Lettre ouverte à M. Le Ministre du Développement, des Investissements et de la Coopération internationale
La poursuite des mouvements sociaux dans plusieurs régions, malgré l’annonce des programmes de visites du chef de gouvernement à différents gouvernorats, avec des grèves et des sit in auxquels participent des centaines de jeunes à Tataouine, Kairouan, Téboursouk, au Kef avec parfois des protestataires qui agitent des menaces d’escalades … m’amène à penser à la relance de notre agriculture comme contribution possible à désamorcer cette crise. Le lancement de bons projets agricoles, dans ces régions usées par de si longues périodes de chômage et de retards cumulées par tous ces retards durant cette période dite transitoire alors que des gouvernements, des assemblées, des instances… qui se font et se défont à travers les années qui passent au gré d’hommes politiques qui, parfois n’ont jamais quitté la ville. Mais faut-il encore qu’on ait sous la main des projets étudiés, avec des financements déterminés et rendus opérationnels….
Le MDICI étant créé pour orienter les objectifs à atteindre, la mise au point des politiques adaptées… et la conception de pareils projets ; mais l’avis de compétences techniques dans chacun des secteurs ne peut qu’aider à la prise de la bonne décision. A titre d’exemple, M. Hédi Larbi ancien expert à la BM, dans sa conférence du 25 février dernier au Cercle Khereddine, a essayé d’attirer l’attention sur les approches adoptées par des pays aussi différents que la Slovénie, l’Uruguay, la Suède ou Singapour s’étaient tirées de leurs crises économiques, parce qu’ils ont eu le courage de s’incliner devant l’intérêt national, en faisant appel à des compétences nationales et internationales pour déterminer leurs stratégies de développement et réussir leur sortie de crise avant d’arrêter la politique adaptée.
Or, lors de la conférence 2020 de Novembre dernier, 5 projets agricoles ont été présentés et pour lesquels le MDICI pourrait prévoir un démarrage à court terme en 2017 ; en plus du projet de 240 milliards, qui, sans avoir été prévu à la conférence 2020, a été signé récemment aux Etats-Unis. D’où les questions sur ce que sont advenu ces projets ? Leurs études de faisabilité avaient-elles été faites ? A-t’on au moins consulté des compétences dans les choix et la conception pour ce faire ? Peut-on compter sur elles pour créer aujourd’hui de l’emploi et alléger par la même occasion les crises du chômage et de développement auxquels le gouvernement est confronté ?
Parmi les projets qui avaient été proposés à cette conférence 2020, et pour alléger les tensions à l’occasion des visites du chef du gouvernement aux régions ; n’y-a-t-il pas lieu de tirer ces 5 projets du tiroir. Résumons ces projets pour mieux comprendre:
1.Le Projet de Développement Agricole Intégré (PDAI) de 730 MDT, avec des investissements à réaliser par l'Etat sur financement extérieur
Ce Projet vise à réduire la pauvreté et le taux de chômage en milieu rural à travers la promotion d’un développement agricole durable pour une partie de la population rurale en améliorant leurs revenus notamment dans les régions les plus défavorisées du pays dans le bassin versant d’Oued Tessa au Kef, le sud de Siliana, l’ouest de Mahdia, le sud-est de Zaghouan, les zones montagneuses de Sidi Bouzid, les collines de Kairouan, l’ouest de Bizerte et le sud de Kasserine. Une partie des actions étant de nature à créer des emplois au moins provisoires.
Mais comme seulement les études afférentes à Bizerte et à Kasserine sont prêtes, il y lieu d’accélérer le restant des études.
2.Construction de pistes à l’intérieur des périmètres irrigués 132 MDT, avec des investissements à réaliser par l'Etat sur financement extérieur
La Tunisie compte 420 000 hectares de périmètres irrigués représentant environ 8% de la surface agricole en Tunisie mais fournissant plus de 35% de la production agricole nationale. Les conditions d’accès et de déplacement au sein de nombre de ces périmètres sont toutefois difficiles et contribuent au creusement de l’écart entre la production enregistrée et celle potentielle.
Le présent projet vise à travers la construction de 500 km de pistes afin d’améliorer les conditions de transport au sein des périmètres irrigués et à contribuer ainsi à l’amélioration du rendement productif de ces périmètres.
Le projet consiste à construire 500 km de pistes à l’intérieur des périmètres irrigués dans 14 gouvernorats : Zaghouan, Beja, Jendouba, Siliana, Le Kef, Kairouan, Kasserine, Sidi Bouzid, Gabès, Gafsa, Kébili, Médenine, Tataouine et Tozeur.
Les études en cours d’achèvement gagneraient beaucoup en efficience du projet et en création d’emplois, si on inclut des actions d’encadrement des agriculteurs pour valoriser au mieux l’apport d’eau.
3.Création de 1000 hectares de périmètres irrigués dans le gouvernorat de Tataouine pour 100 MDT, avec des investissements à réaliser par l'Etat sur financement extérieur
Le potentiel inexploité des nappes phréatiques qui s’élève à environ 2 mm3 par an serait suffisant pour le développement de 2000 hectares de nouveaux périmètres irrigués dans ce Gouvernorat.
Le projet consiste à créer des périmètres irrigués de superficie totale de 1000 ha sur les zones arides et enclavées de Borj Bouguiba, Lorzot et Oued Zar. D’où la nécessité de changer d’approche pour ne plus limiter le projet aux seuls ‘’périmètres dits irrigués’’ et d’y intégrer 100.000 à 200.000 ha des superficies désertisées qui les environnent ; en vu de développer des exploitations intégrées et autonomes conduites partiellement en sec et partiellement en irrigué spécialisées en élevage, viables avec ce que cela implique comme opérations de mises en défens, de ressemis ou de replantations d’espèces pastorales éventuels. Soit des emplois pour jeunes diplômés, non diplômés, d’encadreurs… ; de création de structures de formation de personnel à spécialiser, d’approvisionnement, de commercialisation…
L’étude préliminaire étant achevée, il s’agit de confier la suite de l’étude à des compétences capables d’y intégrer ce genre de valorisation.
4.Programme de relance de l’investissement et de modernisation des exploitations agricoles (PRIMEA) pour 180 MDT, avec des investissements à réaliser par l'Etat sur financement extérieur
Le projet vise à accompagner la stratégie de relance de l’investissement, dans sa déclinaison dans le secteur agricole par la modernisation des exploitations, la sécurité alimentaire et la stabilité des territoires ruraux, avec une création d’emplois dans ces territoires par le maintien des exploitations viables, rentables et compétitives et un accompagnement par une démarche de conseil et de mise à niveau, la mise en place d’un dispositif de conseil technico économique performant et professionnel au service de la mise à niveau des exploitations agricoles ; le financement des projets de mise à niveau des exploitations agricoles; la réforme des institutions et du processus d’incitation à l’investissement par une implication des institutions financières et de la société civile.
L’étude ayant été faite par l’AFD, sa réalisation dans un cadre de coopération Tunisie/AFD pourrait débuter rapidement.
5.Programme de Développement Intégré (PDI) 3e tranche pour 700 MDT, avec des investissements à réaliser par l'Etat sur financement extérieur
Le PDI mis en place en 2010, visant à créer une dynamique économique spécifique locale par la valorisation d’activités et favorisant la fixation des populations de régions défavorisées, dans leurs milieux d’origine, comprenant un ensemble de 90 projets de développement de 90 délégations prioritaires et à problématiques spécifiques et, à travers la réalisation de projets productifs et d’infrastructures.
Cette tranche comprend 100 projets intégrés dans 100 délégations avec deux types d’actions:
- La réalisation d’activités à caractère productif, la formation ainsi que la promotion et l’encouragement à la création de projets individuels productifs.
- L’amélioration de l’infrastructure de base et des équipements socio-collectifs…..
Une nouvelle gouvernance est nécessaire
Si j’ai cité ces projets, et même si ce ne sont pas des projets Tayara, comme diraient nos jeunes d’aujourd’hui, calqués qu’ils sont sur des modèles du temps de Ben Ali ; ils pourraient être améliorés après démarrage en accord avec les bailleurs de fonds que le MDICI aura sélectionnés. Ces projets à caractère agricole ont l’avantage d’être répartis dans ces régions, si délaissées jusqu’à présent, peuvent former une première amorce positive d’intervention de l’Etat et un début d’absorption du chômage dans ces gouvernorats ; mais faut-il leur donner la chance pour les réussir !
L’exemple de la réussite, dans les années 1970, des Offices de Mise en Valeur peut être évoqué ici ; car avec une poignée de cadres (dont moi-même Malek Ben Salah, Hechmi Braham, Abdallah et Mehrez Fékih, Habib Essid, Mohamed Salah Hamzaoui... et quelques autres…), ces offices ont donné une grande efficacité à l’action du gouvernement et avaient réussi leur mission là où les services traditionnels de l’Administration continuaient à mener leur maussade train train habituel. L’armée, de son côté, a accompli un miracle dans sa création des périmètres de Rgim Maatoug et de Faouar en pleine zone saharienne.
Aujourd’hui, nous avons tout intérêt à donner à nos gouvernorats intérieurs et frontaliers les mêmes chances de réussite dans leurs développements respectifs à travers le lancement de ces 1ers projets en cumulant l’avantage de la formule Office et celle de la rigueur dans le travail qu’apporteront les militaires. La création d’un Office Militaire dans chacun des 14 gouvernorats intérieurs concernés ne fera qu’apporter une meilleure gouvernance à ces projets. Dirigés et encadrés par des officiers et sous officiers, les jeunes à enrôler dans ces régions pourront alors bénéficier des formations que donne l’Armée dans les domaines militaire et civil, ces offices qui enrôleraient simultanément les diplômés des institutions supérieures agronomiques et de gestion (filles et garçons), joueront à la fois un rôle dans la défense des régions frontalières et dans leur développement et la laborieuse relance de l’agriculture.
On pourra recréer ainsi de véritables moines-soldats soit ‘’des mourabitines hommes et femmes’’ formés pour défendre les frontières contre le terrorisme tout en créant de l’emploi, du développement, de la modernisation de régions qui en ont bien besoin. L’Office Militaire jouant le rôle d’un Ribat du XXIème siècle.
Et la recherche!
Les véritables progrès d’un pays exigeant un accompagnement simultané de la recherche, la création d’une section recherche (ou l’intégration des pôles ou stations de recherche existante) et de projets recherche/développement sont souhaitables pour de meilleurs résultats, selon les régions, de leur agriculture et leur foresterie de montagne, leur agriculture oasienne, leur agriculture saharienne et pastorale. Ces spécialités qui manquent cruellement au pays depuis l’Indépendance.
M. Le Ministre du Développement, des Investissements et de la Coopération internationale, il vous reste à trouver les financements promis par cette Conférence TUNISIA 2020 et d’étudier et mettre en place de plus en plus de projets agricoles durant les dix prochaines années pour que le département joue soit Développeur.
Malek Ben Salah
Ingénieur général d’agronomie, consultant indépendant,
spécialiste d’agriculture/élevage de l’ENSSAA de Paris
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Je félicite notre expert Malek Ben Salah pour l'article publié montrant la capacité du secteur agricole à contribuer efficacement dans le développement du pays, la réalisation de la croissance et la création de l'emploi et de la richesse. Malheureusement peu de responsables politiques et économiques croient à ce potentiel. Les projets et programmes cités contribuent à cette démarche et peuvent une fois réalisés dans l'amélioration de la situation des régions de l'intérieur. Ceci étant, il est nécessaire que ces programmes ne restent pas des actions isolées justifiées par la situation de tel ou tel zone ou secteur, mais qu'ils s’insèrent dans une stratégie globale et une démarche cohérente visant à redonner à l'agriculture et à l'industrie agro-alimentaire sa place en tant que pilier principal du développement économique et social à l'échelle nationale.
Des propositions très pertinentes pour enclencher un développement durable dans les gouvernorats frontaliers et y réduire le taux de chômage, oui pour une meilleure gouvernance cependant les militaires ont actuellement une mission prioritaire pour défendre les frontières et les charger de faire du développement agricole dans le contexte actuel ne peut que les détourner d'accomplir leur mission principale.