Un livre événement : « Le feu et la fureur : à l’intérieur de la Maison Blanche »
Œuvre d’un journaliste contesté - à en croire le Monde - l’ouvrage de Michael Wolff, traitant de la Maison Blanche et de son locataire depuis le 20 janvier 2017, Donald Trump, est devenu « un évènement politique international » selon le Guardian de Londres*.
Le 45e président a essayé, sans succès, de bloquer la vente de ce livre. Du jamais vu : aucun président n’a jamais porté plainte pour diffamation et intrusion dans la vie privée. Trump l’a fait ! Ce faisant, il a fait la fortune de l’auteur : la terre entière veut savoir pourquoi le président des Etats Unis craint tant cet ouvrage. Les Américains ont été choqués par cette atteinte au rempart que représente leur Constitution. Sidération en fait, non seulement pour les journalistes, mais pour l’Américain moyen, très chatouilleux sur ce point de la « way of life » yankee. Or, ce président ose tout et, d’ailleurs, c’est sa marque de fabrique : c’est à cela qu’on le reconnaît.
Un président génial ou … semi-analphabète ?
Pour répondre à ce livre - véritable bombe incendiaire - sorti le 5 janvier 2018, Donald Trump lance, comme à son habitude, le samedi 6 janvier 2018, un tweet très matinal, où la modestie le dispute à la paranoïa : « J’ai été un homme d’affaires à GRAND (en majuscules) succès, puis une super-vedette de la télévision, enfin élu président des Etats Unis d’Amérique dès le premier essai… Je pense que cela me qualifie comme étant non pas intelligent, mais comme étant un génie - et même un génie très équilibré."
Vous avez bien lu. Donald Trump parle de sa modeste personne et pas de George Washington, d’Abraham Lincoln ou de Franklin D. Roosevelt, ces présidents qui ont marqué l’histoire des Etats Unis.
Le journaliste a enquêté trois mois durant à la Maison Blanche. Il a franchi la porte de la Présidence plus de vingt fois en huit mois, d’après les enregistrements de la sécurité.
Il a tout vu et tout entendu. « Tout est explosif parce que tout est ainsi quand qu’il s’agit de Trump. Il est si anormal, il ressemble si peu à ce qu’il devrait être que tout ce qu’il fait est, d’une certaine manière, absurde. » Affirme-t-il (The Guardian, 14 janvier 2018). Pour ses collaborateurs comme pour le cercle rapproché de Trump, Wolff est catégorique : Trump est incapable d’assumer sa fonction tant sur le plan intellectuel que psychologique. « Je ne peux me mettre à la place des cliniciens, dit l’auteur. Mais je sais pertinemment de ce que j’ai vu et entendu des gens autour de lui, Trump est absolument imprévisible, irrationnel et il frise parfois l’incohérence. » Wolff assure que « Trump ne lit pas. Même pas en diagonale. Si c’est imprimé, çà pourrait aussi bien ne pas exister. Pour certains de ses collaborateurs, il est semi-analphabète. »(Le Monde, 7-8 janvier 2018, p. 3). Pour Wolff, la convocation d’une discussion bipartisane (démocrate et républicain) télévisée sur l’immigration et la sécurité aux frontières, la semaine de la parution du livre, est clairement destinée à montrer qu’il est sain d’esprit. Et l’auteur d’ajouter : « Cette réunion était étrange pour plusieurs raisons, y compris du fait de l’empressement de Trump à être d’accord avec chacun. J’ai parlé avec un certain nombre d’amis et de familiers de Trump. Il claironne « Je suis un négociateur » mais tous m’assurent qu’il n’a jamais négocié quoi que ce soit. La négociation exige une compréhension complète. Il faut être méthodique. Il ne le peut simplement pas. »
En tout cas, ce négociateur hors pair vient de lamentablement échouer sur le budget : le Congrès a mis au chômage technique tout le pays le 20 janvier 2018. Les démocrates ont refusé, en effet, de financer la construction du mur anti-immigré avec le Mexique promis par le Président. Joli cadeau d’anniversaire pour un président qui vient de passer juste un an à la Maison Blanche ! Et 55% d’Américains rejettent maintenant ce président qui a proféré 103 contre-vérités en 10 mois d’après le New York Times!
A qui profite cette élection inattendue ?
Trump, vedette et héros de la télé-réalité, a été élu grâce au vote des laissés pour compte du « système ». Ce « système » qui, en 1950, faisait que 1% des Américains les plus riches trustait 25% de la richesse du pays et qui, en 2017, fait que ce fameux « 1% » en possède 40%. La fracture sociale n’a jamais été aussi béante : ses électeurs vivent dans des mobile homes et ne peuvent se payer un dentiste ou un checkup chez le médecin. L’ascenseur social est tellement à l’arrêt que, en 2015 et 2016, l’espérance de vie des Américains a reculé. Phénomène sans précédent depuis 1945… qui fait ressembler les Etats Unis à Haïti, au Salvador ou à d’autres contrées africaines, ces pays « shitholes » (pays de m….) dont parle, dans son langage fleuri, Donald Trump. Les électeurs blancs de Trump - ouvriers, employés, agriculteurs endettés - les suprémacistes et les racistes ont pourtant de gros soucis : immenses difficultés face à la maladie sans la moindre assurance, gros problèmes de logement dans les villes et incapacité à faire faire des études supérieures à leurs enfants. Alain Frachon écrit : « Le Robin des bois des délaissés de la mondialisation avait promis de renforcer l’Etat social. Il finance ses baisses d’impôts par la dette et la réduction des programmes sociaux. » (Le Monde, 12 janvier 2018, p. 20).
Mais attention ! Ne nous laissons pas distraire par « le bruit et la fureur » ! Derrière l’écran de fumée, il y a, en réalité, une action réfléchie, pensée, déterminée et coordonnée de Trump - président des riches - qui favorise les intérêts des grands groupes américains sur les marchés et veut faire revivre l’impérialisme américain des années 1950. Paraphrasant Shakespeare, on dira : « Il délire, mais sa folie ne manque pas de méthode. »(L’Humanité, 18 janvier 2018, p. 2). C’est ainsi que derrière des tweets compulsifs débiles, Trump a augmenté le budget du Pentagone de 10% (ce qui équivaut à tout le budget de la Russie), alors que l’armée puisait déjà dans un immense coffre budgétaire. Bien entendu, le complexe militaro-industriel est à la fête et n’est pas mécontent de le voir menacer la Corée du Nord ou l’Iran. Trump a demandé fermement aux alliés de l’Amérique (OTAN) d’augmenter le budget de leurs forces militaires pour atteindre 2% du PIB. Emmanuel Macron s’est plié à cette injonction, comme le prouvent ses annonces aux armées, à Brest, le 19 janvier 2018. Par ailleurs, Wall Street exulte et affiche une croissance de 25% crevant le plafond symbolique des 26000 points. La bourse se porte très bien mais 45 millions d’Américains n’ont pas de couverture médicale.
L’axe d’extrême droite pro-israélien à la maison blanche
Dans son livre, Wolff écrit que Steve Bannon, l’ex-conseiller principal de Trump, a plaidé, dès le premier jour de la présidence Trump, pour le transfert de l’ambassade américaine en Israël à Jérusalem. Il comptait aussi écarter définitivement la solution à deux Etats en annonçant que la Jordanie allait récupérer la Cisjordanie et l’Egypte la bande de Gaza et d’ajouter : « Essayons de leur abandonner ces territoires ou qu’ils crèvent avec». Il affirmait à qui voulait l’entendre que le milliardaire Adelson, Trump et Netanyahou sont d’accord avec cette idée. Mais il y a, peut-être, derrière cette idée, l’intention d’amener les Palestiniens à réduire leurs exigences et d’être plus réceptifs aux ordres de Trump.
Wolff donne des détails croustillants sur le traitement du conflit à la Maison Blanche. Trump aurait nommé son gendre Krushner, juif orthodoxe, pour s’occuper de ce dossier, non pour ses liens de famille, mais presque par antisémitisme en se disant peut-être: « Que les juifs se débrouillent entre eux ». (Haaretz, 7 et 8 janvier 2018). Mais le plus gros donneur de la campagne électorale de Trump, le magnat des casinos Adelson, sur ce même dossier, n’avait confiance qu’en Bannon, disait-il constamment au Président. Il n’avait aucune considération pour Kushner qu’il critiquait ouvertement devant Trump. Adelson jugeait que Bannon était plus à droite que Kushner, trop proche des Républicains à son goût. Or, plus on est à droite, plus on est favorable à Israël. Cependant, Bannon peut être vu comme antisémite mais son cas n’est pas grave car il n’est pas contre tous les juifs parce qu’ils sont juifs ; en fait, il rejette les juifs qui ne sont pas d’accord avec ses vues ultra droitières. Le livre révèle que le père de Trump était un antisémite enragé. Il a déteint sur son fils mais ce dernier a appris à respecter les gros bonnets de l’immobilier de New York et à travailler avec eux sinon ils le mettaient à terre.
Il ressort de la lecture de « Fire and Fury » qu’un triumvirat Netanyahou-Adelson-Bannon influençait - voire dictait - à Trump sa politique au Moyen-Orient et plus encore. Trump vient en effet de libérer le rabbin Shalom Rubaskin condamné à 27 ans de prison. Ce saint homme était convaincu de 86 fraudes fiscales et bancaires et de faillite frauduleuse de son abattoir cacher où il employait des immigrants illégaux. Mais Rubaskin était un gros donneur du Parti Républicain et il n’aura purgé que 8 ans de prison!
Trump a choisi de faire l’exact opposé de la politique de Barack Obama, un président « faible » par rapport à l’islamisme et l’islam, toujours amalgamés à dessein. Le Président pense que l’Iran, l’Arabie Saoudite, l’Egypte et Israël sont les seules puissances qui comptent dans la région. Les trois derniers peuvent former une alliance anti-Téhéran - et c’est ce qui compte, par-dessus tout - aux yeux de Trump. Marie-Cécile Naves écrit : « Il y a tout de même une cohérence entre le transfert de l’ambassade à Jérusalem, le rapprochement avec l’Arabie Saoudite et la critique de l’accord sur le nucléaire iranien. » (Politis, 18janvier 2018, p. 25)
Wolff montre dans cet ouvrage que la politique moyen-orientale de Trump s’apparente à une cabale d’extrême droite qui pourrait trouver aisément sa place dans les franges de la droite du Likoud, le parti de Netanyahou. C’est à se demander si cette aile du Likoud ne guiderait pas la politique de Trump au Moyen-Orient. Avec l’éviction de Bannon de la Maison Blanche, il reste à voir si cette politique va lui survivre ou pas. Si elle lui survit, l’extrême droite jubilera mais la situation des Palestiniens ne fera que s’aggraver. Trump n’a-t-il pas déjà coupé les vivres aux Palestiniens en s’opposant au versement de 45 millions de dollars d’aide alimentaire pour les réfugiés des camps palestiniens **?
* La version en français de « Fire and Fury » sera disponible le 22 février 2018 chez l’éditeur Robert Laffont (Paris).
** Le 31 janvier 2018, Ahed Tamimi fêtera son 17ème anniversaire dans une geôle sioniste après avoir giflé un soldat de l’occupant qui a tiré une balle en pleine tête à son cousin de 15 ans. Ceux qui soutiennent le juste combat des Palestiniens peuvent lui écrire à l’occasion de cet anniversaire à l’adresse suivante:
Ahed Tamimi
HaSharon prison
Ben Yehuda P.O. Box 7
40 330 Israël
Mohamed Larbi Bouguerra
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