Abdelkader Maalej: Les trois changements majeurs de la Tunisie moderne
Dans le papier suivant, je voudrais être, en toute modestie, le témoin de mon époque riche du reste, en évènements. Né à la fin des années trente du vingtième siècle c'est-à-dire en pleine période coloniale, j’ai eu la chance, à l’instar de tant d’autres gens de vivre les grands moments historiques que notre pays a traversés et les importants évènements qui s’y sont déroulés depuis lors.
Le premier évènement: L’indépendance de la Tunisie
Le premier évènement que je ne saurais jamais oublier est l’indépendance de notre pays en en 1956. J’étais alors encore élève au lycée de garçons de Sfax alias collège de garçons de Sfax. En tant que tels, nous les élèves, nous ne pouvions participer à la lutte contre les colons d’une façon analogue à celle de nos ainés. Notre action se limitait aux manifestations scolaires que nous organisions dans la cour du lycée car la rue nous était interdite et celui qui, parmi les élèves, se laissait attraper par la police était dare dare expulsé de tous les lycées. Le surveillant général M Clément se mettait alors à courir derrière nous pour nous faire entrer en classe et nous empêcher de scander l’hymne national. Entrés en classe nous enchainions en organisant ce que nous appelions la classe morte. Certains de nos professeurs presque tous français n’y voyaient pas d’inconvénient, alors que courroucés, d’autres nous imposaient de subir les interrogations écrites. Comme le dit l’adage classique à l’impossible nul n’est tenu et nous étions, par respect à nos professeurs obligés de nous incliner..
Au terme de négociations harassantes qui eurent lieu entre les autorités françaises et la délégation tunisienne dirigée par le Premier ministre d’antan Tahar Ben Ammar avec la participation de Mohamed Masmoudi et Laziz Djellouli l’indépendance interne proposée par le Président de conseil français fut acceptée par Bourguiba qui y voyait une étape vers l’indépendance totale. Mais cette politique baptisée politique des étapes suivie par le président du Destour fut illico presto rejetée par le SG du parti Salah Ben Youssef qui y voyait au contraire un pas en arrière. Soutenu par le leader égyptien Jamel Abdennacer, Ben Youssef entra, de ce fait, en conflit contre Bourguiba Des tueries eurent lieu entre les deux camps et des morts furent enregistrés de part et d’autre. Heureusement le congrès du parti organisé à Sfax en 1955 avec le soutien logistique de l’UGTT et en l’absence de Ben Youssef en fuite en Egypte vint au bon moment pour trancher en faveur de Bputguiba rentré en triomphe de son exile le premier juin 1955. Bourguiba eut ainsi finalement raison de son frère ennemi puisque l’indépendance totale ne tarda pas à venir. en effet, l’indépendance obtenue par le Maroc aidant, celle, totale, de la Tunisie fut proclamée le 20 mars 1956. Une ambiance de liesse régna dans tout le pays et des cérémonies de joie furent organisées partout en Tunisie .Bourguiba1 ne perdit pas son temps et s’attela immédiatement à la tâche en se fixant comme premier objectif le développement économique du pays, ce qui n’était pas, bien sûr, facile à accomplir. Deux problèmes majeurs retenaient particulièrement l’attention de Bourguiba à savoir la situation désastreuse dans laquelle se trouvait la femme tunisienne et l’enseignement en Tunisie. Bon an mal an Bourguiba fit promulguer le 13 aout 1956 la première loi de la Tunisie indépendante , le code du statut personnel qui octroya à la femme tunisienne ce que certaines de ses sœurs du monde arabo- musulman et même dans certains pays développés n’ont pu obtenir jusqu’à ce jour. Pour ce qui était de l’enseignement Bourguiba, après une courte expérience avec Lamine Chebbi, désigna à la tête du ministère de l’enseignement l’un des meilleurs hommes du terrain à savoir le grand homme de lettres Mahmoud Messadi. Celui se mit sérieusement au travail et élabora un plan décennal qui conformément à la volonté de Bourguiba étendit l’enseignement à tout le pays et fit construire des écoles dans les coins les plus reculés de la Tunisie. La modernisation du pays fut ainsi déclenchée
Le deuxième évènement: L’avènement de Ben Ali
Deux longues décennies furent bien exploitées par le premier président de la république tunisienne pour jeter les bases d’un Etat moderne et mettre en place une administration solide capable de faire face aux exigences du moment à l’instar de ce qui se trouvait dans les pays développés. Les choses allèrent de mieux en mieux au début du parcours, mais à mesure que le temps passait, le chef de l’Etat commençait à s’essouffler. La sénilité aidant, il commettait de plus en plus de gaffes dont l'expérience collectiviste décidée par le puissant ministre Ahmed Ben Salah qui échoua lamentablement et n’était la révision économique entreprise par le Premier ministre Hédi Nouira dès 1969, le pays ne se serait pas remis de nouveau sur pied. En 1974, ce sera la signature avec Gadhafi de l’accord d’union mort né avec la Libye et l’enclenchement e Mais sur l’instigation d’un membre influent de l’entourage de Bourguiba un député fit avaler au parlement la proposition de designer Bourguiba Président à vie. La question de la succession commençait à obnubiler de plus en plus un entourage devenu pourri et ne pensant qu’à assouvir sa soif du pouvoir. Le président amoindri par la maladie et la sénilité, ses moments de lucidité devenaient de plus en plus rares et au lendemain de l’échec cuisant de le l’expérience collectiviste les erreurs se multipliaient outre mesure et le chaos politique commençait à régner dans le pays. Le peuple finit par en avoir ras le bol et tout le monde espérait voir le Président abandonner le pouvoir. Mais c’était peine perdue car le chef s’accrochait de plus en plus à son poste d'autant plus qu'il était devenu Président à vie.
Le seul moyen possible de débarrasser le pays du dictateur, c’était le limogeage. Qui d’autre excepté le premier ministre un militaire de carrière . pouvait réaliser l’exploit. Ahmed El Houni ex ministre de l’information au gouvernement de Gadhafi et par la suite, à Tunis et Londres fondateur du journal londonien El Arab qui était selon ses dires l’un de ceux qui avaient conseillé à Ben Ali de passer à l’action. Ayant eu vent que le parti islamiste se préparait à perpétrer un coup d’Etat contre le vieux chef d’Etat le 8 novembre 1987, et ayant été averti par la nièce de Bourguiba Saïda Sassi, que ce dernier avait décidé de le limoger pour le remplacer par Mohamed Sayah, Ben Ali prit les devants avec l’appui logistique de son compagnon d'armes et chef de la garde nationale, Habib Ammar et s'empara du pouvoir de manière pacifique en s'appuyant sur sur un certificat médical attestant l'incapacité de Bourguiba.
Au début il faut l’avouer la majorité du peuple poussa un soupir de soulagement et accepta le changement avec allégresse car tout le monde pensait qu’il fallait épargner au pays le chaos qui le menaçait. La déclaration du 7 novembre rédigée selon Jeune Afrique, par l’ex Premier ministre et concitoyen de Ben Ali, Hédi Baccouch fut bien accueillie par le peuple. Diffusée de bonne heure le 7 novembre 1987, la déclaration stipulait entre autres que les tunisiens avaient atteint un certain degré de maturité politique et par voie de conséquence ils méritaient d’avoir un gouvernement élu démocratiquement. Mais chasser le naturel il revient au galop. Installé confortablement au Palais de Carthage. Ben Ali ne mit pas longtemps pour sortir ses griffes. Tout rusé qu’il était il permit de prime abord aux islamistes de fonder un parti politique et les autorisa à prendre part aux élections législatives qui furent naturellement falsifiées comme au temps de Bourguiba au grand dam des islamistes.
L’opération servit au président élu sans aucun concurrent de reconnaître tous les dirigeants islamistes et au bout de quelques mois le parti islamiste fut interdit et la quasi-totalité de ses dirigeants furent poursuivis et jetés en prison exceptés ceux qui avaient pu s’enfouir à l’étranger dont notamment le chef du parti Rached Ghannouchi qui avait été pourtant reçu au lendemain du 7 novembre par Ben Ali qui lui avait assuré que son parti avait droit de cité sur le chiquer politique tunisien. Ben Al ne pensant qu’ à consolider son pouvoir, la situation du pays allait de mal en pis et devenait de plus en plus invivable; les familles Ben Ali et Trabelsi et leurs parents et amis pillèrent le pays en accaparant la plupart de ses richesses et ne laissaient aux autres que les poussières. La corruption la malversation et la dilapidation des deniers publiques devenaient monnaies courantes et ravageaient le pays. Face à l a détérioration de la situation, le sud du pays et surtout le bassin minier commença à bouger et le soulèvement populaire ne se fit pas attendre. Les ouvriers du bassin minier passèrent à l’action et tout le reste du pays suivit. C’était le début de la fin du régime Ben Ali.
Le changement de 2011
L’agitation dans le pays et surtout au sud allait crescendo et La situation devenait de plus en plus insoutenable depuis qu’un certain marchand de légumes ambulant nommé Mohamed Bouazizi décida le 17 décembre 2010 de mettre fin à ses jours en brulant son corps après qu’une responsable municipale l’empêcha d’exercer son commerce en lui confisquant ses outils de travail. Après une période de complicité avec Ben Ali, l’UGTT rejoignit le mouvement populaire. Deux manifestations grandioses organisées sous le cap de l’organisation syndicale la première à Sfax le 12 janvier 2011 et la deuxième le 14 du même mois étaient déterminantes et décisives et poussèrent Ben Ali à prendre la fuite vers l’Arabie Saoudite en compagnie des membres de sa famille. Les circonstances dans lesquelles eut lieu cette fuite et notamment, qui avait poussé Ben Ali à quitter le pays ne sont pas encore très bien connues Ben Ali avait en fait l’intention de retourner en Tunisie par le même avion qui l’emmena à Riadh , dit on, mais parait il le commandant de bord avait reçu de la part d’un haut responsable de la sécurité présidentielle, l’ordre de ne pas faire rapatrier le président déchu. Le président définitivement condamné à vivre en exile, que va-t-il se passer en Tunisie ? Comment va-t-on régler le problème de la succession ? La Tunisie était elle devenue un pays réellement démocratique ? Etait ce vraiment le début d’un printemps arabe ? A ces questions et à tant d’autres questions subsidiaires nous allons inchallah essayer des répondre dans un prochain article.
Abdelkader Maalej
Ecrivain et ancien communicateur
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