2019, L’Afrique, … le plus morcelé de tous les continents.
Nous avons tout faux ; nous croyons que pour prendre le contrôle de notre vie, nous devons réaliser quelque chose d’extraordinaire. Nous croyons que nous devons tout régler ; mais les mystères du monde doivent être appréciés plus que résolus. Et nous ne sommes que l’un de leurs protecteurs. Nous ne savons pas ce que nous réserve l’avenir, mais quelle que soit l’aventure qui nous attend, nous devons nous mettre au travail.
Le réflexe au regroupement semble avoir toujours été l’instinct qui garantit aux individus et aux groupes la survie et la maîtrise de leur destin. C’est ce que Jean-Jacques Rousseau appelait le contrat social. Toutefois, si l’on s’interroge sur le fondement d’une intégration africaine réussie, la réponse à cette question semble beaucoup moins évidente. Un simple regard sur le niveau d’intégration des pays, à l’échelle continentale et même régionale, est un sentiment de grande déception et de profonde amertume. En effet, il existe un fort décalage entre le nombre exagéré d’organisations continentales, régionales et sous-régionales en charge de l’intégration, et les résultats obtenus. Quelques 200 organisations africaines travaillent à intégrer les États sur les plans politique, économique, culturel, judiciaire, éducationnel, etc. pourtant, à ce jour, le niveau d’intégration du continent, comparé à celui d’autres espaces intégrés (Union Européenne, ALENA) est très faible, largement en deçà de celui escompté. Malgré et peut-être aussi à cause de cette pléthore d’organisations, les résultats se font encore attendre. Certes, l’établissement de communautés d’intégration peut prendre beaucoup de temps comme ce fut le cas en Europe, mais le bilan, à ce stade, est tout de même inquiétant. Sur le plan économique, les pays africains, bien qu’ayant, par leur appartenance aux communautés économiques régionales, souscrit à des mécanismes et à des traités relatifs à la libéralisation du commerce, n’ont ni intégré leurs marchés, ni mis en place de véritables zones de libre-échange, ni même constitué des unions douanières. Ces lacunes ont des répercussions négatives sur la création et l’expansion des échanges, notamment sur les flux commerciaux intra-communautaires et intra-africains. Conséquence de cette situation, le commerce africain continu de privilégier les partenaires commerciaux extérieurs au continent, notamment européens. Sur le plan industriel, à cause de la faiblesse des relations intersectorielles et de l’étroitesse de la gamme de produits échangés entre pays africains, la coopération dans les communautés économiques est faible et n’a eu qu’une incidence négligeable sur la croissance de la production, de la productivité, de la compétitivité et de la valeur ajoutée. Sur le plan monétaire et financier, on note que les marchés régionaux financiers ne sont pas encore assez développés. Par ailleurs, la diversité de ces monnaies nationales, paradoxalement inconvertibles en Afrique, rend difficiles les échanges, les investissements transfrontaliers et l’activité économique en général. Au niveau de la coopération judiciaire, on constate des réticences des juridictions nationales à l’égard des normes communautaires africaines et une collaboration limitée entre les juridictions nationales et les juridictions communautaires qui s’expliquent par les difficultés d’accès à la législation communautaire. Il faut ajouter à ce tableau déjà sombre, les conflits de compétence entre les hautes juridictions communautaires, essentiellement dus à l’absence de hiérarchie et de passerelles entre ces instances. Ces lacunes sont autant de symptômes montrant qu’il y a un malaise dans l’intégration africaine, malaise dont le motif le plus profond est le fait d’avoir confié, en grande partie, l’intégration continentale, aux dirigeants politiques du continent.
Forte de l’émergence de dynamiques d’intégration à l’échelle mondiale, le mouvement d’intégration en Afrique avait provoqué, dès le début des années 1980, l’émergence de programmes d’envergure
continentale. Ces idées diffusées très tôt en Afrique, ont entraîné des initiatives et l’élaboration de plans prometteurs, mais qui n’ont pas connu le sort qu’ils méritaient. D’abord, le Plan d’action de Lagos pour le développement de l’Afrique: 1980-2000, le Programme prioritaire de redressement économique en Afrique (PPREA), adopté en 1985, le traité d’Abuja (Nigéria), sur la Communauté économique africaine (CEA) datant de 1991. Ces trois projets, certes différents, étaient pourtant interdépendants et les premiers jalons d’une unité future, avec un horizon fixé à 2025, en prônant la mobilisation des ressources sur le plan continental et la coordination et l’harmonisation des politiques économiques entre pays africains, et réaliser concrètement en quelque sorte, certains des objectifs tracés lors de l’adoption du plan d’action de Lagos, 10 ans plus tôt. Mais jusqu’à nos jours, après l’adoption du plan d’Abuja (1991), rien ne permet de conclure que la mise en œuvre d’un marché commun continental soit en passe de se concrétiser à l’horizon 2025. Ensuite, des initiatives internationales concurrentes, notamment celle de la Banque mondiale, sont venues contrarier et contredire le Plan d’action de Lagos, et ont considérablement contribué à rendre caducs les plans d’unité des Etats africains. Finalement, la vision de la Banque Mondiale a ouvert l’ère des politiques d’ajustement structurel (PAS), qui ont fini de balayer presque l’ensemble des initiatives d’unification du continent, entre 1983 et 1999.
Fragilité de l’intégration par les dirigeants politiques.
L’intégration par les dirigeants politiques (‘‘intégration par le haut’’), consiste à confier les rênes de l’intégration à la classe politique, dirigeants politiques, leaders d’opinions, comme les acteurs privilégiés. La physique aristotélicienne distinguait, dans l’évolution de la nature, quatre causes: la matière, ce dont la chose est faite ; la forme, le principe d’organisation de la matière; la cause efficiente, l’être qui réalise la forme et la cause finale, ce en vue de quoi la chose est faite. Cette lecture peut s’appliquer à ‘‘l’intégration par le haut’’: La matière est la kyrielle d’États, hérités de la colonisation, et une mosaïque de cultures africaines, témoin d’un passé brillant et qui augure d’un avenir prometteur ; la forme, l’ensemble des structures et organismes visant l’intégration du continent ; la cause efficiente, les dirigeants politiques et les leaders d’opinions; la cause finale l’intégration africaine. Dans l’optique d’une union, des dissensions, toutes choses qui remettent en cause l’idée d’une intégration, ne sont pas à exclure entre les chefs d’États africains. La raison réside dans le fait que chaque dirigeant africain est, au sens où l’entend Machiavel, un prince, c’est-à-dire un souverain qui exerce un pouvoir patrimonial réel et qui tient à conserver ce pouvoir. Dans ces conditions, céder une partie de la souveraineté nationale, comme cela est inévitable dans tout regroupement d’États, est difficile à accepter. Ces réticences, qui sont en fait des ‘‘résistances’’, au sens freudien de refus obstiné d’admettre une vérité pourtant établie, indiquent que la classe politique africaine n’est pas, un fondement sûr pour l’intégration du continent. Les rapports entre chefs d’États en Afrique, à quelques exceptions près, ressemblent à celles qui prévalent entre deux consciences dans la dialectique du maître et de l’esclave. Derrière les sourires affichés lors des sommets et autres rencontres, derrière les poignées de mains échangés devant les caméras, existent des rivalités tenaces. Si chez Hegel le conflit fait place à une situation de paix, les rivalités entre dirigeants politiques en Afrique s’estompent rarement et ont même tendance à se multiplier. Cela se perçoit à travers la recrudescence des conflits armés. Tantôt c’est la différence de langue qui constitue la pomme de discorde, chaque grand groupe linguistique, francophones, anglophones, lusophones se constituant en lobby ; tantôt encore ce sont des problèmes personnels qui attisent le vent du ressentiment entre dirigeants politiques et affaiblissent les efforts collectifs déployés en vue de l’objectif commun qu’est l’Union africaine. De plus, ils jettent le flou sur les objectifs d’intégration et suscitent une concurrence nuisible entre les pays et les institutions. Si l’on ajoute les coups d’États, récurrents en Afrique, on comprend que la classe politique africaine ne semble pas en mesure de servir de trame crédible à l’intégration du continent. Tels sont les écueils qui ne militent pas en
faveur d’une intégration par le haut. On serait tenté, à ce niveau de la réflexion, de proposer une ‘‘intégration par le bas’’, mais là également les difficultés ne manquent pas.
L’intégration par le bas: une impasse.
Elle vise à fonder l’intégration sur les peuples, et sortir le débat sur l’unité africaine des palais présidentiels et autres salons pour l’amener dans la rue, au niveau de la société civile, dorénavant actrice, et non plus simple spectatrice. L’intégration par le bas part du principe selon lequel les peuples africains, au cours de l’histoire, ont tissé des relations qui transcendent les frontières héritées de la colonisation et qui précèdent la naissance des différents États-nations. Ces relations, quoique remontant pour la plupart à des temps immémoriaux, continuent de réguler les rapports entre ethnies, clans et tribus. Ce sont entre autres la parenté, les relations économiques, les alliances et pactes ancestraux, le partage de mêmes langues, l’appartenance à une même religion ou à une même culture, les flux migratoires, etc. C’est dire que les peuples en Afrique semblent avoir commencé à s’intégrer avant que les politiques ne pensent l’intégration du continent. C’est pour cela que pour les partisans de l’intégration par le bas, une intégration africaine réussie passe par les peuples, ethnies, clans, tribus, entre lesquels existent des relations historiques précurseurs à l’idée d’une intégration à l’échelle du continent. L’idée d’une intégration par le bas dans une certaine mesure se justifie. le formatage de la société, sur le plan politique, après les indépendances, devait permettre le passage de structures traditionnelles (ethnie, le clan ou la tribu) à un État moderne dans lequel elles se fondraient dans la nation, creuset de tous les particularismes. Passée l’euphorie des indépendances, force est de constater que les nations, en Afrique, sont encore à construire. Les Africains, dans leur ensemble, s’identifient d’abord à l’ethnie, au clan, à la tribu et à la région et la nation est une réalité soit méconnue, soit seconde. Dans un tel contexte, la marge de manœuvre pour tout ce qui a trait au rapprochement entre peuples, demeure étroite. Certes, certains peuples africains entretiennent des relations porteuses de germes d’intégration, mais d’autres sont, les uns par rapport aux autres, dans un état de tension quasi permanent, comme les Tutsi et les Hutu en Afrique centrale ; d’autres alternent gel et dégel de leurs relations. D’un autre côté, une intégration par le bas risque de remettre en cause l’existence même des États africains. Elle paraîtrait ici comme une boîte de Pandore qui ouvrirait la porte à tous les maux. la diversité enrichit à condition qu’elle ne soit pas excessive. la culture est un phénomène historique et comme tout phénomène historique, elle s’est développée au niveau du continent africain dans un processus inégal qui accentue la difficulté d’intégration par les peuples. Vu le caractère souvent hétérogène de ses cultures, l’Afrique ne semble pas bénéficier d’un contexte favorable à l’intégration sur lequel l’Union pourrait s’appuyer. Ni les dirigeants politiques ni les peuples ne peuvent valablement être les fondements de l’intégration africaine.
Le désir de l’autre comme fondement d’une intégration réussie
L’intégration est le fait pour les États africains, de mettre en commun les ressources, humaine et naturelle, de faire disparaître toutes les barrières, de quelque nature qu’elles soient, de fondre les législations régissant les différents pays en une seule, valable à l’échelle du continent, de faire disparaître la citoyenneté nationale au profit de la citoyenneté africaine. Les hommes politiques, les leaders d’opinions et les peuples ne constituent pas, pour l’intégration africaine, un fondement pérenne. Ils sont tous, à un niveau ou à un autre, soumis aux contingences de l’histoire, aux aléas de la vie. Précarité, relativisme, corruption, dégénérescence, autant de caractéristiques qui indiquent leur fragilité en tant qu’entités culturelles. Or tout ce qui relève de la culture est soumis à la loi du naître et du périr. Une intégration africaine, qui se veut réussie, capable de résister au temps, est à rechercher dans le monde des essences, métaphysique. Ce fondement, tout en étant a priori, en même temps qu’a posteriori, doit également être vecteur de socialisation. Ce qui répond à cette triple exigence est le désir de l’autre, ce sentiment qui nous pousse à rechercher l’autre, comme individu, comme ethnie ou comme État, et à nous retrouver en lui malgré sa/ses différence(s). Ce sentiment est a priori, parce qu’il se retrouve chez tous les hommes ; il est a posteriori, car vécu individuellement par chaque conscience; il est aussi un vecteur de socialisation, parce qu’avec ce sentiment, les hommes deviennent complémentaires. Ce sentiment rend possible la fraternité, la sympathie, l’empathie et l’entraide, préludes à toute mise en commun des ressources. Il peut instaurer un climat de paix et de sécurité stable. Mais comment cultiver et entretenir ce désir de l’autre ? Toute la difficulté semble se situer à ce niveau. Ici comme ailleurs, il faudra faire preuve d’imagination en trouvant des solutions originales et novatrices.
2019 semble de plus en plus être, pour l’Union Africaine (UA), l’année de tous les dangers. Celle-ci ne se sort pas de sa gestion économique, politique et monétaire, paralysant de facto les institutions internationales. Pourtant, les pays du Maghreb, comme ceux de l’Afrique Sub-Saharienne n’ont jamais eu autant besoin d’Afrique. Ne serait-ce que sur la question environnementale et écologique, (la menace sur la biodiversité, l’extinction d’espèces animales et végétales, le réchauffement climatique), seule une réponse africaine d’ensemble fait sens. Ce résultat ne peut être obtenu que par l’adoption collective de mesures fortes, pour diviser de manière appréciable les émissions à effet de serre, en entreprenant de protéger globalement la biodiversité et en étant aussi vigilant sur les importations. Dans le même ordre d’idée, les Etats doivent limiter drastiquement le risque climatique et la pollution et intervenir dans la dynamique de limitation et de gestion rationnelle du réchauffement climatique. C’est aussi une manière d’entreprendre et de mettre en place, à une échelle crédible (continentale), un véritable projet global de restauration de notre écosystème, en partenariat, tant avec les pays d’occident (Union Européenne, USA), qu’avec les pays émergents, (la Chine, l’Inde et latino-américains). Écologiquement, comme économiquement, ce serait, à l’actif de l’UA une belle réussite. Mais cette initiative est menacée par la politique commerciale et juridique agressive, des États-Unis, des institutions financières internationales et de l’Europe. Quant aux géants du numérique, de l’acronyme GAFAM, ils sont omniprésents, l’Afrique étant un de leurs principaux marchés. Dans ce combat à mener, L’Afrique et avec elle l’Union Africaine, est fragile, mal aimée par ses concitoyens, qui en font un bouc-émissaire facile et injustifié. La société politique africaine et même les membres de l’Union n’accordent pas grand crédit à l’œuvre à entreprendre, parce qu’ils considèrent cette instance comme une institution lointaine, qui pourtant fait leur quotidien. Les faits nous obligent à constater que l’Afrique a grandi trop vite. L’organisation panafricaine est devenue rapidement une institution lourde, sclérosée, monolithique, où le mode de fonctionnement, comme celui de prise de décision gênent toute avancée, beaucoup plus qu’ils ne la servent. Le choix qui fut fait d’intégrer tous les pays du bloc continental, a été perçu par beaucoup d’internationalistes, à tort ou à raison, comme une erreur. Toujours est-il que maintenant l’UA se présente comme une instance avec une panoplie d’Etats en tout genre, avec des systèmes politiques des plus divers, et avec lesquels il faut composer sans cesse. Il en est ainsi et penser un instant que l’Union Africaine bougera de cette manière, relève parfois de l’utopie et d’une illusion consentie. Mais pourtant, elle doit bouger et exister, à part égale avec les États-Unis, la Chine, l’Inde, le Brésil, le Mexique, la Russie et l’Union Européenne. Le monde change et le marché mondial et la puissance économique ne peuvent plus être ce qu’ils sont aujourd’hui. Mais l’Afrique semble se replier sur elle-même, hantée par ses vieux démons nationalistes et xénophobes, laissant filer les opportunités de son émancipation. Elle laisse mourir en mer des femmes, des enfants, des hommes, laisse errer de port en port des réfugiés, abandonnant sa dignité et ses valeurs à quelques minorités bruyantes et tapageuses. Cette Afrique née du pire, la traite des esclaves, la guerre, le nazisme, les dictatures, la colonisation et ses suites, pour construire le meilleur et ne plus jamais connaître l’horreur, sacrifie maintenant le socle de son union initiale. L’Africanité forte de sa négritude, chère à L.S. Senghor, celle de la nouvelle Lumière, meure en Méditerranée ou dans les camps de réfugiés, derrière des barbelés concentrationnaires, ou se trouve dispersée dans une diaspora aux limites démesurées. Toutes ces victimes fuient son territoire, l’indécence de leur condition, l’exclusion et la répression, comme les marchands de mort. Mais chaque départ dans la clandestinité ou dans la légalité est une lobotomie faite à ce continent, qui se meurt peu à peu d’une hémorragie cérébrale que l’on nous fait croire incurable et irrémédiable.
Les peuples pourraient se résigner, penser qu’il est trop tard, que le mal est fait, que l’évolution des choses ne pourra que déboucher sur une crise majeure; que les élections à venir dans nombre d’Etats donneront des parlements et des gouvernements paralysés, où l’extrémisme détruira ce qui a été si patiemment construit. Est-ce cela être Africain ? Se cacher et pleurer ce qui fut un si beau projet, qui offrit aux Africains une paix difficile sur le continent, après des siècles de conflits ? Albert Einstein disait: «Inventer, c’est penser à côté». Alors pensons un instant à côté de l’Union Africaine, un autre projet d’Afrique unifiée. Imaginons que les pays fondateurs de l’O.U.A., en y ajoutant symboliquement tous les Etats nouveaux de ce continent, qui furent à l’origine de sa pensée différente, ne soient plus qu’une seule et même Fédération, la Fédération Africaine. Imaginons que nous abolissions les frontières nées des guerres passées et de l’Uti Possidetis Juris, le sacrosaint principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, pour un seul pays, où le Nord de l’Afrique et celle sub-saharienne seraient une seule et même région, un tout, de part et d’autre du Sahara, tout comme les Pays de l’Orient immédiat (l’Egypte et les Soudan, ainsi que la Libye unifiée à nouveau). Une Fédération où les frontières ne seraient pas le souvenir de conflits passés et d’une histoire malheureuse, mais l’affirmation d’une même volonté de vivre ensemble, orientée vers l’avenir. Cette communauté africaine n’aurait pas de centre politique, mais simplement des institutions de gouvernance décentralisées, un ensemble de pied-à-terre pour ses institutions fédératives intégrées. Tout y serait commun. Cette Fédération se doterait d’une gouvernance harmonisée, d’un droit cohérent portant sur l’administration des choses. Elle aurait un vrai projet de transition démocratique et écologique, planifié, organisé et dont les implications locales seraient validées localement. Pas d’armée, mais une garde nationale commune, une diplomatie unique, pour parler d’une seule voix africaine, au sein de l’Union et des instances internationales dans le cadre d’une même politique extérieure. Un pays crédible internationalement, possédant une culture commune et un répondant économique et humain. Il ne manquerait alors qu’une langue. Mais est-ce un problème alors qu’il se trouve des pays ayant plus d’une langue ? Et si nous tenons vraiment à une langue véhiculaire au sein de l’Afrique, l’option peut être concertée.
Nous pouvons accepter avec résignation le cynisme de quelques-uns et voir l’Afrique mourir sous nos yeux, en attendant les catastrophes, politiques, économiques et climatiques. Mais le réalisme n’est pas d’attendre la mort, comme un condamné au soir de sa vie, en se souvenant de la paix qui régna ici, de l’après- Guerre à aujourd’hui. Nous ne devons pas oublier que l’Afrique est une belle idée, une utopie selon certains acceptable, une réalité sur le papier, maintenant, une réalisation prochaine sur le terrain, dans un incroyable échange de savoirs et de valeurs. L’Union Africaine a ses erreurs, mais l’idée d’Afrique, le désir de paix et d’un devenir florissant sont aujourd’hui toujours aussi vifs. Ce n’est pas seulement l’Union Africaine que nous devons sauver, mais bien la plus belle idée humaniste qui soit, à travers elle. Un ensemble géographique uni, non par la guerre, la conquête, ou l’annexion, mais par la seule envie de ses peuples, de vivre ensemble. L’Afrique est le seul territoire qui puisse naître d’une volonté de paix dans l’histoire de l’espèce humaine. Alors il est impératif de poursuivre cette idée, qui vit depuis maintenant trois génération, en la réinventant, plus résiliente, écologique, humaine, démocratique et solidaire.
Afrique, racisme, esclavagisme et haine, sont autant de motifs d’unification continentale. Les élections, dans certains Etats d’Afrique et même au sein de l’Union Africaine pour la présidence, la campagne même informelle qui débute en Tunisie, vont être cruciales. Partout ou presque, en Afrique, les Etats sont le dos au mur. A force de tergiverser avec leurs valeurs, de modérer leurs propositions, ils se sont enfermés dans des jeux à somme nulle, au lieu de saisir l’occasion de dépasser leur cadre territorial, le carcan national, et de s’ouvrir vers le champ d’action Africain. Dans le nouvel ordre économique et géopolitique international, les pays de la zone sud de la Méditerranée n’ont d’autre choix que de se rapprocher, pour espérer raisonnablement garder de l’influence à l’échelon international et résorber les querelles de territoires, de frontières ou d’ethnies. A défaut, ces pays et leurs populations, s’enfonceront dans une situation mondiale déjà chaotique, dangereuse, dans laquelle ils seront les vassaux, les satellites, soit des Etats-Unis, ce qui est le plus probable, soit d’une autre force continentale (Chine, Russie ou autres en devenir). Les accords passés en petits comités entre chefs d’Etats ou de Gouvernements sont soit globalement inefficients, soit, et c’est un point de vue essentiel, non-démocratiques et désavantageux. L’UA est victime de sa composition lourde et contraignante et ses instances sont sous-dotées de pouvoirs effectifs et par conséquent ont les mains liées. Les marchés financiers se sont d’ailleurs empressés de mettre entre eux et la politique, la plus grande distance possible, excepté dans la rédaction des textes contraignants, par un lobbying intense. Comme ce fut le cas au début des années 1980, la dimension politique a été absente de la dernière campagne Africaine, sauf par le petit bout de la lorgnette. Nous avons assisté au dernier sommet, à une stratégie d’évitement du fond du problème posé, l’avenir, en Afrique, de la nation en tant qu’entité politique souveraine, ou formulé autrement, l’avenir de l’Afrique en tant qu’entité politique souveraine intégrée. Ce ne sont pas les Etats en tant que tels, qui sont confrontés aux problèmes induits par la mondialisation, la globalisation, aujourd’hui 4.0 et le dérèglement climatique et environnemental, mais bel et bien la politique au singulier et les peuples au pluriel. Les problèmes sociaux auxquels ils sont confrontés se jouent des frontières. Peu ou prou, tous les Etats, tous les peuples africains les vivent de la même manière, à quelques nuances de contextes près. Ces problèmes ont cessé de ne se poser que dans le cadre institutionnel des Etats-Nations et de n’être que de simples objets de régulation gouvernementale ou inter-gouvernementale. Ils sont devenus des problèmes transfrontaliers, à grande échelle. Seule l’UA, par sa personnalité internationale, pourrait peser sur le cours des choses, dans un monde en plein changement, en mutation, si on lui en donnait les moyens. L’urgence est de résoudre le déficit actuel de légitimité démocratique du processus d’élaboration des décisions et donc des décisions elles-mêmes, pour restaurer leur effectivité. Il faudrait instamment dépasser le mode de domination intergouvernemental du Conseil, sorte de «fédéralisme exécutif», de coalition d’exécutifs gouvernementaux. La solution serait de se diriger rapidement vers les deux options qui s’offrent clairement à nous: un Etat réellement Fédéral ou une Confédération d’Etats unifiés par un Traité-Loi supranational. Probabilité floue à court/moyen terme, sauf de définir un projet fédérateur cohérent, fondé sur des élément objectifs communs à identifier et à définir. Ce projet, qui est en fait, la vocation de l’UA, pourrait et devrait être de réguler, à défaut de le dépasser, le capitalisme de marché sauvage instauré à l’échelle du continent, pour fonder un modèle social commun, un socle commun, et accéder à la puissance (diplomatie, défense, industrie). L’idée en soi n’est pas nouvelle, mais c’est la seule pertinente à mener dans l’urgence, même si elle semble difficilement formulée de manière audible et intelligible. Encore faudrait-il qu’elle soit clamée clairement à haute et intelligible voix dans les discours politiques nationaux.
Ce qui se joue aujourd’hui en Afrique, c’est la possibilité même de la démocratie des peuples face à la gravité de la crise et à la complexité de la gouvernance Africaine actuelle. Il existe bien une personnalité africaine commune à tous les hommes, toutes les femmes, de race noire et blanche, née de cette appartenance et du rattachement au continent, même si certains n’en sont pas conscients. Cette personnalité africaine recèle des valeurs spécifiques de sagesse, d’intelligence et de sensibilité, héritées d’un long lignage ethno-génétique. Les peuples d’Afrique, peuples parmi les plus anciens, nés dans le berceau de l’Humanité, sont voués à l’unité et à un avenir commun. Ils participent d’une vision culturelle, sociale et politique, une philosophie et une idéologie cherchant à édifier une communauté africaine globale, qui appelle à l’unité politique de l’Afrique, sur la base de la conscience de leurs réalités multiples. L’unité africaine serait le pas décisif vers l’élaboration de la civilisation universelle, ainsi qu’à la coopération économique, intellectuelle, civilisationnelle et politique entre les pays du monde. L’unité de l’Afrique est un appel lancé au monde à l’unification des peuples, des marchés financiers et économiques et à un nouveau paysage politique du continent. Mais les mentalités doivent tirer davantage vers le haut et les pratiques changer aussi dans le sens d’une gouvernance digne de ce nom.
Monji Ben Raies
Universitaire, Juriste,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis El Manar,
Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis.
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