News - 04.06.2018
Chef de Com à la Kasbah : le siège éjectable qui a fait sauter Mofdi Mseddi
Jusque-là, un seul rescapé parmi les sept titulaires du poste qui depuis 2011 se sont succédé à la tête du dispositif de communication à la Présidence du gouvernement. La Kasbah, c’est déjà l’enfer ! Chef de Com, c’est l’enfer de l’enfer ! Dernier communiquant attitré, Mofdi Mseddi a fini par jeter l’éponge. Anticipant son délestage, il a préféré prendre les devants. Dans cette ingrate fonction, la réussite, guère garantie, est bien éphémère. La sanction tombe raide.
S’il réussit, le chef de Com voit sa tête réclamée par les détracteurs de son patron qui lui intenteront des procès en sorcellerie et lui feront porter tous les coups tordus.
S’il réussit moins bien que ce à quoi attend de lui son patron, il sera viré sine die, accusé d’incompétence, de manque d’imagination et d’ingéniosité. N’assumant jamais l’échec de sa politique, l’obsolescence de son discours et ses maladresses, le patron se défausse toujours sur son chef de Com. Ce n’est pas d’un conseiller qu’il a besoin, mais en fait d’un sorcier.
La règle est de mise dans la quasi-totalité des cas. Dans les démocraties comme sous les dictatures. Que s’est-il passé à la Kasbah ?
La fonction de l’attaché de presse était des plus simples, voire ennuyeuse sous Ben Ali, lorsque tout était centralisé à Carthage. Un journaliste détaché de l’Agence Tunis-Afrique Presse auprès de la Kasbah, se contentait de rédiger de sibyllines dépêches relatives aux audiences officielles. A une dose homéopathique. Dès janvier 2011, la donne a changé. Complètement changé.
Un nouveau statut à inventer
Premier à incarner la nouvelle mission, Moez Sinaoui, diplomate de carrière, passé par une courte expérience à Nessma, et arrivé en mars 2011, dans l’équipe du nouveau Premier ministre Béji Caïd Essebsi. Prudent, pondéré, courtois, il savait que son contrat était de courte durée, limité par celui de son patron. Dès la fin des élections de la Constituante, le 23 octobre 2011, mission accomplie, il partira à Barcelone, prendre ses nouvelles fonctions de chef de Com de l’Union pour la Méditerranée. Béji Caïd Essebsi, élu président de la République, c’est tout naturellement à lui que fera appel, dès janvier 2015. Sinaoui restera deux ans à Carthage, bonifiant son expérience auprès d’un disciple de Bourguiba, orfèvre en la matière, avant d’aller poursuivre sa carrière diplomatique. Cette fois en tant qu’ambassadeur à Rome, capitale où il avait fait ses premières armes. Sinaoui, saura, à la Kasbah comme à Carthage, inventer le nouveau statut du chef de Com et susciter des émules qui tenteront à suivre ses pas, pas tous avec la même réussite.
La Troïka n'y échappe pas
La victoire de la Troïka propulsera Hamadi Jebali à la Kasbah, le 26 décembre 2011. Dans ses bagages, il amènera avec lui Ridha Kazdaghli, un journaliste professionnel, qui avait dirigé la communication d’institutions publiques avant de partir au Yémen puis à Dubaï prêter son concours spécialisé à un grand groupe d’affaires yéménite. Pour le nouveau chef de Com à la Kasbah, dans ce grand changement de cap et de contexte, la mission est très compliquée. Pas facile pour tous de trouver leurs marques, chacun voulant s’ingérer dans la communication, n’hésitant pas à jeter l’anathème sur le chargé de Com. Kazdaghli devait se battre sur plus d’un front, à commencer par l’interne au sein d’Ennahdha et des autres composantes de la Troïka.
Parti au bout d’un peu plus d’un an, Jebali passera le relai le 13 mars 2012 à Ali Laarayedh. Exit pour Kazdaghli. C’est au tour de 'Abdessalem Zbidi, jusque-là rédacteur en chef de l’hebdomadaire Al Anwar d’assurer la relève. Pas pour longtemps. Mehdi Jomaa, choisi à l’issue du Dialogue national, en février 2014, le gardera à ses côtés jusqu’à fin avril de la même année. Entretemps, Rania Barrak, excellente communicante fera son entrée, comme une météorite, rapidement passée hors des radars. Et voilà débarquer Mofdi Mseddi.
Une vocation précoce
Il est sans doute l’unique conseiller en communication qui soit né dans une maison de radio ! Son père, feu Mohamed Kacem Mseddi, voix d’exception et journaliste vedette de la Radio-télévision tunisienne était nommé directeur de Radio Sfax, alors encore logée dans l’ancien hôtel des PTT, au centre-ville. Un appartement à l’étage était réservé à l’habitation du directeur. C’est dans ce modeste logement de fonction que Mofdi était né. Son univers d’enfance n’était autre que la radio. Une vocation était alors née. C’était aussi une manière de célébrer un père décédé précipitamment dans un accident de la circulation, le laissant orphelin à un très jeune âge. A l’issue de ses études supérieures en relations internationales à Rabat, Mseddi Jr fera ses premières armes à la Télévision tunisienne, puis sera recruté à l’Office de l’Aviation Civile pour s’occuper de la communication des aéroports de Tunisie. Il ne tardera pas à attirer sur son travail l’attention du ministre du Transport, Abderrahim Zouari, qui lui demandera de rejoindre son cabinet. Succédant à Zouari en janvier 2011, Yassine Brahim le confirmera en poste. Mseddi n’y restera pas longtemps. Dès 2012, un éminent dirigent d’Ettakatol, le recommandera au président du parti et de l’Assemblée nationale constituante. Ce fut le plongeon en direct au cœur du parlement en pleins tiraillements. Une expérience unique en son genre et très instructive.
Dans les allées du pouvoir
Lassé par le Bardo, Mofdi Mseddi rejoindra au printemps 2014 Mehdi Jomaa à la Kasbah. Le cadre est différent, le patron plus jeune et mieux vendable, mais la tâche est la même. Premier chef du gouvernement investi après les élections de 2014, Habib Essid s’installe à la Kasbah le 6 février 2015 sans vouloir trop bousculer les équipes héritées de son prédécesseur. C’est ainsi que Mseddi sera confirmé. Mais, il finira par partir prendre un peu de recul avant de rejoindre un an plus tard, Mehdi Jomaa qui devait créer son parti.
La nature ayant horreur du vide, Kamel Jaouani, rédacteur-en-chef au sein de l’Agence TAP est rappelé à la Kasbah. Il y avait officié les mêmes fonctions du temps de Mohamed Ghannouchi, sous la houlette du directeur du cabinet, Taïeb Youssefi, lui-même ancien conseiller en communication détaché de l’Agence TAP dès les années 1990. En 2011, Jaouani avait fait un furtif passage à la Présidence de la République au lendemain de la Révolution, du temps du président intérimaire Foued Mebazaa. Son séjour à la Kasbah sera bref. Il jettera l’éponge, remettant sa démission le 15 juin 2015. Dhafer Néji, auteur dramaturge, jusque-là, conseiller culturel auprès chef du gouvernement, verra son périmètre s’élargir à la communication.
Comment Mofdi Mseddi avait été coopté par Youssef Chahed
Mercredi 3 août 2016. Chargé le matin-même de former son gouvernement, Youssef Chahed, s’attelle à la tâche, à peine sorti du palais de Carthage et élit domicile à Dar Dhiafa toute proche. En y arrivant vers 14h où l’attendaient deux photographes pour lui tirer son premier portrait de chef de gouvernement désigné, il trouvera Mofdi Mseddi à son attente. C’est « un ami commun » qui le lui a recommandé. « Le connaissez-vous ? demande Chahed à un journaliste présent. Comment le trouvez-vous ? Peut-il faire le job ? Du moins durant cette période jusqu’à l’investiture ? » En fait, Chahed n’attendait pas la réponse, sa décision était déjà prise. Petit-à-petit, l’attelage commencera à fonctionner, dans une confiance réciproque qui se renforcera durant pas moins d’un an et neuf mois,... jusqu’à ce 1er juin, date de la démission.
Ce qui se passe entre un homme politique et son communicant relève d’une relation tumultueuse, avec des hauts et des bas, des moments d’hésitation, de doute, de remise en question, et de mise à l’épreuve, mais aussi de complicité. Dans ce couple, chacun au des expériences, il est passé par ces séquences. Rares en ont survécu sans dégâts. Mofdi Mseddi n’a pas échappé à la règle. Peu importe le détail de sa lettre de départ, on le sent vouloir s’affranchir d’un lourd carcan qui commençait à lui peser sur la poitrine. Tout en s’imposant une obligation de réserve, il ne s’empêche pas de s’aménager une voie de recours, un jour ou l’autre, pour tout révéler.
Une fragilité institutionnelle et une confusion des tâches
Au-delà des passages successifs à la tête de la communication à la Kasbah, la grande leçon qu’il conviendrait de tirer des différentes expériences, est la fragilité institutionnelle de la fonction, son ambiguïté et son enchevêtrement. La confusion est en effet totale entre plusieurs fonctions qui ne sauraient-être concentrées entre les mains d’une seule personne. La distinction et la séparation des tâches est plus qu’indispensable, salutaire.
La première série de fonctions relève des attributions de la Présidence du gouvernement qui assure la tutelle de nombre d’établissements publics, tels que la Radio, la Télévision, l’Agence TAP, le Centre national de la Documentation, le CAPJC... Mais, aussi, des entreprises où l’Etat détient une participation majoritaire (La Presse & Assahafa, Shems Fm, Dar Assabah...). Il y a également la promotion du secteur des médias, les relations avec les syndicats et corporations, les négociations sociales pour les entreprises publiques du secteur, les relations avec l’organe de régulation la HAICA, la publicité publique, l’accréditation de la presse étrangère, l’image extérieure de la Tunisie, la législation...Tout un grand chapitre déjà qui doit revenir à un conseiller technique à la tête d’une équipe bien fournie.
La deuxième grande ligne est en back office, celle qu’assume un conseiller en communication : l’analyse de l’opinion publique, l’élaboration de la stratégie et du plan d’action, la conception des messages-clefs des campagnes d’intérêt public, l’harmonisation de la communication gouvernementale, l’animation et la coordination des équipes de communication institutionnelle et politique dans les ministères et les organismes publics, la mise en place d’une stratégie de communication de crise, le suivi des équipes de la Présidence du gouvernement...
Viennent en ligne suivante, en front-office, le chef de Com, l’homme ou la femme visible, qui met en musique au quotidien la parole du chef du gouvernement et des ministres. Dans son action, il est assisté par des attachés de presse qui s’occupent, chacun d’un secteur précis : les radios, les télés, la presse écrite, la presse électronique, les médias étrangers... L’ensemble s’appuie sur des unités de production de contenu (textes, photos, vidéo, etc.), de diffusion, de monitoring et d’analyse... Là, on est dans du lourd.
Qui succèdera à Mofdi Mseddi ?
Confondre toutes ces missions et les confier à une seule personne en le rendant comptable de leur réussite conduit inéluctablement à l’inefficacité, voire à l’erreur. A la réflexion stratégique et à la gestion quotidienne avisée se substitue le bricolage, dans un sauve-qui-peut de pur bidouillage parfois. Sollicités de toutes parts, harcelés par une actualité qui ne peut souffrir le moindre retard, les communicants s’exposent à tous les risques.
Faut-il leur en vouloir ? Ils s’investissent sans relâche en flux tendus, dépourvus des moyens et staffs adéquats, livrés à leur sort, voués aux gémonies à la moindre inflexion. Tout un système à revoir.
« Oui, mais, au fait : qui succèdera à Mofdi Mseddi et montera au charbon ! » Retour au point de départ.
T.H
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