La réconciliation nationale : un sujet brûlant, mais des solutions existent
Les objectifs pour lesquels la révolution a eu lieu en 2011, n’ont pas encore été atteints. Pourtant, plusieurs gouvernements se sont succédés et chacun déclare que ce dossier constitue l’une de ses priorités absolues. Une commission de réconciliation nationale a été créé à cet effet, mais celle-ci se trouve encore accablée par un manque de volonté politique, de pouvoir d’investigation nécessaire, mais aussi de moyens humains et financiers pour traiter ce dossier. La problématique est certes complexe, mais des solutions existent si le gouvernement a une vraie volonté politique de la traiter. Nous avons perdu beaucoup de temps que nous ne pouvons malheureusement pas rattraper. Cependant, nous pouvons agir de suite et arrêter de perdre encore du temps. La réconciliation nationale constitue pour moi, un des préalables de la relance économique en Tunisie. Le traitement de ce dossier pourrait fortement rétablir la confiance du citoyen dans son gouvernement et ses acteurs politiques. La restauration de la confiance est une condition nécessaire pour remettre le tunisien au travail et à la productivité et augmenter chez lui le sentiment d’appartenance à la patrie. De ce fait, la Tunisie a plus que besoin aujourd’hui de se réconcilier avec elle-même, mais comment?
Les différents acteurs politiques (Président, gouvernement, députés, partis politiques, etc.) doivent tout d’abord se mettre d’accord sur les grands principes à adopter pour traiter rapidement ce dossier. Certaines sources parlent d’environ 6000 dossiers à traiter et tout le monde sait le temps que cela peut prendre si nous soumettons tous ces dossiers à la justice. A titre d’exemple, si la commission de réconciliation traite trois dossiers par jour (ce qui est très difficile compte tenu de la complexité juridique des dossiers), il lui faudra environ 2000 jours effectifs pour traiter tous les dossiers, soit environ 5 ans. C’est la raison pour laquelle, une vraie réflexion doit être menée en amont afin d’adopter une méthode de traitement des dossiers qui soit à la fois simple, efficaces et justes. La méthode doit être aussi rapide et ne doit pas encombrer la justice. La méthode doit enfin instaurer des principes de sanctions faciles à mettre en oeuvre et qui font consensus: sanctions financières ou pénales? Les deux à la fois? Etc. En cas de difficulté de trouver un consensus sur les principes de sanctions, nous pouvons avoir recours au peuple tunisien qui tranchera par référendum.
Le gouvernement peut catégoriser les cas et adopter pour chacune de ces catégories un principe de sanction qui lui est propre. En l’absence de faits avérés, l’élément déterminant et infaillible permettant de catégoriser les dossiers est la situation patrimoniale des suspects compte tenu de leurs ressources licites et légitimes. Le gouvernement peut par exemple prévoir des sanctions financières et/ou pénales pour les suspects qui ont tiré profit personnel de leurs postes et des sanctions financières uniquement pour les cas qui ont exécuter des ordres sans tirer un avantage personnel. Le gouvernement peut avoir une plus grande légitimité éthique pour imposer de telles sanctions s’il impose à lui-même des règles éthiques et s’il invite tous ses membres à déclarer leurs situations patrimoniales et d’intérêts à une autorité qui sera chargée du suivi de la vie publique, comme cela se fait dans plusieurs pays européens (cf: Leaders: Comment restaurer l’éthique dans la fonction publique ).
En tout état de cause, je suggère au gouvernement de traiter ces dossiers en deux phases:
- Dans la première phase qui doit être rapide, il s’agit de traiter uniquement le volet financier, c’est-à-dire infliger une sanction financière en s’appuyant sur une évaluation du patrimoine de chaque suspect (y compris celui de son premier cercle familial le cas échéant). Plus concrètement, il s’agit de demander à tous les suspects de déclarer spontanément leurs patrimoines en Tunisie et à l’étranger et de les soumettre à des peines pénales en cas de déclarations mensongères. Sur la base de ces déclarations, le gouvernement peut infliger directement une sanction financière via une taxation d’office de tout le patrimoine injustifié de chaque déclarant. Sur le plan technique, l’opération est très simple: il s’agit de comparer le patrimoine de chaque suspect avec ses ressources licites sur la période travaillée en intégrant les héritages et les crédits obtenus et justifiables. Tout le patrimoine injustifié doit être taxé lourdement (90% voire même 100% par exemple). Bien évidemment, pour les dossiers de détournement des fonds publics avéré, la sanction financière peut consister à restituer les fonds volés avec le paiement d’une pénalité.
- Dans la seconde phase, il s’agit de traiter le volet juridique relatif à la responsabilité pénale du suspect, c’est-à-dire de déterminer si en plus de la sanction financière, le suspect est inculpable pénalement. Pour cette étape plus lourde la justice peut prendre un peu son temps pour traiter les dossiers d’une façon juste et équitable. Afin d’accélérer le processus de jugement, le gouvernement a le devoir de créer un ou plusieurs tribunaux spécifiques et les doter des moyens et pouvoirs d’investigations nécessaires pour accomplir leur mission. Une fois celle-ci accomplie, ces tribunaux sont dissouts naturellement.
Cette méthode de traitement des dossiers en deux étapes peut être la solution compte tenu de la complexité des dossiers à traiter et du temps que cela peut prendre. Taxer les patrimoines injustifiés me parait juste et équitable et pourrait faire rentrer rapidement de l’argent dans les caisses de l’Etat. Une fois la taxation d’office sur les patrimoines injustifiés est opérée, je suggère au gouvernement de mettre en place des contrôles à postériori des déclarations faites à la commission par les suspects et d’infliger des sanctions pénales en cas de fraude. Je suggère également d’assurer une transparence totale des fichiers constitués et des fonds collectés et de permettre la consultation de ces fichiers par le grand public. La sanction peut être aussi d’ordre sociale. Je suggère enfin la création d’une caisse spécifique dans laquelle seront virés tous les fonds collectés. Cette caisse pourrait être utilisée pour financer des projets d’investissement dans les régions intérieures du pays. Il est, en effet, inadmissible que le gouvernement continue à s’endetter auprès du FMI pour payer les salaires des fonctionnaires quand des fraudeurs et des voleurs continuent à vivre normalement en utilisant les fonds détournés des tunisiens. Il est aussi inadmissible que les réformes structurelles demandées par le FMI font peser le déficit de l’Etat et son endettement sur les épaules des tunisiens (levé des subventions sur les carburants et autres produits, réforme fiscale, réforme des retraites, etc.) quand les supposés fraudeurs et tricheurs continuent à exploiter les richesses des tunisiens et les fructifier. La Tunisie a besoin de tourner rapidement la page concernant ce dossier et se reconstruire.
Dr. Riadh Manita
Professeur associé NEOMA Business School et Expert -Comptable
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