Tunisie: Pourquoi la masse salariale a explosé
C’est la révélation d’un mal beaucoup plus profond: l’éclatement de tout un système qui échappe désormais à toute maîtrise. Sur chaque 1.000 DT de recettes fiscales collectées par l’Etat, 750 DT iront payer les salaires dans la fonction publique, surchargée avec plus de 639.000 agents. Il ne restera alors plus que 250 DT pour subvenir à toutes les autres charges de l’Etat et au financement des projets de développement. Rapportée au produit intérieur brut PIB, la masse salariale, qui avoisine actuellement 14,3 milliards de dinars, représente 15%. «L’une des plus élevées au monde», déplore le Fonds monétaire international (FMI) dans son récent rapport de mission à Tunis en avril 2017. La moyenne pour les pays émergents est de 8%.
On en est bien loin!
Comment en sommes-nous arrivés là? Qu’est-ce qui a fait exploser le plus les comptes: les recrutements massifs (plus de 130 000 depuis 2011), les augmentations successives, les promotions généralisées et autres «glissements», ou tout à la fois?Quel est le système actuel de rémunération dans la fonction publique et procède-t-il d’une stratégie cohérente et conséquente? Combien est payé un instituteur, un professeur de l’enseignement secondaire, un médecin, un magistrat, un ingénieur ou un administrateur?
Peut-on à la fois augmenter sensiblement le PIB et réduire la masse salariale pour la contenir progressivement à un taux de 12,5%, à l’horizon 2020 ? Quelles options soumises à l’examen du gouvernement et à l’Ugtt et quelles solutions effectives possibles?
Mais aussi et surtout: où en est aujourd’hui la fonction publique? Est-elle encore une seule grande entité unifiée ou a-t-elle éclaté en plusieurs fonctions publiques?
vilipendée de toutes parts, l’Administration publique en est aujourd’hui traumatisée. Pourtant, c’est elle qui, avec l’Armée, avait tenu le système en fonctionnement dès le 14 Janvier et évité à l’Etat de s’effondrer. Résistant vaillamment à la «déconstruction» poussive, continuant à assurer les services publics et préservant précieusement archives et procédures, elle a fait montre d’un haut degré de patriotisme et d’un sens élevé de l’Etat. De nobles valeurs qui risquent d’être torpillées par l’éclatement général du système, la dislocation des corps, l’iniquité des traitements et le creusement des écarts. Le laxisme général, l’immobilisme sous crainte de poursuites judiciaires au titre de l’article 96 du Code pénal (se procurer ou procurer à un tiers un avantage injustifié, etc.), l’archaïsme général de la réglementation comme des procédures et des outils et le manque de moyens logistique, aggravent davantage la situation.
Le gouvernement Youssef Chahed aura-t-il le courage d’engager la refonte de la fonction publique et, partant, de l’Administration publique?
Autant de questions posées à travers ce dossier spécial instruit par Leaders, apportant des éclairages chiffrés exclusifs et des éléments de réponse utiles pour engager un grand débat national.
«La goutte qui a fait déborder le vase»
De 8,5 milliards de dinars en 2010, la masse salariale a flambé à 14,3 milliards de dinars en 2016. Le ratio par rapport au PIB s’est accru de 10% (soit 50% des recettes de l’Etat) à 13,5% en 2015, puis 14,5% en 2016, avec une forte probabilité de 15% cette année:
Année | Part des salaires / PIB | Soit par rapport aux recettes de l’Etat | Reste pour les autres dépenses de l’Etat |
2010 | 10,0% | 50% | 50% |
2015 | 13,5% | 68% | 33% |
2016 | 14,5% | 73% | 28% |
Estimations 2017 | 15,0% | 75% | 25% |
C’est ce ratio, s’ajoutant à d’autres indicateurs et à la lenteur dans la mise en œuvre des réformes convenues, qui a le plus alerté le FMI, le conduisant à suspendre son programme de financement privant la Tunisie, sans préavis, de la dernière tranche d’un montant de 180 millions de dollars.
Evolution de la masse salariale brute en DT
Année | Montant |
2010 | 1064,9 |
2011 | 1127,5 |
2012 | 1184,7 |
2013 | 1287,3 |
2014 | 1334,3 |
2015 | 1388,9 |
Aux origines de l’explosion
Plusieurs facteurs ont en fait concouru depuis 2011 à cette augmentation vertigineuse de la masse salariale dans la fonction publique.
D’abord, au niveau des effectifs, soit près de 130.000 personnes, à la faveur de:
- La réintégration, avec révision du parcours professionnel, des bénéficiaires de l’amnistie générale,
- L’intégration des contractuels,
- L’insertion du personnel des entreprises de sous-traitance,
- Le recrutement d’une partie des ouvriers des chantiers publics,
- Les nouveaux recrutements.
Ensuite, les augmentations successives de salaires, les avancements et promotions généralisés, la revalorisation des primes existantes et l’instauration de nouvelles primes et d’autres avantages spécifiques. Sous la pression d’une forte revendication corporatiste syndicalisée, relayée dans les médias sur fond de tensions sociales, de grèves notamment, dans des secteurs sensibles bloquant des services essentiels, tel ou tel ministre a dû céder. Plus d’une fois, le gouvernement s’est trouvé confronté à un fait accompli, sans pouvoir le remettre en cause.
La pyramide éclatée et la cohérence disloquée
Les effets de ces «augmentations à la sauvette» et celles sectorielles non concertées avec la Kasbah, s’ajoutant aux recrutements massifs, «sont multiples et préjudiciables, dépassant le seul impact financier, explique à Leaders un spécialiste. La pyramide des effectifs et des augmentations s’en trouve complètement explosée. Jusque-là pilotée avec soin, cette pyramide reposait sur une philosophie de solidarité et un principe de cohérence.»
«La solidarité, poursuit-il, s’illustre à travers l’écart réduit entre les salaires. La rémunération la plus élevée ne dépasse pas 4 ou 5 fois la plus basse, même si ce rapport peut atteindre 10, voire 12 fois, dans certains autres pays. Ce choix de réduction des écarts, décidé dès l’indépendance, faisait éviter frustrations et antagonismes entre les membres d’une même famille. Quant à la cohérence générale du système, c’est ce qui garantit l’équilibre général entre corps, grades, fonctions et déploiement dans les ministères ainsi que les régions»
Une nouvelle logique s’installe
«Un double constat est établi, souligne à Leaders un chercheur en politiques salariales. Ce sont les plus forts, c’est-à-dire ceux qui s’appuient sur des syndicalistes tonitruants et médiatisés, mais aussi assurent des services clés (santé, éducation, recettes des finances, domaines de l’Etat, etc.) qui obtiennent le plus. Quant à ceux qui sont les plus disciplinés et les plus engagés, peu habitués à la revendication, ils ne bénéficient pas d’augmentations conséquentes. Les écarts se creusent et les frustrations s’attisent».
Des facteurs aggravants
En étudiant de près les comptes de la masse salariale explosée, on découvre des augmentations successives sous l’effet direct de la création de nouvelles primes et la majoration de celles existantes. En indirect, les promotions, surtout avec l’apparition d’un nouveau terme prisé par les syndicats: le glissement, érigé en droit automatique généralisé. Jusque-là, la promotion était accordée à partir d’une ancienneté de cinq ans dans le grade et de la réussite à un concours interne. Chaque année, un concours de promotion est ouvert, précisant le nombre de postes concernés qui est généralement situé entre 20 et 30% de la population cible. Le système, bien rodé, s’attachait à récompenser autant que possible le mérite, en opposition à l’égalitarisme.
Cette logique est à présent rompue. Se déclarant victimes de blocage de carrière sous l’ancien régime, des syndicats sont parvenus à imposer le principe du glissement, accordant à chaque fonctionnaire un grade d’office. Obtenant gain de cause, ils reviendront à la charge et arracheront, immédiatement après, un deuxième grade, comme pour la Santé publique. Ceux de l’Education nationale seront mieux lotis : ils bénéficieront, selon les catégories, de 2 à 4 grades. Quant aux fonctionnaires réintégrés au titre de l’amnistie, ils auront entre 1 et 3 grades.
D’un grade d’administrateur, on peut être propulsé immédiatement administrateur général (sans passer par administrateur conseiller, puis administrateur en chef). «La promotion dans le grade, relève un expert, se fait sans l’acquisition de nouvelles compétences ni une correspondance avec une élévation dans la fonction. Tout se chamboule.»
De grands écarts
L’évolution de la rémunération mensuelle brute a été inégale, créant de grands écarts au sein d’un même corps, mais aussi entre certains corps. C’est ainsi que les enseignants, les magistrats et les médecins ont bénéficié des taux d’augmentation les plus importants, variant entre 30 et 45%, depuis 2010. Pour certaines catégories relevant de ces corps, les augmentations mensuelles ont été de 35% pour des médecins (+928 D), 39% pour des magistrats (+860 D) et 47% pour des enseignants. Quant aux ingénieurs, ils ont obtenu 29% (+419 D). Parent pauvre, le corps commun de l’administration n’a eu pour sa part qu’une augmentation de 345D.
Tous ces montants s’entendent en brut et sont minorés, pour connaître le net perçu, de près du tiers, en retenues à la source au titre des impôts (entre 20 et 22%) et de la participation aux régimes de prévoyance sociale, de retraite et de capital décès (11,95%).
Et pourtant, elle tourne!
La capacité de résilience de l’Administration tunisienne est impressionnante. Considérée comme l’une des plus respectables dans les pays de notre catégorie, elle puise encore dans ses fondements les ressorts de son bon fonctionnement. Elle doit certes à son patrimoine capitalisé depuis de longs siècles, sous la dynastie husseinite déjà et revisité avec l’indépendance les réformes des années 1970, mais aussi et surtout à la compétence et l’abnégation de nombre de fonctionnaires.
Fidèles au poste en véritables résistants, ils n’ont jamais perdu la foi. Gardiens du temple, dernière souche, peut-être, ils sont capables aujourd’hui, si on leur donne l’occasion, les moyens et l’autorité, de contribuer utilement à la refonte de l’édifice.
Evolution de la moyenne du montant des augmentations du salaire mensuel brut entre 2010 et 2017
Corps | Montant |
Techniciens | 415,0 |
Enseignants du secondaire | 383,2 |
Enseignants du primaire | 736,31 |
Ingénieurs | 419,52 |
Magistrats | 860,43 |
Médecins | 928,24 |
Corps administratif commun | 345,33 |
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Les augmentations qui ont touché le nombre des salariès et des salaires, n’ont pas eu jusqu’à présent d’effet positif sur la croissance économique du pays. Par crainte de sabotage et d’arrêts abusifs du travail, les responsables politiques ont paniqué et ont pris des décisions contraires à la logique. En effet tout poste crée doit répondre à un besoin réel pour la création d’une amélioration des services rendus en vue d’augmenter la richesse en bien matériels et immatériels donc en biens et services. Au moment où le monde se développe, où l’informatique peut résoudre énormément de problèmes qui font principalement perdre du temps et de l’argent au citoyen Tunisien, on constate que l’administration publique alourdir ses dépenses énergétiques qu’il paye chèrement par son temps. sa santé et son argent. Ainsi, l’augmentation du nombre ses salariés n’est pas justifiée, car la mise à niveau, le recyclage et une meilleure gestion des ressources humaines avec l’élimination d’un nombre d’individus non productif ou ayant d’autres ressources personnelle en parallèle est plus utile pour les plus honnêtes Tunisiens. De plus l’augmentation des salaires peut être justifiée par l’administration elle-même, incapable pour raison ou pour une autre de bien contrôler les circuits de distribution et la répartition équitable des richesses produites par ceux qui l’ont produit par leur travail. De ce fait, il est à rappeler que tout travail est une dépense d’énergie évaluable à partir de trois facteurs essentiels à savoir, la puissance intellectuelle ou musculaire(P), le temps mis au travail pour l’accomplissement d’une opération donnée(T) et le rendement assuré par la bonne organisation et les moyens humains et matériel mis pour réussir la tache(r) soit (E=PxTxr). Les énergies à dépenser pour la mise en fonction, les services publics doivent être orientés de sorte à faciliter, dynamiser et coordonner les autres énergies développées par les citoyens producteurs (chacun selon ses disponibilités intellectuelle, musculaire, sanitaire, etc..) individuellement ou en groupe. Or, on constate avec amertume que la mentalité des générations précédentes ont mal influencé les jeunes qui ne croient qu’il y a avenir qu’en se cachant derrière un salaire reçu de la part d’un patron public ou privé, chose qui a rendu l’admiration publique une cible pour tous ceux qui ne sont pas capables de compter sur leurs réels potentiels pour voler plus haut, seuls ou en groupes. De plus pour des raisons politique, d’hégémonie et de grainage des foules, certaines organisations ont préférer utiliser la pesanteur psychique pour attirer le maximum de tunisiens voulant améliorer leurs situations matérielles même aux dépends de leurs concitoyens. En effet la pesanteur psychologique favorise l’arrêt de toute activité à l’opposition du travail productif qui nécessite une dépense énergétique par la réduction de (T), ci haut cité, car plus T est réduit plus E tend vers le minimum. De ce fait on comprend qu’il est plus facile de faire tomber une tonne qu’élever un seul petit gramme par le fait de la pesanteur. Ainsi, une réflexion et un travail de fond est à faire par le détenteur du prix Nobel, en vue de sensibiliser le public d’une part et de des canevas et des échelles de répartitions des richesses en fonction de l’énergie dépensée au travail productif et la plus sévère répression pour ceux qui sabotent ou freinent la production de ceux qui assurent la survie de la nation à partir de leurs honnête effort. Toute amélioration est possible, à condition de remplacer le banditisme émanant d’un égoïsme extrême par une gérance équitable basée sur meilleure répartition des énergies et des sacrifices pour bien vivre ensemble en paix avec l’esprit Tous pour un et un pour tous (Actuellement, très théorique pour les Tunisiens de2017). Architecte-Urbaniste- Expert.
Sources des données ? Et rédacteur ?