La Chine et le «Nouvel Ordre Eurasiatique»: Opportunités pour la Tunisie
Un Bref Témoignage
Aussitôt après la fin de sa révolution culturelle et la mort de son leader historique et son fondateur Mao Zedong, La République populaire de Chine, reconnue « puissance mondiale » de fait en sa qualité de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, et parallèlement à son engagement discret dans le développement de ses capacités militaires et nucléaires, entame aux débuts des années 1980 sa politique d’ouverture sur l’extérieuravec comme objectif l’accélération de la croissance et la modernisation de son économie. C’était sous l’instigation de Deng Xiaoping qui avait engagéla double libéralisation avec la fin du « Tout-Etat » à l’intérieur et les débuts de l’ouverture avec l’extérieur. Militant de la première heure au sein du Parti Communiste Chinois, il cultivait un sentiment de faveur au capitalisme « socialisant » qu’il incarnait à travers la doctrine de « l’Economie Socialiste de Marché » dont il est le concepteur. Il avait présidé à la mise en œuvre de sa doctrine pendant plus d’une décennie avec des résultats probants avant de passer le flambeau au Président Jiang Zemin engagé à ses côtésdans la même tendance. Le Président HuJintaocontinuait sur la même voie avec un dosage de politique sociale et environnementale.
J’ai eu la chance de connaitre quelque peu la Chine au cours de cette étape à l’occasion d’une visite de travail à la fin des années 1980 et pour y avoir résidé pendant trois ans (2002-2004) en tant qu’ambassadeur de Tunisie à Beijing où j’ai présenté mes lettres de créance au Président Jiang Zemin qui a effectué une visite officielle en Tunisie quelques mois après. A la fin de ma mission j’ai fait mes adieux au Président Hu Jintao.Au cours de cette période, j’ai pu apprécier en tant qu’observateur avisé la grandeur de la Chine à travers son histoire et sa civilisation plusieurs fois millénaires,certes, mais aussi à travers les pas de géants franchis sur la voie du développement en l’espace de vingt ans (1980-2000) dans le cadre de « l’Economie Socialiste de Marché » et grâce notamment à l’engagement dans les filières de la science et de la technologie et à la création des zones économiques spéciales (Guangdong, Fujian, Shenzhen, Xiamen, Hainan, Shanghai,…). Le pays connait depuis près de trois décennies un essor économique sans précédent avec une croissance à deux chiffres se confirmant ainsi de manière irréversible en tant que puissance économique sur l’échiquier international en compétition avec les grandes puissances occidentales. En témoigne aussi la récente décision du FMI sur l’introduction de la monnaie chinoise dans les « Droits de Tirage Spéciaux » (DTS) comme monnaie de réserves mondiales à côté du Dollar, de l’Euro, de la £et du Yen. Un « Success Story » incontestable qui n’est pas sans rapport avec la nouvelle ambition de la Chine de devenir un acteur à part entièresur la scène géopolitique internationale allant jusqu’à brandir le slogan du « Nouvel Ordre Eurasiatique » de concert avec la Russie.
Le Pari du « Go to World » de la Chine
Les premiers résultats du pari de la Chine sur l’ouverture à l’économie mondiale « Go to World » n’ont pas tardé à venir. Après son entrée au FMI et à la BIRD, elle adhère en 2001 à l’OMC confirmant ainsi sa place dans l’économie internationale faisant d’elle un nouveau pôle économique de dimension mondiale à l’instar des USA, de l’UE et du Japon.
La Chine, qui s’ouvre sur les capitaux extérieurs essentiellement occidentaux, investit aussi de plus en plus à l’étranger. Elle est le premier souscripteur des bons de trésor Américains en dépit de la politique d’endiguement orchestrée en son encontre par les Etats-Unis en Asie. Elle investit dans les pays en développement, dans son voisinage immédiat, mais aussi en Afrique et au Monde Arabe où elle a mis en place des « Forums de Coopération » pour promouvoir le commerce et l’investissement dans les ressources énergétiques et minières et dans les infrastructures. Elle a créé, à cet effet, les mécanismes adéquats pour la mobilisation des ressources financières nécessaires à la mise en œuvre de sa politique d’ouverture sur l’extérieur, aide au développement ( dons, subventions, crédits concessionnels ), partenariat et investissements directs. Les fonds souverains, les banques publiques dont notamment l’Exim-Bank et les grandes entreprises d’Etat sont les instruments d’exécution de cette politique. De gros engagements financiers qui ne seraient pas sans risques ; mais non sans calculs et contreparties.
La Chine connait une « nouvelle transition » politique depuis 2013 avec une nouvelle génération de dirigeants (la cinquième dit-on) sous la présidence de Xi Jinping, appelée à prendre ses responsabilités dans les affaires du Monde à une époque d’ouverture sans remparts( même pas la fameuse grande muraille de Chine ) dans une géopolitique mouvante et difficilement prévisible. Avec, toutefois, un héritage rassurant au niveau de la place du pays dans l’économie mondiale.La nouvelle équipe ne manque pas d’audace, ni de courage, pour faire siennes les ambitions de ses prédécesseurs en matière d’ouverture sur l’extérieur. En 2014, et à la fois pour marquer l’ampleur de la démarche et partager les risques, elle a lancé la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures (BAII) au capital de 100 Milliards de $ avec 57 Etats membres fondateurs dont une vingtaine de pays occidentaux tels que la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni ( Les Etats-Unis et le Japon ayant refusé d’y participer ).Concurrente de la Banque Asiatique de Développement, majoritairement contrôlée par les Etats-Unis et le Japon, la BAII fonctionnera en partenariat avec la Nouvelle Banque de Développement lancée la même année à l’initiative de Beijing par les BRICS, nouveau pôle politico-économiqueémergent initié par la Chine de concert avec la Russie avec la participation del’Inde, du Brésil et de l’Afrique du Sud, qui serait un nouveau pôle de « relations internationales multipolaires » rivalisant avec le pôle Américain. Les deux Banques géantes, siégeant respectivement à Pékin et à Shanghai, sont largement dominées par la Chine à hauteur de 30% ( + un droit de véto ) et 41% . Elles seront au cœur de la « nouvelle stratégie » chinoise tendant à partager les risques à travers une approche multilatérale et nuancée des engagements d’investissements.
Après l’annonce du FMI en novembre 2015 de la décision d’admission du Yuan/Renminbi dans les DTS à partir d’octobre 2016 ( ce qui vient d’être confirmé ) , la Banque Centrale de Chine annonce, en décembre 2015, que la valeur de change de la monnaie chinoise ne sera plus fixée par référence au dollar US mais en fonction d’un panier de devises pondéré de ses principaux partenaires commerciaux pour permettre une plus grande flexibilité dans la gestion du taux de change du Yuan.La libéralisation « contrôlée » de la monnaie nationale confortera davantage la percée de la Chine sur le marché international.Premier exportateur mondial depuis 2009, elle est devenue en 2013 la première puissance commerciale avec un poids total dans les échanges internationaux (exports + imports) qui dépasse légèrement celui des Etats-Unis (11% contre 10,3%). Elle continue à élargir sa part de marché dans l’économie mondiale et devient même la première source de la demande internationale. Outre ses percées en exportations, elle ouvre son marché intérieur en supprimant les limites aux investissements étrangers et en ouvrant ses marchés publics dans le cadre d’une politique d’accès au marché devenant un enjeu global. En dépit de la baisse à 7% de sa croissance en 2015, la Chine tendrait à prendre de plus en plus de l’avance sur les USA. Selon le FMI, son PIB évalué à « parité de pouvoir d’achat » atteindrait 27000 Milliards de $ en 2019 contre 22000 pour les Etats-Unis.
Les ambitions de la Chine en tant que puissance économique mondiale future semblent sans limites. Elles s’insèrent dans une vision « planétaire » ancrée dans « l’imaginaire » des dirigeants chinois qui se lancent avec une grande détermination dans leur projet intercontinental de « Nouvelle Route de la Soie » inspiré des souvenirs historiques de l’ancienne Empire Chinoise et de la vieille « Route de la Soie » d’avant le XV siècle. Il s’agirait d’un projet grandiose, étendu et décentralisé, reposant sur un immense maillage de routes, voies ferrées, ports, aéroports, pipelines et gazoducs. C’est un axe intercontinental de communication qui permettrait de lier l’Asie à l’Europe mais aussi à l’Afrique (gisement des ressources naturelles) en passant par un Moyen-Orient complexe et instable, via des voies terrestres et maritimes longues de milliers de Km. La Chine ne mise pas sur les moyens pour réaliser ses ambitions planétaires. Elle semble compter sur une puissante « empire » financière reposant sur trois principaux instruments que sont la Banque Asiatique d’Investissements pour les Infrastructures, la Nouvelle Banque de Développement des BRICS et le Fonds de Route de la Soie lancée en 2015 avec une dotation de 40 Milliards de $.
Le projet traduirait une vision grandiose de la Chine pour élargir son « empire » économique à travers le monde et sécuriser ses approvisionnements énergétiques. Il suppose l’élargissement des réseaux de coopération au sein des quatre continents du monde grâce à une politique étrangère nécessairement pragmatique et réaliste permettant de traiter en toute confiance avec de grandes puissances comme la Russie, de grands pays émergents comme l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud et avec des pays instables comme la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan et des Etats en conflit comme l’Arabie Saoudite et l’Iran, ou encore l’Inde et le Pakistan (plus proches). C’est ce qui expliquerait son engagement aux côtés de la Russie et de l’Iran dans les conflits actuels de la zone du Moyen-Orient. La coopération s’étendra notamment en Afrique (gisement de ressources naturelles) où la Chine élargira sa présence,entre autres,à travers un Mémorandum de Coopération signé avec l’Union Africaine et prévoyantla construction d’un vaste réseau de transports terrestres et de ports maritimes dans nombreux pays à coût de dizaines de Milliards de$. En Europe la Chine atteindraitla Belgique grâce à un réseau routier long de quelques 13000 Km et la Grèce sur un long trajet maritime passant par le Pakistan et aboutissant au port de Pirée qu’elle viendrait d’acheter et à partir duquel la nouvelle route de la soie rejoindrait le réseau ferroviaire européen en traversant les Balkans. Et la Chine de ne pas oublier l’Amérique Latine où elle réaliserait des investissements de 250 Milliards de $ sur les dix prochaines années, dont la construction d’un second « canal de Panama » au Nicaragua, un moyen de répliquer à la politique US d’endiguement en Asie ( ! ).
Une démarche qui relèverait peut-être de l’imaginaire, mais qui correspondrait à une culture de « grandeur » réputée de la Chine dont une sagesse recommande de « marcher avec les pas de tortue et la force du cheval » pour prendre le temps qu’il faudrait avant d’aboutir aux objectifs fixés, aussi grands et aussi durables soient-ils, dont l’implication dans les bouleversements géopolitiques actuels qui caractérisent la conjoncture internationale.
La Chine Acteur de la Scène Géopolitique Internationale
La constitution du groupe multipolaire des BRICS introduit incontestablement une nouvelle donne de taille sur la scène géopolitique internationale. La Chine aura fait preuve de pragmatisme et de réalisme diplomatique pour avoir réussi à convaincre son grand voisin Russe, héritier de l’Ex-Union Soviétique, ancienne puissance à la tête du pôle socialiste, qui rivalisait avec le pôle capitaliste occidental pendant la période de la guerre froide, de s’allier avec le nouveau groupe composé de puissances émergentes appartenant à trois continents et dont certains sont « proches » des Etats-Unis. Le nouveau pôle « multipolaire » serait bâti sur des consensus diplomatiques pragmatiques et des arrangements économiques et financiers « gagnant-gagnant » dont l’équilibre« fragile » risque de ne pas résister aux changements géopolitiques conjoncturels. Pour le moment, cependant, l’optimisme semble gagner les protagonistes notamment du côté Chinois et Russe. A la faveur de la crise Syrienne les deux puissances se sont coalisées sur le plan diplomatique et auront allié leurs capacités militaires pour intervenir dans les conflits actuels du Moyen-Orient en compétition avec la coalition occidentale dirigée par les Etats-Unis. La Chine s’est engagée avec détermination à côté de la Russie dans son intervention militaire dans la guerre pour soutenir le régime Syrien. Les deux pays alliés avec l’Iran sont désormais solidement présents en Syrie et seraient sur le point de faire gagner la guerre par le régime du président Assad, n’en déplaise à ses détracteurs occidentaux et à leurs alliés locaux, non sans grandsdésastres pour le pays et non sans pertes lourdes en vies humaines. Si l’hypothèse se confirme – disons-le au passage - il reviendra au Peuple Syrien martyr et à lui seul d’exercer son droit légitime d’auto-détermination pour se prononcer en toute souveraineté sur la légitimité de son régime et de son président. En attendant, l’alliance Sino-Russe peut se prévaloir d’une autosatisfaction dans sa compétition en terre arabe « neutre » contre la coalition occidentale, même si la partie n’est pas encore totalement jouée sur le plan géopolitique.
Pour confortersa nouvelle dimension géostratégique sur l’échiquier international la Chine est parvenue à s’entendre avec la Russie sur un « nouveau partenariat stratégique global » autour d’un « projet géostratégique » cher au président Poutine et consistant à construire « l’Eurasie » dans sa définition correspondant aux pays de l’ex-Union Soviétique d’Asie Centrale et s’étendant entre la Mongolie et la Turquie. Tout en gardant la « main tendue » à l’Europe occidentale pour s’y joindre éventuellement, Poutine vise en fait à ne pas se laisser encercler par l’Europe « transatlantique » et par l’extension continue de l’UE et de l’Otan. L’alliance Sino-Russe autour de ce projet de nature géopolitique sécuritaire et économique traduit l’ambition des deux puissances de « s’aventurer » très au-delà des relations commerciales à travers un vaste programme de mégaprojets d’infrastructures, d’énergie et d’industries ( faisant partie d’un nœud essentiel du « fameux » projet de nouvelle route de la soie ) et en initiant un « Nouvel Ordre Eurasiatique » groupant la Russie, l’Asie, la Chine, l’Inde et d’autres régions qui s’y trouvent, en prélude au « Nouvel Ordre Mondial Multipolaire » qui devrait désormais prendre forme suite à « l’échec » de l’ordre mondial unipolaire initié par les Etats-Unis après la chute du Mur de Berlin. L’alliance, qui mettra en valeur la solidarité de la région dans le cadre de l’Organisation de Coopération de Shanghai axée sur les questions sécuritaires, semble désormais « irréversible » entre les deux pays qui se concertent systématiquement au sujet des grands évènements internationaux comme c’était le cas récemment à la veille de la réunion du G20 ( et non du G7 ! ) tenue en Chine et à l’occasion des réunions du Conseil de Sécurité sur la guerre en Syrie.
Forte de son alliance stratégique globale avec la Russie et de son intégration avec les BRICS, la Chine semble vouloir passer un message sans ambiguité à ses compétiteurs occidentaux selon lequel elle est désormais un acteur de dimension mondiale avec la ferme volonté « d’émanciper » l’Eurasie de « l’interventionnisme» anglo-américain. Signalons au passage que le nouvel espace, outre son étendue géographique et sa dimension humaine, compte pas moins de cinq puissances nucléaires sans l’Iran. En même temps la Chine voudrait faire comprendre à certains acteurs régionaux ( Turquie, Iran, Arabie Saoudite, mais aussi Israel ) qu’elle entend défendre ses intérêts à long terme dans le cadre du « nouvel ordre eurasiatique » et que le temps où seuls les Etats-Unis pouvaient influencer la politique en Orient est révolu ( ! ). Dans ce contexte il ne serait pas exclu que la Chine intervienne dans d’autres zones de conflits en rapport avec la situation actuelleque connait la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Des sources d’information de la régionfaisait écho récemment d’une « offre » chinoise de déploiement de quelque « 50000 soldats pour libérer et protéger la Libye » en contrepartie d’une « concession pétrolière sur 25 ans avec 20% des revenus pour l’Etat Libyen ».
La coalition entre la Russie, la Chine (et l’Iran) semble puissante dans le contextegéopolitique actuel. Elle est confortée par les avancées probantes sur le plan économique qui semblent défier les puissances occidentales dont notamment l’Europe largement dépendante du marché chinois en export et en import. C’est l’une des premières conséquences de la manifestation de la Chine en tant qu’acteur sur la scène géopolitique internationale et de son émergence en tant que puissance économique mondiale.
Opportunités pour la Tunisie
Les relations officielles Tuniso-Chinoises remontent à 1964. Elles sont faites de rapports politiques amicaux, de concertation diplomatique et de coopération multisectorielle – économique, commerciale, industrielle, culturelle, scientifique et technique - d’une cadence stable mais déséquilibrée et en deçà des opportunités offertes des deux côtés. Les échanges commerciaux, en particulier, se caractérisent par un déficit chronique au détriment de la Tunisie qui a atteint au cours des dernières années des niveaux intolérables avec un taux de couverture ne dépassant pas 3,5% en 2010 en raison, apparemment, de la prolifération de ce qu’on appelait le « commerce des conteneurs » pratiqué par des « opérateurs » tunisiens en provenance de la province de Canton pour approvisionner essentiellement les circuits de commerce parallèle. Le même trend continuaitaprès 2011 et le déficit commercial a atteint 3,3 milliards de dinars en 2014 et 1,5 milliards pour les cinq premiers mois de 2016 selon l’ancien Ministre du Commerce. Cette situation, dont la responsabilité reviendrait en premier lieu à la partie tunisienne,serait due notamment à lanoncompétitivité commerciale des produits exportables, par ailleurs non toujours disponibles en quantités suffisantes, aux difficultés de transport et aux problèmes ( non insurmontables ) de communication avec les opérateurs Chinois. Mais elle est aussi constatée au niveau des échanges avec la Turquie, entre autres, régis par un accord de libre-échange qui s’est avéré déséquilibré et préjudiciable à l’agriculture tunisienne à cause des produits transformés. Outre le renforcement du contrôle technique à l’import comme à l’export, la solution à ce problème devrait être recherchée à travers une application saine et rigoureuse des règles et des procédures du commerce international en concertation, le cas échéant, avec les organes compétents de l’OMC et dans le cadre de négociations avec les pays concernés pour la mise en œuvre des clauses de sauvegarde et autres instruments prévus en cas de difficultés conjoncturelles ou de crise économique dûment constatées.
Le plus important serait évidemment de se pencher aujourd’hui avec volonté et détermination sur les opportunités ouvertes à la Tunisie dans le cadre de la nouvelle donne induite par l’affirmation de la Chine en tant qu’acteur dans la géopolitique et son émergence en tant que nouvelle grande puissance économique mondiale. Tout en persévérant dans la voie du renforcement d’une coopération et d’un partenariat plus efficaces avec l’Union Européenne, le G7 et les Etats-Unis, avec des programmes d’aide appropriés et des financements adéquats, la Tunisie gagnerait à diversifier davantage ses relations de coopération et à tirer profit des nouvelles opportunités offertes dans le nouvel « espace eurasiatique ». Une telle démarche, du reste conforme à ses traditions diplomatiques, la mettrait à l’abri de la « politique des axes » et lui permettrait d’agir avec plus de marge de manœuvre et de flexibilité sur la scène internationale dans un climat géopolitique aussi mouvant qu’imprévisible. Dans ce Contexte, il serait temps d’arrêter la stratégie adéquate pour la relance de la coopération et du partenariat « gagnant-gagnant » avec la Chine dans l’intérêt bien compris des deux parties.
La participation de la Chine à la Conférence « Tunisie 2020 » au niveau officiel a été timide eu égard aux relations amicales entre les deux pays. L’absence d’une représentation d’un niveau Ministériel, probablement à cause d’un problème de calendrier ou de communication de l’invitation au niveau adéquat, aura été remarquée. Car la Chine, en dépit de son ouverture sur le secteur privé pour activer les rapports économiques avec l’extérieur, garde toujours la tradition diplomatique de traiter d’Etat à Etat dans les grandes manifestations et surtout pour définir les orientations ou annoncer les grandes décisions. La présence d’une « importante » délégation d’opérateurs publics et privés aura comblé quelque peu cette « insuffisance » mais n’aura pas été assortie « d’engagements » concrets d’investissements en dehors des « manifestations d’intentions » dans des contacts à l’intérieur de la conférence ou au sein du « Conseil de Coopération Tuniso-Chinois » créé par l’ex-Ambassadeur de Tunisie Docteur Basly et en relation avec la Chambre de Commerce Tuniso-Chinoise nouvellement créée sous la présidence de l’homme d’affaires Bayahi.
A titre indicatif, les nouvelles opportunités de coopération et de partenariat avec la Chine pourraient porter sur des axes prometteurs tels que les zones économiques spéciales avec leurs composantes logistiques industrielles pour l’exportation, les nouvelles technologies d’informations et de communications axées sur la numérisation de l’économie, les énergies nouvelles et renouvelables, les infrastructures routières et portuaires et le tourisme ( avec un objectif de seulement 1% des 100 millions de touristes chinois parcourant le monde ! ).L’objectif stratégique tournerait autour de la valorisation de la position de « La petite Tunisie ex-premier client de la grande Chine en thé noir » comme carrefour économique international entre la « nouvelle Eurasie », l’Afrique et le Moyen-Orient, voire l’Europe, en tant que nœud essentiel de la Nouvelle Route de la Soie, nouveau projet « planétaire » de la Chine nouvelle puissance économique mondiale du 21ème siècle. Toute proportion gardée, pourquoi ne pas partager ce rêve avec les Chinois ? Ne faudrait-il pas se positionner sur le « trajectoire » déjà établi de la « Nouvelle Route de la Soie » dans le cadre d’une approche prospective à moyen et long termes ?
Le plus important à l’instant est d’agir pour redresser la situation déséquilibrée des échanges économiques avec la Chine à la faveur de l’introduction récente par la BCT de l’Yuan chinois dans son panier de réserves en devises, décision courageuse non sans rapport avec la récente admission par le FMI de la devise Chinoise dans les DTS. Pour cela il faudrait œuvrer, de concert avec la partie Chinoise, à maitriser le déséquilibre des échanges commerciaux dans le cadre d’une « stratégie de partage de la chaine des valeurs » grâce à un partenariat gagnant-gagnant reposant sur des projets communs à haute valeur ajoutée. Grâce à la parité Dinar-Yuan les opérateurs tunisiens pourraient désormais sortir de la domination de l’Euro et du dollar dans leurs transactions commerciales avec la Chine, voire avec l’Asie. Une nouvelle donne qui pourrait booster les exportations et agir à la baisse relative des prix à l’importation. Du côté chinois, les touristes en particulier seraient encouragés par l’utilisation de l’yuan pour leurs allocations de voyages. Ceci étant, la prudence est conseillée pour éviter les risques dans cette phase de transition selon une sagesse chinoise consistant à « agir calmement, observer et sécuriser les positions ».
Pour Conclure, force est de faire observer que le monde qui nous entoure ne semble pas prêt pour une nouvelle recomposition faite de paix, de justice et de stabilité. Bien au contraire, avec la nouvelle présidence Américaine, la tendance à la « droitisation » de la gouvernance mondiale et la coalisation des puissances de l’Eurasie en compétition avec le pôle transatlantique, le monde reste ouvert à plus de conflits d’intérêtséconomiques et sécuritaires qui seraient traités, dans le moins pire des cas, dans le cadre d’une nouvelle étape de guerre froideprolongée avec des conséquences imprévisibles. Dans ce contexte, la pacification de la région du Moyen-Orient ( Syrie, Irak, Palestine, Yemen ) ne serait pas pour aussitôt. Encore plus près de nous, et en l’absence de consensus national pour la réconciliation globale et la reconstruction de l’Etat, la Libye demeure malheureusement ouverte à toutes les hypothèses anarchiques y compris la partition non souhaitable. Dans ces perspectives non rassurantes les pays Maghrébins assument une grande responsabilité pour agir ensemble en vue d’éviter un tel désastre au peuple Libyen frère.
Et la Tunisie, dans tout ça, ne serait pas à l’abri des développements géopolitiques non rassurants. Sa voie salutaire serait son unité nationale, sa solidarité, sa remise au travail, la vigilance sécuritaire et la bonne gouvernance de ses relations avec l’extérieur dans sa proximité immédiate et dans son étendue lointain, avec ses composants traditionnels et avec ses nouveaux partenariats potentiels. Il y va de l’intérêt suprême du Pays.
Salah Hamdi
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