Tunisie: la croissance est-elle de retour ?
En berne depuis la révolution, «la croissance est-elle de retour», se demande le Directeur général de l’Institut tunisien de la compétitivité économique et des études quantitatives, Zouheir El Kadhi dans l'éditorial du bulletin trimestriel, «Revue de la Conjoncture économique». Ni pessimiste, ni optimiste, l'auteur se veut réaliste en faisant parler les chiffres. Il constate certes des prémices de redressement de la croissance, mais reconnaît qu’elle demeure fragile:
Des prémices de redressement de la croissance économique, en attendant Ia confirmation
La croissance est-elle de retour? Oui, les indicateurs de conjoncture montrent des prémices encourageantes d'un retour de la croissance bien que celle-ci demeure dans l'ensemble fragile. Les estimations du produit intérieur brut au troisième trimestre ont d'ailleurs confirmé un rythme de croissance du PIB de 2,6% l'an.
Bien que ce niveau de croissance demeure faible, il est considéré comme un signe de rebond et renforce la perspective d'une reprise.
En fait, le rétablissement de l'activité s'appuie en grande partie sur une bien meilleure conjoncture dans l'agriculture et le tourisme dont la croissance est respectivement de 8,3% et 9% et, à un degré moindre, par une embellie au niveau des industries textiles. L'extraction de pétrole qui affiche depuis quelques années une croissance négative repasse en zone positive. Bien que cette croissance demeure insuffisante pour rattraper les pertes des années passées, elle indique néanmoins de bonnes perspectives compte tenu de l'ampleur de la facture énergétique. Par ailleurs, les mines continuent de sous performer.
Les services marchands ont enregistré un taux de croissance de 3,3% durant le troisième trimestre, croissance due essentiellement à la confirmation de la reprise du tourisme. Le secteur du transport, étroitement corrélé au tourisme, a pu également réaliser une croissance positive.
Les signes d'une dégradation de l'activité dans le secteur immobilier se sont multipliés affectant les industries MCCV qui affichent une croissance encore faible. En effet, l'allongement des prêts et la baisse des taux d'intérêt intervenus il y a quelques années avaient entrainé une vague d'achats et provoqué une forte hausse de la rente foncière surtout dans les centres des grandes villes. Les prix excessifs devront probablement baisser sans qu'il n'y ait de crise pour autant, même s'il existe en Tunisie un déséquilibre global de l'immobilier avec des stocks de logements vides qu'il faudrait écouler.
Du côté de l'emploi, et même si le PIB en volume augmente, la situation sur le marché du travail reste très dégradée. Ainsi, le taux de chômage ne baisse pas et affiche toujours un taux élevé de 15,5%. Le chômage des diplômés de l'enseignement supérieur a, quant à lui, légèrement baissé s'établissant à un niveau de 29,7% au troisième trimestre.
Au final, il est impératif d'agir sur les déterminants de la croissance et c'est à travers une approche par l'offre que les solutions existent. En effet, l'économie tunisienne n'a plus les moyens ni les capacités d'agir sur les éléments de la demande. Cette politique a été mise en place depuis 2011 et n'a fait qu'aggraver la situation. Aujourd'hui, c'est à travers une véritable réforme de l'appareil productif que viendra la croissance. Quasiment tous les secteurs ont été affectés et nécessitent des stimuli.
=> L'économie nationale se trouve à un tournant majeur qui implique des politiques d'offre capables de relever la croissance potentielle.
L'amélioration du climat des affaires
Selon les résultats du rapport « Doing Business », la Tunisie a gagné huit places dans le classement mondial, passant de la 88ème position à la 80ème, mettant fin à la tendance baissière depuis 2012. C'est en effet pour la première fois que la Tunisie a pu gagner autant de places. La Tunisie s'est classée Sème au niveau africain et dans le monde arabe. Rien qu'au niveau du critère création d'entreprise, la Tunisie a gagné 37 places et 36 places pour le critère de la protection des investisseurs minoritaires. Cependant, les marges d'amélioration de notre classement demeurent importantes. Le gouvernement s'est fixé comme objectif d'être classé parmi les top 50 d'ici 2020.
L'inflation se stabilise à des niveaux relativement élevés
Après une longue phase d'accélération des prix qui a poussé l'inflation à un sommet de 7,8% en juin, l'inflation a légèrement diminué pour se stabiliser à 7,4% en octobre. Cette évolution est principalement imputable à la hausse des prix des biens alimentaires (6,3%) mais également à la hausse des prix du transport (13%), des prix du groupe hôtels et restaurants et certains prix du groupe logement.
L'indice des prix hors alimentation et énergie se maintient à un niveau plus élevé, soit 7,8% signalant ainsi une hausse des pressions inflationnistes sous Jacentes.
La dépréciation continue du dinar et les éventuelles hausses des salaires devront pousser l'inflation à des niveaux encore plus élevés, situation qui pourrait pousser la Banque Centrale de Tunisie à programmer de nouvelles hausses des taux.
=> Dans l'ensemble, le contexte économique demeure propice à l'apparition de tensions inflationnistes.
Commerce extérieur: rétablissement très lent
Tirées par les produits énergétiques et les produits intermédiaires (60% des importations), les importations affichent une hausse de 20,5% pour les 10 premiers mois de l'année. Ce niveau peut paraître relativement élevé pour certains qui privilégient une plus grande autarcie mais il faut rappeler que le plus grand problème se trouve du côté des exportations. Celles-ci croissent, en effet, à un rythme légèrement inférieur à celui des importations et ce, malgré la hausse notable des ventes à l'étranger du secteur des industries mécaniques et électriques IME et des produits textiles enregistrant des hausses de 15,1% et 19% respectivement pour les 10 premiers mois de l'année. Cependant, le ralentissement de la dynamique de l'activité du phosphate demeurant très en deçà des rythmes d'avant 2010 affecte significativement nos exportations.
Nul ne doute aujourd'hui que c'est le déficit commercial qui exerce une pression sur le dinar et par ricochet sur les réserves de change et l'inflation. Le rétablissement de la situation devrait s'établir du côté des exportations et non pas des importations. Mathématiquement, il faut que les exportations puissent croitre à un rythme beaucoup plus élevé que celui des importations et plus l'écart de croissance sera important, plus l'ajustement sera rapide. Les restrictions quantitatives ont rarement donné des résultats positifs, ni même les dévaluations si elles ne s'accompagnent d'une hausse de compétitivité.
=> La consolidation du redressement des échanges extérieurs est subordonnée à l'évolution de l'activité minière.
La liquidité, au sens de la base monétaire ou monnaie banque centrale, croît rapidement et se situe, aujourd'hui, sur un rythme proche de 9% l'an. Cet excès de liquidité peut entraîner plusieurs conséquences : maintien d'une inflation élevée sur les biens et services et une probable apparition de bulles sur les prix des actifs notamment immobiliers.
=> L'excès de liquidité traduit un phénomène autre que les besoins de transaction
Des perspectives favorables mais les marges de politique économique sont très limitées
Les perspectives de croissance à court terme pour l'économie nationale demeurent pour le moment favorables. Dans l'immédiat, c'est-à-dire jusqu'à la fin de l'année, les informations économiques resteront positives. Cela devrait ramener la croissance vers une tendance de 2,6% l'an. Les risques majeurs sont la hausse du prix du pétrole et la baisse continue du dinar.
Du côté des politiques économiques, la politique monétaire ne dispose pratiquement plus que de très faibles voire très infimes marges de manœuvre. Ainsi, la politique budgétaire est redevenue centrale dans la stratégie du gouvernement mais celle-ci dépend des perspectives de croissance et d'inflation. Le scénario économique probable est actuellement celui d'une reprise progressive économique en 2019 et 2020 limitée par une forte inflation et la nécessité de réduire les déficits. Dans cet environnement économique, il paraît peu probable que les besoins de financement public puissent se résorber facilement sous le simple effet de la croissance.
Il faudra donc des mesures qui toucheraient plutôt les dépenses dans la mesure où le gouvernement s'est engagé dans un processus de stabilité fiscale.
Le scénario économique, aujourd'hui, le plus vraisemblable est une croissance de l'ordre de 2,6% en 2018 et 3,1% en 2019. Dans cette zone de croissance, le déficit public devrait être aux alentours de 3,9%. Cela donnerait un besoin de financement «spontané» de 9% du PIB.
Rédigé par Zouhair EL Kadhi
Directeur général de l'ITCEQ
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