Beji Caïd Essebsi: comment nous avons réussi la réforme de l'administration régionale
Le 30 juin 1956, Béji Caïd Essebsi avait trente ans. Il effectuait l'une de ses premières missions à l'étranger, en l'occurrence à Genève. Membre du cabinet de Bourguiba, il faisait partie de la délégation tunisienne qui était chargée de présenter la candidature de notre pays à l'Organisation Internationale du Travail. A peine à t-il débarqué qu'il reçoit un message de Bourguiba qui se trouvait à Paris où il poursuivait ses entretiens avec le président du Conseil français. Dès qu'il l'a vu Bourguiba lui ordonna de rejoindre immédiatement le ministère de l'Intérieur auprès de Taïeb Mhiri. Intrigué, Béji Caïd Essebsi lui demande des éclaircissements. "C'est pour une mission qui ne dépassera pas les six mois" le rassure Bourguiba. Elle durera 14 ans, note Si Béji dans son livre autobiographique"Le bon grain et l'ivraie" paru en 2009 chez Sud Editions. Bonnes feuilles
Le 30 juin, je me trouvais à Genève dans la délégation chargée de présenter la candidature de la Tunisie à l’Organisation internationale du travail. Mohamed Chakroun, ministre du Travail, dirigeait la délégation à laquelle participaient Ferjani Bel Haj Ammar, représentant le Patronat, Ahmed Ben Salah et Béchir Bellagha, représentant les Syndicats, et d’autres experts. J’y représentais le Premier ministère. J’étais également convié, à ce titre, à accompagner Béchir Bellagha dans une démarche auprès de Farhat Abbas qui était alors réfugié à Berne, pour lui transmettre une lettre personnelle du Président Bourguiba. Farhat Abbas, qui était en compagnie d’Ahmed Francis, nous reçoit chaleureusement Béchir Bellagha et moi-même. Après avoir lu attentivement la lettre, il me charge d’assurer le Président Bourguiba qu’il était décidé à se rendre à Tunis et à s’y installer. Je déduis de son message que Bourguiba l’invitait à s’installer en Tunisie et à se joindre à la direction politique de la résistance algérienne. Trois ans plus tard, le 28 janvier 1959, le Président Bourguiba adressera à Messali Hadj une lettre dans le même esprit.
Avant que je ne quitte Genève, je reçois le message que le Président Bourguiba me réclame à Paris où il poursuit des entretiens avec le Président du Conseil Guy Mollet sur la question de la défense. Je m’envole pour Paris où je remets les pieds pour la première fois depuis mon départ précipité en juillet 1952. Dès qu’il me voit, Bourguiba m’interpelle : «Qu’est-ce que tu fais ici ?
- Vous m’avez fait appeler, lui dis-je.
- Tu vas rejoindre directement le ministère de l’Intérieur auprès de Taïeb Mehiri.
- Pourquoi donc, suis-je de trop dans votre Cabinet ?
- Tu es désigné pour une mission très importante, nous venons de faire une révolution, il faut la mener à son terme.» Il s’agissait du décret du 21 juin 1956 qui réorganise l’Administration régionale – l’ancienne «section d’Etat» – et qui institue le système des gouvernorats. J’ai protesté pour ce transfert, mais le Président me rassure : «C’est une mission de six mois.» Je ne pouvais soupçonner qu’elle durerait quatorze ans.
Un gros travailleur
Au ministère de l’Intérieur, Taïeb Mehiri était assisté par Ismaïl Zouiten, Directeur de la Sûreté, Driss Guiga, Directeur de l’Administration régionale et communale, Mohamed Jeddi, chef du Cabinet, ainsi que Mohamed Gherab, chargé de mission, et Mahmoud Lafi, chargé des résistants. Je retrouvais ainsi Taïeb Mehiri et je découvrais ses qualités d’administrateur. Taïeb Mehiri était un gros travailleur et, autant que Bourguiba, avait le don de communiquer le sens de l’Etat. C’était une chance de le côtoyer et d’apprendre à son contact. Sa position au Parti, dont il était le Secrétaire Général Adjoint, le rangeait parmi les plus puissants de la hiérarchie politique. Une activité intense nous accaparait dans nos bureaux et dans nos nombreux déplacements à l’intérieur du pays. Nous surmontions la crise yousséfiste à la fois par un effort de persuasion et d’encadrement et par des mesures sécuritaires : l’Etat et le Parti jouaient leur rôle dans une partition parfaitement réglée.
L’Administration régionale
L'effet direct du régime de l’indépendance sur l’Administration régionale était la suppression des contrôles civils. Les contrôleurs civils, hauts fonctionnaires ou officiers français, relayaient les pouvoirs du Résident Général à l’échelle des régions et exerçaient de ce fait le pouvoir réel au détriment des Caïds qui, de leur côté, représentaient le pouvoir du Bey à travers son Premier ministre et le ministre de l’Intérieur. Les caïds étaient à la fois administrateurs et juges, au civil pour les actions personnelles et mobilières atteignant un certain degré et, au pénal, pour les contraventions de simple police. Ils sont par ailleurs chargés de recouvrer les impôts directs par l’intermédiaire des Cheikhs, qui sont leurs délégués dans les subdivisions territoriales. Le corps caïdal, à l’image de l’Administration archaïque du pays, était largement discrédité. La réforme consistait à regrouper les circonscriptions administratives et à accroître l’autorité des représentants du pouvoir central, tout en modernisant leur statut et en redéfinissant leurs attributions : les services financiers de l’Etat et les pouvoirs judiciaires reviennent dorénavant aux prérogatives respectives des Finances et de la Magistrature.
La nouvelle organisation instituait 13 gouvernorats en remplacement des 34 caïdats. Les nouveaux gouverneurs sont assistés au siège même par un Secrétaire Général et deux Délégués et, dans les subdivisions territoriales, par des Délégués placés sous leur autorité directe. Seul représentant du Gouvernement, le Gouverneur assure, sous l’autorité des ministres compétents, la coordination, l’orientation et la surveillance générale des fonctionnaires de l’Etat, ainsi que le contrôle administratif général dans sa circonscription. Le Gouverneur assure notamment le maintien de l’ordre et la tutelle des collectivités locales.
Les nouveaux gouverneurs étaient désignés parmi les présidents de fédération du Parti. Seuls deux anciens caïds étaient maintenus : Ahmed Zaouche, nommé gouverneur de Tunis, et Mohamed Mohsen, nommé à Sfax. Les gouvernorats du Sud étaient des postes sensibles parce que l’armement algérien qui transitait en partie par la Libye traversait toute une zone encore «territoire militaire» où plusieurs casernes de l’armée française constituaient de réelles menaces. Nous étions en conflit permanent avec l’armée française. Il arrive que la route principale traverse physiquement le périmètre des casernes de sorte que les véhicules sont soumis d’office à des contrôles par les militaires français pour pouvoir tout juste poursuivre leur route. Dans ces conditions, c’est parfois le gouverneur lui-même qui, se prévalant de son immunité, convoie les armes algériennes. C’était le cas de Mohamed Lahbib, gouverneur de Médenine.
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