Les habits neufs de la démocratie représentative
Jusqu’à 2011, date de la première primaire organisée par les socialistes pour choisir leur candidat aux Présidentielles de 2012, toutes les consultations en France se faisaient sous forme interne. Les partis politiques, leurs appareils et leurs adhérents décidaient et désignaient les candidats. Il s’agissait en quelque sorte de primaires fermées». Désormais, les candidats doivent se soumettre à des primaires «ouvertes» à tous les citoyens quelle qu’en soit l’appartenance politique. C’est ainsi que des électeurs de gauche viennent de prendre part aux deux tours de la primaire de droite mais, il est vrai qu’outre les deux euros de participation aux frais d’organisation, ils ont dû s’engager sur l’honneur et signer la phrase qui suit: «Je partage les valeurs républicaines de la droite et du centre et je m’engage pour l’alternance afin de réussir le redressement de la France.»
Cette consultation s’est bien déroulée à la grande satisfaction des partis et des candidats et ce d’autant plus qu’elle a remporté un grand succès auprès des électeurs qui se sont mobilisés et se sont déplacés en nombre, soit plus de 4 millions à chaque tour.
Le vieux système démocratique représentatif qui paraissait jusques là en crise, boudé par des abstentionnistes de plus en plus nombreux et accusé d’opacité, d’impartialité et d’irrégularité, aurait-il trouvé là son remède-miracle ? Ou est-ce tout juste une nouvelle manœuvre, un nouveau subterfuge imaginé par les vieux partis pour mobiliser les citoyens et ainsi perdurer?
Vieux partis et nouveaux outils
L’instauration des primaires semble, de prime abord, affaiblir les partis et les organisations politiques qui perdent ainsi leur monopole de désignation des candidats mais en vérité ils en récoltent plus d’un avantage.
Le citoyen dont le choix est pris en compte en amont se sent valorisé et plus proche des appareils et des élites politiques et de ce fait, il est plus aisément mobilisable. Il semble que ce soit là la parade trouvée par les vieux partis à l’abstention galopante, ce mal qui érodait ces dernières années la représentativité des vieilles démocraties.
Par ailleurs, l’enthousiasme et la participation des citoyens permettent aux partis de mesurer leur popularité et leur audience lors de primaires qui deviennent ainsi de véritables sondages mais grandeur nature! En effet, les programmes et les mots d’ordre des campagnes se trouvent à cette occasion expérimentée ou plutôt, comme en marketing, «testés » avant leur «mise sur le marché» lors du scrutin ultime. De fait, les risques de l’inconnu et du hasard se trouvent ainsi limités.
Enfin, outre la manne financière non négligeable que représente la contribution citoyenne, les primaires permettent de régler des problèmes avant la consultation décisive. Aucun parti n’étant monolithique, la primaire à travers les divers candidats permet l’expression des différents courants et sensibilités qu’abrite un même parti, renforçant ainsi le pluralisme et donc la démocratie mais aussi «testant» les candidats et retenant le meilleur pour ne pas dire le plus rentable.
L’électeur stratège
Le citoyen est, il a été dit, valorisé car impliqué davantage lors des consultations successives. Non seulement il intervient en amont mais surtout à plusieurs reprises puisqu’il peut participer à tous les tours de toutes les primaires de tous les partis.
Non seulement il va pratiquer le désormais classique «vote utile», ce que semble avoir fait les électeurs de gauche lors du premier tour pour éliminer Nicolas Sarkozy, mais il va se transformer en stratège n’hésitant pas à faire preuve d’un comportement machiavélique en adhérant à des valeurs autres que les siennes et surtout à pratiquer un «vote cynique». L’électeur ne semble pas se limiter à choisir son candidat préféré, il se transforme en véritable stratège qui anticipe, calcule et fait jouer les rapports de forces en s’immisçant dans les scrutins des partis adverses. Ainsi, après avoir contribué à l’élimination de Sarkozy, les électeurs de gauche, d’après certains analystes, auraient choisi Fillon car plus à la portée d’un candidat de Gauche qu’Alain Juppé! Stratégie qui, si elle était déployée par toutes les familles politiques laisserait présager une participation massive des électeurs de droite et d’extrême droite aux primaires socialistes de janvier prochain.
Révolution démocratique?
La primaire ouverte, cette innovation démocratique constitue-t-elle une révolution? A considérer le traitement médiatique, la réponse est négative. Il n’y en a eu lors de la primaire de la droite française que pour les grands candidats: Sarkozy, Juppé et Fillon ont par la volonté des médias éclipsé tous les autres. Ce qui constitue une «inégalité» et donc un déficit démocratique. Par ailleurs, la primaire ne garantit rien. Ni la tenue des promesses, ni la protection contre les volte-face et les alliances contre nature... Enfin ce remède administré à la démocratie souffrante n’est pas sans effets secondaires dont le plus nocif est la lassitude: le citoyen trop sollicité par des scrutins successifs peut se lasser et choisir de s’abstenir car comme chacun le sait «trop d’élections tuent la participation»!
Slaheddine Dchicha
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