Riadh Zghal: Technologie, innovation et confiance dans la jeunesse
Dans une interview à Shems FM le 14 novembre dernier, le Pr Tawfik Jelassi a déclaré que 65% des métiers qui seront exercés dans les prochaines années n’existent pas aujourd’hui. Cela induit un défi majeur pour l’éducation et la formation de tous les cycles. Les divers développements et les signaux forts ou faibles que l’on observe aujourd’hui dans le monde convergent avec l’observation du Professeur. Ainsi le thème majeur du prochain forum économique de Davos qui aura lieu en janvier 2019 sera celui de la 4e révolution technologique et de ses effets sur l’économie mondiale concernant la création et la distribution de richesse. Le fondateur de ce forum, Klaus Schwab, vient de publier un article sur le site du forum ayant pour titre «La globalisation 4.0. Que veut-elle dire et comment pourrait-elle bénéficier à nous tous».
Le contexte actuel est marqué par la raréfaction des emplois fondés sur des compétences en déclin et le développement du travail indépendant qui mobilise d’autres compétences. Et c’est en cela que réside principalement le défi majeur pour l’éducation. Alors que les capacités des systèmes pédagogiques classiques misent particulièrement sur la mémoire, le discours, l’écoute et le visuel, les capacités requises par la nouvelle économie et le travail indépendant sont entre autres la pensée analytique, l’esprit critique, l’apprentissage actif, l’initiative, en plus de capacités sociales telle que l’intelligence émotionnelle, le leadership, et les capacités technologiques de design et de programmation.
Ainsi va le monde et les premières puissances économiques ouvrent le chemin. A cet égard, l’exemple de la Chine est remarquable par ses ambitions et sa politique relatives à l’intelligence artificielle. Le pays projette d’être la première puissance mondiale dans le domaine des voitures électriques en 2035. A la conférence mondiale de l’Internet que le pays a organisée dernièrement à Wuzhen, le géant chinois de l’informatique Sogu, spécialisé dans la reconnaissance vocale, a présenté les premiers robots présentateurs du journal télévisé en anglais et en chinois. Les technologies de la réalité virtuelle, dont l’une des applications déjà opérationnelle est l’exploration des structures anatomiques du corps humain en 3D, risquent de révolutionner le système éducatif.
Si l’on reconnaît, qu’on le veuille ou non, que c’est ce monde-là qui attend notre jeunesse, la question se posera avec insistance : notre pays peut-il s’embarquer sur de telles tendances et favoriser une vie décente aux générations futures ? Personnellement j’y répondrai par la positive sous certaines conditions.
La première est qu’on cesse de nous emmêler les pieds dans les luttes idéologiques et politiciennes qui détournent l’attention des voies qui mènent vers la prospérité économique et la paix sociale dans notre pays. On a expérimenté ces querelles voilà bientôt huit ans. Certes on a avancé sur le plan institutionnel mais on a reculé sur bien d’autres plans. Il est temps de rattraper les occasions perdues en misant sur tous les acquis et penser à l’intérêt des générations futures sur le long terme.
L’un de nos acquis stratégiques est la formation technologique qu’ont reçue nombre de nos jeunes et pas seulement les diplômés. Ces formations ont généré un petit nombre de start- up productives et exportatrices. Seulement notre gestion de la technologie souffre d’un modèle hérité d’une vision bureaucratique et désintégrée car éclatée en plusieurs organisations cloisonnées. Le ministère de l’Industrie dispose des ses structures (Agence de promotion de l’investissement et de l’innovation APII, centres techniques spécialisés, pépinières d’entreprises, technopoles, pôles de compétitivité…) et de ses programmes d’incitation à l’innovation, le ministère de l’Enseignement supérieur dispose de ses centres et laboratoires de recherche et de ses programmes, l’Agence nationale de promotion de la recherche gère une base de données relatives à la recherche scientifique et un dispositif de mobilité des doctorants pour la réalisation de leurs projets de recherche en milieu professionnel…
Toutes ces structures et d’autres témoignent d’un souci pour que la recherche et l’innovation jouent le rôle de levier pour le développement. Mais la dispersion des structures, leur rattachement à plus d’un ministère et, par conséquent, leur inscription dans des politiques non intégrées dans une vision commune empêchent l’atteinte d’un tel objectif.
Les pays qui disposent d’une stratégie d’innovation créatrice de richesse ont formé une structure dédiée qui prend en considération les différentes dimensions de l’innovation productive. Je citerai à titre d’exemple l’Enea italienne et la Tekes finlandaise.
L’ENEA italienne (Agence nationale pour les nouvelles technologies, l’énergie et l’environnement) est un organisme public qui opère selon une approche systémique en intervenant dans plus d’un domaine (énergie, environnement et nouvelles technologies) avec un objectif précis : soutenir la compétitivité et le développement de l’économie nationale. Sa mission s’articule sur la recherche fondamentale et appliquée, les activités d’innovation technologique (réalisation de prototypes et industrialisation des produits), la dissémination du transfert technologique et l’encouragement à son utilisation dans les secteurs productif et social. L’Enea offre ses services de haute technologie aussi bien au secteur public qu’au secteur privé et particulièrement aux petites et moyennes entreprises. Parallèlement, elle promeut la coopération internationale.
Tekes est l’Agence finlandaise pour la technologie et l’innovation. Elle fonctionne selon une stratégie élaborée axée sur la veille technologique et l’encouragement de la recherche et de l’innovation. Elle dispose d’un budget qu’elle octroie à travers des appels d’offres ouverts en continu et ciblés selon des critères appliqués de façon à orienter les stratégies des différentes catégories de demandeurs : les petites entreprises(développement de produits, projets pilotes, entrée dans le marché), les grandes entreprises (recherche fondamentale, développement de la technologie), les universités et les instituts (développement de produits, projets pilotes). En plus de proposer des financements pour une démarche innovante, Tekes offre des services de conseils spécialisés et soutient le développement d’activités en réseaux que ce soit à l’échelle nationale ou internationale.
Il est évident que l’on ne peut pas répliquer à la lettre ces deux expériences, néanmoins elles demeurent inspirantes par leurs stratégies claires, intégratives à la fois des différents leviers de l’innovation et des différents acteurs susceptibles de contribuer à l’innovation et la compétitivité de l’économie nationale (public, privé, petites et grandes entreprises, universités), et ouvertes à l’international à travers la veille technologique et la coopération internationale. Dans le monde actuel, l’innovation représente le levier porteur de développement inclusif et durable. Pour l’actionner efficacement dans notre pays, il faudra se donner une vision, créer des synergies entre divers intervenants et croire en notre jeunesse, celle qui est formée et celle réceptive de formations.
Riadh Zghal
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