Chaima Bouhlel: de Harvard à la présidence d’al Bawsala
Elle vient de succéder à Olfa Ben Abdelkarim et à Amira Yahyaoui pour présider al Bawsala, l’illustre ONG tunisienne qui a fondé son combat sur le contrôle de l’activité parlementaire et gouvernementale de la classe politique. Chaima Bouhlel, 27 ans, diplômée de Harvard en philosophie politique et en biochimie, a du punch. Les cheveux en bataille, mais les idées en ordre, la jeune femme est passionnée de politique, depuis longtemps immergée dans le milieu associatif, et compte ne rien laisser passer qui puisse nuire à la transparence de la vie publique tunisienne. Le dynamisme et la ferveur dont elle a fait preuve durant les premières années de son engagement associatif, notamment au sein d’al Bawsala, lui ont valu d’être élue à la tête de l’ONG. Portrait.
Elle parle un arabe mêlé de franglais, plonge ses connaissances dans une multidisciplinarité forgée au cours de son parcours universitaire à Harvard, où elle a étudié à la fois la biochimie et les sciences politiques, mais elle va surtout droit au but, et parle sans circonvolution. Chaima Bouhlel semble avoir la personnalité et les qualités humaines qu’il faut pour piloter une ONG investie dans le contrôle concret et la vulgarisation pragmatique de l’action politique. Au sein d’al Bawsala, elle a d’ailleurs largement fait ses preuves. La diplômée de Harvard a été depuis 2014 et jusqu’à son élection la cheffe du projet «Marsad Baladiya», un observatoire destiné à contrôler l’activité des...264 municipalités tunisiennes ! Bête noire des responsables politiques corrompus, l’ONG a en effet mis en place cet observatoire pour s’enquérir des procès- verbaux des conseils municipaux, des détails des budgets et des organigrammes dans l’objectif non dissimulé de banaliser l’accès à l’information et aux documents administratifs et de dénoncer quiconque les en empêcherait, «comme l’énonce le décret-loi 41», assène Chaima.
Plus résolue encore a été la création d’un groupe d’observateurs volontaires, de tous âges et de toutes appartenances, répartis entre les municipalités où chacun d’eux réside, et auquel a été dispensée une formation visant à leur donner des outils de surveillance de l’action des pouvoirs locaux. «Leur coopération et leur engagement volontaire ont été extrêmement stimulants pour la poursuite du projet», explique Chaima Bouhlel.
Un riche métissage culturel
Son attachement viscéral à la Tunisie provient en partie de la distance qui l’en a longtemps séparée. Née d’une mère monastirienne et d’un père originaire de Msaken, la jeune femme s’envole juste après sa naissance pour l’Arabie saoudite, où ses parents devaient partir enseigner l’anglais dans le cadre d’une convention entre des écoles tunisiennes et arabes du Golfe. Elle y restera jusqu’à l’obtention de son bac à l’issue duquel elle voit sa candidature à Harvard acceptée.
Pendant son cursus de quatre ans, elle se passionne pour la philosophie politique aux origines des droits de l’Homme, pour les débats entourant la nécessité politique de la critique et de l’activisme, mais également pour la lutte contre la torture et la peine de mort, endémiques aux Etats-Unis. Des thèmes dont elle ne pensait pas encore qu’ils s’imposeraient dans un avenir si proche au cœur du débat sociopolitique tunisien.
L’irrésistible appel de la patrie
«J’ai depuis toujours su que je reviendrais vivre un jour en Tunisie. Ma terre natale, je la considère à la fois comme point de départ et point d’arrivée», explique-t-elle. Diplômée de son Bachelor degree en décembre 2011, à l’âge de 22 ans, la révolution hâte d’autant plus son retour en Tunisie, où elle désire s’investir dans le tissu associatif. Une rencontre à la fois décisive et inattendue accélère la réalisation de son souhait.
«J’ai retrouvé un activiste libanais que j’ai connu à Harvard, explique-t-elle. Il était sur le point d’ouvrir en Tunisie le bureau d’une organisation à but non lucratif britannique, l’Institute for war and peace reporting.» Il lui propose de la recruter afin qu’elle pilote l’orientation stratégique de l’organisation, dont l’un des projets s’articulait autour de la promotion du journalisme citoyen et de l’indépendance des médias. La militante y travaille pendant une année, part à la découverte des régions les plus reculées du pays aux côtés de journalistes, et s’imbibe de la réalité sociale du pays, souvent émaillée de tensions.
Fascinée, passionnée, déterminée
Au cours d’un bref passage par l’association de microcrédit ENDA, elle fait la connaissance d’Ons Ben Abdelkarim, secrétaire générale à l’époque d’al Bawsala. Attirée par la démarche énergique de l’ONG, «fascinée par la vigueur, la jeunesse et la force de proposition de son équipe», elle accepte l’invitation d’Ons à diriger l’observatoire des municipalités. «La liberté laissée aux cadres d’al Bawsala et leur indépendance dans la conduite de leurs projets m’ont beaucoup séduite, une expérience truffée de challenges s’ouvrait devant moi», raconte-t-elle. Aujourd’hui, la jeune femme voit son mandat de trois ans comme une mission, un pari à tenir. Sur le plan interne, elle désire moderniser et développer la gestion de l’ONG, dont le plan d’action et l’équipe ne cessent de gonfler. Mais la nouvelle directrice désire surtout aiguiser la stratégie de consolidation de la transparence visant à promouvoir et normaliser l’intégrité politique. Mais pour gagner le pari de la vulgarisation et de la diffusion grand public d’analyses fouillées de la situation sociopolitique, Chaima Bouhlel estime que l’axe essentiellement juridique sur lequel s’est toujours appuyée l’ONG ne peut plus à lui seul être opérant.
«Forte surtout d’experts en sciences juridiques et en économie, l’équipe manque de sociologues», observe Chaima. Pour elle, si l’action politique s’inscrit dans la mise en place de solutions de court terme, les milieux intellectuel et associatif doivent davantage, grâce à leurs outils d’analyse et d’action, conscientiser le citoyen, et élargir l’horizon des possibles.
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Bon courage à toute l'équipe, déjà pour les municipales et surtout l'après municipale il va devoir être très vigilant !!! Merci pour ce que vous faites pour la Tunisie