sont encore des temps de lutte pour ce que l’on veut, ces temps de sens à donner à la vie. Traditionnellement, on lui donne le nom de « lutte », tandis que les personnes qui embrassent avec le regard l’appellent «dévouement». Cette volonté de placer son âme et ses forces à long terme dans ce qui est capable d’élever l’esprit rien qu’en y pensant. Jouer quand même, alors qu’elles savent que la partie sera longue et que, sur le chemin, elles devront négocier avec les possibilités et les probabilités. Et, encore plus grand est le fait de lutter quand même pour le devenir d’autrui, sans même voir de façon nette la ligne d’arrivée, en apprenant à connaître ces victimes qui jonchent le chemin.

Les moments qui ont un sens sont ceux qui nous poussent à continuer à placer notre temps, notre âme et nos espoirs dans la seule chose qui nous fait imaginer la vie que nous souhaitons vivre. À chaque pas effectué, nous aurons appris tellement de choses que nous saurons que les circonstances peuvent changer et que le destin à suivre peut se briser. Au cours de ces moments, nous réaliserons que vaincre une peur en prenant des risques aura été notre plus grand triomphe. «On ne guérit d’une souffrance qu’à condition de l’éprouver pleinement.» -Marcel Proust-

C’est pour toutes ces raisons qu’il est bon de reconnaître l’oeuvre des personnes qui luttent anonymement, au quotidien pour nous, ces personnes qui embrassent avec le regard. Nous ne devons pas tant nous focaliser sur le spectaculaire et les discours des personnalités clownesques, mais faire de notre parcours quelque chose d’exemplaire en soi. Être capable de le faire en étant ferme avec ce que nous souhaitons pour nous-même et pour les autres, car si l’on se place dans la bonne course, le prix ne se trouve jamais à la ligne d’arrivée, mais se multiplie à chaque pas comme autant de victoires.

Monji Ben Raies 

Universitaire, Juriste internationaliste,

Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,

Université de Tunis El Manar,

Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis

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