Abdelhamid Khéchine : l’homme qui fonctionnait à l’instinct
En 1982, à la fin de l’inauguration de la nouvelle usine de Tunisie Porcelaine, M. Rachid Sfar, alors ministre de l’Economie nationale et des Finances, impressionné par les équipements sophistiqués et le coût élevé de l’investissement, s’adressa à Si Abdelhamid avec finesse : «Cette fois vous avez vu très grand … ‘Allah youstor’ ». En réalité, il n’y avait point d’improvisation dans tout ce qu’il entreprenait. Cet « investisseur à risque » hors pair centralisait dans sa pensée son projet ou son idée à développer, consultait, écoutait, observait, et décidait en connaissance de cause, pour enfin ne jamais se tromper.
C’est ainsi que très vite et en un temps record, une industrie porcelainière tunisienne est née. Classée parmi l’élite mondiale, elle produit de la vaisselle pour le monde entier, notamment pour l’Europe, avec un carnet d’adresses de clients impressionnant : Christofle, Christian Lacroix, groupe Accord… Grâce à son audace et à son obstination, la Tunisie a repris sa splendeur d’antan dans la céramique et l’art du feu. Il enchaîne ensuite avec Idéal Sanitaire, une autre réussite totale. Avec une production de plus d’un million de pièces par an et une usine équipée en haute technologie, il n’hésite pas à faire appel aux meilleurs techniciens du monde pour former son personnel.
Autodidacte, il commença très jeune dans le commerce de tapis, itinéraire qui lui était prédestiné: la famille disposant d’une manufacture de tapis à Kairouan depuis des générations. Pour ce fin négociateur, la réussite est bien entendu au rendez-vous. Il faut dire que son amour pour le tapis est légendaire ! L’ouverture d’une boutique d’artisanat à l’hôtel Miramar à Hammamet le propulsera vers une autre voie : la construction de la première unité hôtelière du groupe « Les Orangers ». L’hôtel est construit au milieu d’une magnifique orangeraie avec une superbe décoration. Allier modernité et tradition sera son leitmotiv pour toutes ces unités hôtelières.
Observateur intelligent doté d’une capacité d’écoute phénoménale et d’une mémoire exceptionnelle, il disait souvent que « la perfection c’est sur le terrain qu’il faut l’atteindre ». En état de veille permanent, il se dirigeait intuitivement vers la zone à risque pour résoudre vite et bien une entrave ou un problème. Grâce à son instinct, il atteint une certaine perfection qui surprend les meilleurs centraliens. Résultat : il vend du bonheur à ses clients. Pendant plusieurs décennies les hôtels Les Orangers, Bel Azur, Royal Azur enregistrent des taux d’occupation records. Visionnaire averti, il avait vite compris que l’avenir du tourisme est la santé. Il sera le premier à ouvrir un centre de thalassothérapie en Tunisie, le Bio-Azur, un magnifique centre à l’eau de mer.
Travailleur infatigable (14 heures par jour), cet entrepreneur croyait au Tunisien. Il disait que nous avions la même énergie, sinon plus, que les Japonais ou les Chinois et que nous avions tout pour réussir. En 2003, on lui refuse un agrément pour la création d’une société de promotion immobilière. Le ministre de l’Equipement de l’époque jura : « … Ce n’est pas moi, c’est le Palais qui décide ». Mais rien n’arrête ce bâtisseur infatigable. Avec sérénité, il affronte les difficultés et très vite, le potentiel d’échec est transformé en opportunité nouvelle. C’est ainsi qu’il a construit les plus beaux édifices: l’actuel siège de l’Etap à Tunis avenue Mohamed-5, le siège de la Stam à la rue Pierre-Coubertin, le siège de sa filiale BEH à l’avenue de la Bourse (un autre fleuron du groupe spécialisé dans la vente des équipements ménagers, hôteliers et médicaux ), et bien d’autres au Lac 2, à Sousse et à Djerba.
Autre facteur clé de réussite, ce chasseur de têtes sélectionnait lui-même ses cadres. Guidé par son flair et son instinct exceptionnel, il ne choisissait que les meilleurs. Exigeant et perfectionniste, il ne remerciait jamais ses collaborateurs mais ces derniers étaient très vite ensorcelés par ce catalyseur à l’énergie débordante.
Et la saga de la réussite continue après la révolution: avec un montage intelligent, il réussit à racheter 66% du capital de Stafim Peugeot. Discret, il évitait et fuyait les mondanités qu’il jugeait futiles. C’était un homme simple et d’une sobriété surprenante, qu’il a certainement héritée de ses origines aghlabides. Enfin, derrière chaque grand homme il y a une femme : un hommage particulier à Mme Sallouha Khéchine (sœur de feu Aziz Miled ) qui a, dans l’ombre, participé à cette odyssée
La Tunisie a perdu l’un des grands bâtisseurs de son économie. La mort d’un homme d’exception et la douleur de son départ discret affecteront à jamais ceux qui ont eu la chance et le privilège de le côtoyer. Heureusement que son souhait de pérennité de son œuvre est garanti : la légende continuera certainement avec ses enfants Mourad, Sarra et Sonia.
Paix à son âme.
Abderrazek Maalej
Expert-comptable indépendant
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Une perte pour la Tunisie, un article qui décrit bien son parcours, allah yara7mou we sabber ahlou aouladou week-end 5assatan zaoujtou almo7tarma sallouha rabbi yerza9ha bessabr.
Mon ami khechine repose en paix nous avon passè des moments interessante ensemble mes condoleances a la famille amis.et a la Tunisie.