L'échec de l'accord de Carthage. Et après
On dit que le pire n’est jamais sûr. Pendant des semaines, les Tunisiens ont été suspendus aux discussions sur le document de Carthage 1 et 2 et ses différentes péripéties, oscillant entre l’espoir le plus fou au fur et à mesure que le dialogue progressait et la déception la plus amère lorsque des divergences profondes se faisaient jour. Mais à aucun moment, nous n’avions perdu confiance quant à l'issue heureuse de ce dialogue estimant que le bon sens finirait bien par prévaloir. Malheureusement, on a dû se rendre à l’évidence. Le pire était au rendez-vous. Avec nos politiciens, tous les désespoirs sont permis.
Pourtant sur les 64 points débattus, un seul a suscité des divergences au point de faire capoter ce dialogue : le départ du chef de gouvernement. Car tout ce branle-bas de combat auquel on a assisté avait un seul objectif, la tête de Youssef Chahed. Le reste, ce ne sont que des broutilles aux yeux de ses contempteurs.Ce fut d’ailleurs, l’élément déclencheur de cette crise. Après avoir été encensé pendant des mois, Chahed est critiqué sous toutes les coutures, avec un acharnement inédit, se voyant affubler par ceux-là mêmes qui le soutenaient, de toutes les tares, désigné à la vindicte publique et son gouvernement ravalé au rang de gouvernement de gestion des affaires courantes. «il faut qu'il parte». On le criera sur tous les toits, comme si les problèmes du pays allaient être résolus par enchantement. On renchérit : «Il faut qu'il parte à tout prix». Sans qu'on pense un instant à ce qui se passera le jour d'après, à son éventuel successeur, au choix des ministres, au sort de notre économie si fragile, au fait qu'aucun gouvernement n'est capable de redresser la situation avec des syndicats qui prétendent cumuler les rôles de parti politique et d'organisation sociale. Cachant mal sa déception, Noureddine Taboubi s'est considéré désormais «délié de tout engagement». Une petite phrase lourde de menaces parce qu'elle nous ramène aux jours les plus sombres de la révolution, lorsque la rue imposait sa loi à l'Etat. La situation est-elle grosse d'évènements graves ? Les Tunisiens ont excellé jusqu'à présent dans la politique du bord du gouffre. Ils ont toujours fini par se ressaisir. Espérons que ce sera le cas encore, cette fois-ci.
Il reste que cette crise nous a démontré à quel point l'exercice de la démocratie était difficile. Ce à quoi nous avons assisté ces derniers temps est une caricature de la démocratie, une tragi-comédie, un spectacle surréaliste où les rôles sont inversés. La classe politique est sens dessus, dessous. Plus qu'un recentrage, c'est un véritable tsunami : on a vu un parti au pouvoir dénoncer son gouvernement et le poursuivre de sa hargne pour le contraindre de démissionner alors que ses pires ennemis le soutiennent mordicus, l'Ugtt et l'Utica fraterniser bien que pour des raisons différentes( ce qui ne s'était jamais produit depuis le combat commun contre le protectorat), l'Union des femmes tunisienne se ranger à leur côté (on ne savait pas que Chahed était antiféministe), l'ex président provisoire reprendre, sans en changer une virgule, les arguments du directeur exécutif de Nidaa contre Chahed dans sa critique de ce parti, le fils s'opposer au père à qui, pourtant il doit tout, un secrétaire général de parti soutenir le gouvernement pour être désavoué aussitôt par son adjoint.
Dans ce naufrage collectif, le mouvement Ennahdha a beau jeu de se montrer comme le parangon de la sagesse et du sens de responsabilité qui fait tant défaut aux autres partis en refusant de se joindre à la meute des adversaires de Youssef Chahed. Un an et demi avant les élections législatives et présidentielles il administre la preuve de sa maturité. Par effet de contraste, alors que les partis laïcs ou modernistes s'entredéchirent, il s'impose comme l'unique recours contre l'aventurisme.
Hedi
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Bravo Monsieur le président ! Un très bon choix d'avoir laisser Youssef Chahed, ce n'est pas du tout moment de changer le gouvernement !