Opinions - 19.03.2019

Abdelkader Maalej: Les trois changements majeurs de la Tunisie moderne

Abdelkader Maalej: Les trois changements majeurs de la Tunisie moderne

Dans le papier suivant, je voudrais être, en toute modestie, le témoin de mon époque riche du reste, en évènements. Né à la fin des années trente du vingtième siècle c'est-à-dire en pleine période coloniale, j’ai eu la chance, à l’instar de tant d’autres gens de vivre les  grands moments historiques que notre pays a traversés et les importants  évènements qui s’y sont   déroulés  depuis lors.

Le premier évènement: L’indépendance de la Tunisie

Le premier évènement que je ne saurais jamais oublier est l’indépendance de notre pays en en 1956. J’étais alors encore élève au  lycée de garçons de Sfax alias collège de garçons de Sfax. En tant que tels, nous les élèves, nous ne pouvions participer à la  lutte contre les colons d’une façon analogue à celle de nos ainés. Notre action se limitait aux manifestations  scolaires que nous organisions dans la cour du lycée car la rue nous était interdite et celui qui, parmi les élèves, se laissait attraper par la police était dare dare expulsé de tous les  lycées. Le surveillant général M Clément se mettait alors  à courir derrière nous pour nous faire entrer en classe et  nous empêcher de scander l’hymne national. Entrés en classe nous enchainions en organisant ce que nous appelions la classe morte. Certains de nos professeurs  presque tous  français n’y voyaient pas  d’inconvénient, alors que courroucés, d’autres nous imposaient de subir  les interrogations écrites.  Comme le dit l’adage classique à l’impossible nul n’est tenu et nous étions, par respect à nos professeurs obligés de nous incliner..

Au terme de négociations harassantes qui eurent  lieu entre les autorités françaises  et la  délégation tunisienne dirigée par le Premier ministre  d’antan Tahar Ben Ammar avec  la participation de Mohamed Masmoudi et Laziz Djellouli  l’indépendance  interne proposée par le Président de conseil français  fut  acceptée par Bourguiba qui y voyait  une étape vers l’indépendance totale. Mais cette politique  baptisée politique des étapes suivie par le président du Destour fut illico presto rejetée par le SG du parti Salah Ben  Youssef qui y voyait au contraire un pas en arrière. Soutenu par le leader égyptien Jamel Abdennacer, Ben Youssef entra, de ce fait, en conflit  contre Bourguiba Des tueries eurent lieu entre les deux camps et des morts furent enregistrés de part et d’autre. Heureusement le congrès du parti organisé à Sfax en 1955 avec le soutien  logistique de l’UGTT et en l’absence de Ben Youssef en fuite en Egypte vint au bon moment pour trancher  en faveur de Bputguiba rentré en triomphe de son exile le premier juin 1955. Bourguiba eut ainsi  finalement raison de son frère ennemi puisque l’indépendance totale ne tarda pas à venir. en effet,  l’indépendance obtenue par le Maroc aidant, celle, totale, de la Tunisie fut proclamée le 20 mars 1956. Une ambiance de liesse  régna  dans tout le pays et des cérémonies de joie furent organisées partout en Tunisie .Bourguiba1 ne perdit  pas son temps et s’attela immédiatement à la tâche en se fixant comme  premier objectif le développement économique du pays, ce qui n’était pas, bien sûr, facile à accomplir. Deux problèmes majeurs retenaient particulièrement l’attention de Bourguiba à savoir la situation désastreuse dans laquelle se trouvait  la femme tunisienne et l’enseignement en Tunisie. Bon an mal an Bourguiba fit promulguer le 13 aout 1956 la première loi de la Tunisie indépendante , le code du statut personnel qui octroya à la femme tunisienne ce que  certaines de ses sœurs du monde arabo- musulman et même dans certains pays développés n’ont pu obtenir jusqu’à ce jour. Pour ce qui était de l’enseignement Bourguiba, après une courte expérience avec Lamine Chebbi, désigna à la tête du ministère de l’enseignement l’un des meilleurs hommes du terrain à savoir le grand homme de lettres Mahmoud Messadi. Celui se mit sérieusement au travail et élabora un plan décennal qui conformément à la volonté de Bourguiba étendit l’enseignement à tout le pays et fit construire des écoles dans les coins les plus reculés  de la Tunisie. La modernisation du pays fut ainsi déclenchée

Le deuxième évènement: L’avènement de Ben Ali

Deux longues décennies furent bien exploitées par le premier président de la république tunisienne pour jeter les bases d’un Etat moderne et mettre en place une administration solide capable de faire face aux exigences du moment à l’instar de ce qui se trouvait dans les pays développés. Les choses allèrent de mieux en mieux au début du parcours, mais à mesure que le temps passait, le chef de l’Etat commençait à s’essouffler. La sénilité aidant, il commettait  de plus en plus de gaffes dont l'expérience collectiviste décidée par le puissant ministre Ahmed Ben Salah qui échoua lamentablement  et  n’était la révision économique entreprise par le Premier ministre Hédi Nouira dès  1969, le pays ne se  serait pas remis de nouveau  sur pied. En 1974, ce sera la signature avec Gadhafi de l’accord d’union mort né  avec la Libye et l’enclenchement e Mais  sur l’instigation  d’un membre influent de l’entourage  de Bourguiba un député fit avaler au parlement la proposition de designer Bourguiba Président à vie. La question de la succession commençait à obnubiler de plus en plus un entourage devenu pourri et ne pensant qu’à assouvir sa soif du pouvoir. Le président amoindri par la maladie et  la sénilité,  ses moments de lucidité devenaient  de plus en plus rares et au lendemain de l’échec cuisant de le l’expérience collectiviste les erreurs se multipliaient outre mesure et le chaos politique commençait à régner dans le pays. Le peuple finit par en avoir ras le bol et tout le monde espérait voir le Président abandonner le pouvoir. Mais c’était peine perdue  car le chef s’accrochait de plus en plus à son poste d'autant plus qu'il  était devenu Président à vie.

Le seul moyen possible de débarrasser le pays du dictateur, c’était le limogeage. Qui d’autre excepté  le premier ministre un militaire de carrière . pouvait réaliser l’exploit. Ahmed El Houni ex ministre de l’information au gouvernement de Gadhafi et par la suite, à Tunis et Londres fondateur du journal londonien El Arab qui était selon ses dires l’un de ceux qui avaient conseillé à Ben Ali de passer à l’action.  Ayant eu vent que le parti islamiste se préparait à perpétrer un coup d’Etat contre  le vieux chef d’Etat le 8 novembre 1987, et ayant été averti par la nièce de Bourguiba  Saïda Sassi, que ce dernier avait décidé de le limoger pour le remplacer par Mohamed Sayah, Ben Ali  prit les devants avec l’appui logistique de son compagnon d'armes et chef de la garde nationale, Habib Ammar et s'empara du pouvoir de manière pacifique en s'appuyant sur sur un certificat médical attestant l'incapacité de Bourguiba.

Au début il faut l’avouer la majorité du peuple poussa un soupir de soulagement et accepta le changement avec  allégresse car tout le monde pensait qu’il fallait  épargner au pays le chaos qui le menaçait. La déclaration du 7 novembre rédigée selon Jeune Afrique, par l’ex Premier ministre et concitoyen de Ben Ali, Hédi Baccouch fut bien accueillie par le peuple. Diffusée de bonne heure le 7 novembre 1987, la déclaration stipulait entre autres que les tunisiens avaient atteint un certain degré  de  maturité politique et par voie de conséquence ils méritaient d’avoir un gouvernement élu démocratiquement. Mais chasser le naturel il revient au galop. Installé confortablement au Palais de Carthage. Ben Ali  ne mit pas longtemps pour sortir ses griffes. Tout rusé qu’il était il permit de prime abord aux islamistes de fonder un parti politique et les autorisa à  prendre part aux élections législatives qui furent naturellement falsifiées comme au temps de Bourguiba au grand dam des islamistes.

L’opération servit  au président élu sans aucun concurrent de reconnaître tous les dirigeants islamistes et au bout de quelques mois  le  parti islamiste fut interdit et la quasi-totalité de ses dirigeants furent poursuivis et jetés en prison exceptés ceux qui avaient pu s’enfouir à l’étranger dont notamment le chef du parti Rached Ghannouchi qui avait été pourtant reçu au lendemain du 7 novembre par Ben Ali qui lui avait assuré que son parti avait droit de cité sur le chiquer politique tunisien. Ben Al ne pensant qu’ à consolider son  pouvoir, la situation du pays allait de mal en pis et devenait de plus en plus invivable; les familles Ben Ali et Trabelsi et  leurs parents et amis pillèrent le pays en accaparant la plupart de ses richesses et ne laissaient aux autres que les poussières. La corruption la malversation  et la dilapidation des deniers publiques  devenaient  monnaies courantes  et ravageaient le pays. Face à l a détérioration de la situation, le sud du pays et surtout le bassin minier commença à bouger et le soulèvement populaire ne se fit pas attendre. Les ouvriers du bassin minier passèrent à l’action et tout le reste du pays suivit. C’était le début de la fin du régime Ben Ali.

Le changement de 2011

L’agitation dans le pays  et surtout au sud   allait crescendo  et La situation devenait de plus en plus insoutenable depuis qu’un certain marchand de légumes ambulant nommé Mohamed  Bouazizi décida  le 17 décembre 2010  de mettre fin à ses jours en  brulant son corps après qu’une responsable municipale l’empêcha d’exercer son commerce en lui confisquant ses outils de travail. Après une période de complicité avec Ben Ali, l’UGTT rejoignit le mouvement populaire. Deux manifestations grandioses organisées sous le cap de l’organisation syndicale la première à Sfax le 12 janvier 2011 et la deuxième le 14 du même mois étaient déterminantes et décisives  et poussèrent Ben Ali à prendre la fuite vers l’Arabie Saoudite en compagnie des membres de sa famille. Les circonstances dans lesquelles eut lieu  cette fuite et notamment, qui avait poussé Ben Ali à quitter le pays ne sont pas encore très bien connues Ben Ali avait en fait  l’intention de retourner en Tunisie par le même avion qui l’emmena à Riadh , dit on,  mais parait il le commandant de bord avait reçu de la part d’un haut responsable de la sécurité présidentielle,  l’ordre de ne pas faire rapatrier le président déchu. Le président définitivement condamné à vivre en exile, que va-t-il se passer en Tunisie ? Comment va-t-on  régler le problème de la succession ? La Tunisie était elle devenue un pays réellement démocratique ? Etait ce vraiment le début d’un printemps arabe ? A ces questions et à tant d’autres  questions subsidiaires nous allons inchallah essayer des répondre dans un prochain article.

Abdelkader Maalej
Ecrivain et ancien communicateur

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