Le royaume uni hors l’UE : révolte populaire ou xénophobie?
Il faut de prime abord noter que le séisme qui secoue l’Europe avec le Brexit (sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne, cinquième puissance mondiale) - après les convulsions grecques - risque d’avoir des répliques ailleurs dans le monde, notamment sur le plan financier et sur les tenants des politiques néolibérales. Il faut aussi se rappeler que l’Espagne vote dimanche 26 juin.
Podemos or not Podemos? That’s the question. Sueurs froides en perspective…
Roger Cohen écrit : « La Grande Bretagne fait un saut dans l’inconnu. C’est un vote décisif pour quitter l’Europe. Il révèle un rejet des élites et annonce une ère d’extrême instabilité » (The New York Times, 24 juin 2016)
L’Europe veut éviter une dislocation de l’UE, un effet dominos à l’heure où la Pologne, la Hongrie… glissent de plus en plus dans l’extrémisme droitier et le souverainisme et que nombre d’Européens demandent des référendums.
Mais gardons-nous des avis tranchés et définitifs car comment en avoir quand, en France, deux candidats à la présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélenchon (gauche) et Marine Le Pen (extrême droite) sont tous deux partisans de la sortie de l’UE !
Il n’en demeure pas moins que la sortie de l’UE a été avalisée par 51,9% des électeurs et que la participation a été de plus de 71% des inscrits.
Pour les Tunisiens et les non-Occidentaux d’une manière générale, il faut noter que cette campagne du Brexit a été d’une violence extrême contre les immigrés. Le racisme et la xénophobie ont été des thèmes nauséabonds agités devant une classe populaire meurtrie par l’austérité assénée par le gouvernement conservateur de Cameron depuis six ans, la dégradation des services de santé, les privatisations des services publics (transport, poste, prisons…), les prix excessifs des logements, la désindustrialisation de certaines villes et les droits universitaires exorbitants. Pour ne rien dire des campagnes. Tous sont en fait victimes des politiques néo-libérales menées depuis la période Thatcher et qui ont conduit des populations crucifiées par la mondialisation et l’austérité - comme le montrent les films de Ken Loach - à s’éloigner de la vision européenne face au gel des salaires et à la diminution des retraites.
Une vieille lune nazie: déferlement des étrangers?
Le parti conservateur, divisé en deux, et l’UKIP, la formation d’extrême droite dirigée par l’ex-trader en matières premières de la City Nigel Farage, ont vidé des tombereaux de messages venimeux sur « le déferlement » de réfugiés et de migrants. Syriens et musulmans en particulier. La haine et la peur ont fleuri sur les lèvres de bien des politiciens. A cette occasion, on a vu réapparaître des photos et du matériel de propagande remontant à la période nazie en Allemagne… alors que 40% des Londoniens sont des étrangers. Le leader de l’UKIP a dénoncé de façon véhémente les droits sociaux et les contraintes environnementales imposées par Bruxelles avec le slogan populiste « We want our country back » (Récupérons notre pays (des mains de l’UE)) alors que les institutions européennes ont cédé à toutes les exigences de David Cameron. Sortant du Conseil Européen à la mi-mai 2016, David Cameron ne disait-il pas : « Je n’aime pas Bruxelles, j’aime la Grande Bretagne. Avec cet accord, nous nous soustrayons aux inconvénients que représente pour nous l’Union Européenne» ? En bref, Cameron avait obtenu des concessions ahurissantes et extraordinaires de l’UE telles que : clause de « sauvegarde » de sept ans suspendant les aides sociales pour les travailleurs ressortissant d’un Etat membre de l’UE installés au Royaume Uni, indexation des allocations familiales sur le niveau de vie du pays d’origine, levée des obstacles à la circulation du capital, exemption du RU de tout engagement dans une « Union toujours plus étroite », protection renforcée des intérêts financiers de la City , pas de supervision bancaire commune… Un diplomate anglais résume la ligne des conservateurs : « Si vous haïssez l’UE et que vous voulez servir l’intérêt britannique, vous n’avez qu’une chose à faire, même avec des pincettes, c’est de voter oui. » (L’Humanité, 22 juin 2016, p. 4-5).
Mais ici aussi gardons-nous d’avis à l’emporte-pièce. Les Anglais ne sont pas tous racistes ou xénophobes.
Un pays fracture
Voilà pourtant un pays qui a colonisé le monde de l’Inde à Belize et de l’Egypte à la Caraïbe en passant par Malte, la Malaisie, la Birmanie et Gibraltar, et qui prend peur des étrangers ! Ce qui nous remet en mémoire cette blague contée par un ami, universitaire sri-lankais travaillant aux Etats Unis : « Le soleil ne se couche jamais sur l’Empire britannique… parce que Dieu ne fait pas confiance à un Anglais dans le noir ! » ! Voilà un Etat qui a charcuté - avec la France - le Moyen-Orient (accord Sykes-Picot) et l’Afrique (cf Fachoda au Soudan) et qui prend peur aujourd’hui des étrangers ! Ces mêmes étrangers polonais, roumains, pakistanais, indiens, arabes… qui font marcher notamment les services de santé, les transports…
Voilà maintenant la perfide Albion aux portes d’un charcutage historique car le pays est fracturé. Le Parti national écossais voulait rester dans l’UE et va exiger une nouvelle consultation pour l’indépendance, pour se séparer de la Couronne. Au pays de Galles, le Plaid Cymu veut le maintien dans l’UE en rappelant que 200 000 emplois sont liés, dans la région, au marché européen et que l’appartenance de la GB à l’UE a encouragé les investisseurs à consacrer 24 milliards de livres sterling à la Grande Bretagne. Ces entrepreneurs visaient en fait non seulement le marché britannique mais bien entendu la totalité du marché de l’UE. Avec le Brexit, ils quitteront probablement le Royaume Uni. Chômage en perspective. De son côté, en Irlande du Nord, le Sinn Féin dit non au Brexit. Gerry Adams - le leader irlandais qui considère comme une occupation la souveraineté britannique sur l’Irlande du Nord - affirme : « Ce n’est pas dans l’intérêt de l’Irlande, quoi qu’on pense de l’UE, d’avoir une partie (du pays) à l’intérieur (de l’UE) et l’autre dehors) », allusion à l’Eire (République d’Irlande). Un vent de contestation sans précédent s’est exprimé dans la population. Le Premier Ministre Cameron - en voulant dompter le feu démocratique - s’est brûlé et a été humilié par ce vote et se voit contraint de présenter sa démission à la reine en octobre prochain. Les consignes des partis ont été superbement ignorées. La violence a même fait son apparition avec l’horrible assassinat (arme à feu et poignard) jeudi dernier, de la députée travailliste Jo Cox pro-EU. La surenchère nationaliste, des mois durant, a occupé le Parti conservateur qui ne veut pas se laisser distancer par l’UKIP. Une atmosphère empoisonnée et nauséabonde fait que le nouvel élu, maire de Londres, Sadiq Khan d’origine pakistanaise, est renvoyé à ses origines « musulmanes » et donc suspect d’affinités salafistes voire terroristes***. Daniel Cohn Bendit, ancien député européen, affirme que les partisans de la sortie de l’UE n’ont utilisé que des mensonges à longueur de campagne électorale et se sont moqués des électeurs. (Antenne 2 française à 20h le 24 juin 2016)
Une sortie de gauche «l'exit»?
L’arrivée de Jeremy Corbin à la tête du Labour (Parti travailliste) a rebattu les cartes. Cet homme de gauche a déçu les Anglais en ne prenant pas le chemin d’une sortie « socialiste », de gauche, de l’Europe appelée « Lexit ». Pure posture tactique pour ménager la majorité des députés de son parti favorables à l’UE ? Corbyn a toujours dénoncé le traitement de la Grèce par les hiérarques de l’UE et du FMI. Corbyn n’a jamais voulu s’afficher avec Cameron pour défendre le « Remain » (rester dans l’UE). Lui, il appelle de ses vœux une Europe de la solidarité capable de jeter des ponts avec les forces de gauche sur le continent. Il a essayé de faire une autre campagne, originale, étiquetée « «Une autre Europe est possible » amalgamant écologistes, indépendantistes écossais, syndicalistes et militants des droits humains.
En fait, il y a deux attitudes à prendre pour comprendre ce qui arrive au Royaume Uni, sur la base d’éléments clairs et probants :
- Le Brexit est une victoire contre les politiques néo-libérales de l’UE qui exaspèrent les Européens en travaillant pour les oligarchies nationales et les multinationales et en imposant des lois concoctées par des bureaucrates grassement payés, exemptés d’impôts et dont tous les frais sont pris en charge… et qui n’ont de compte à rendre à personne ! Cette camisole juridique étouffe les 28 peuples de l’Europe.
- Le Brexit peut être aussi perçu comme un coup d’épée porté au flanc de l’intégration européenne, de la coopération et de la solidarité européennes. L’économiste Maxime Combes écrit : « Les élites (notamment européennes) gouvernent contre l’intérêt des populations… ce sont des forces d’extrême-droite, réactionnaires et nationalistes qui vont se retrouver renforcées par le Brexit, au détriment des politiques proposant plus de solidarité, plus de justice et de régulations sociales et écologiques ».
Ecoutons enfin ce que disent des syndicalistes britanniques opposés à l’UE suite à ce vote: “Haut les cœurs. Une autre Grande Bretagne et une autre Europe sont à présent possibles… Libérés du Traité de Lisbonne, nous serons capables de construire une vraie solidarité internationale avec les pays d’Europe et au-delà. L’internationalisme doit revenir à la vie. Au cours du référendum, certains ont oublié ce qui est arrivé aux travailleurs et aux syndicats en Grèce, au Portugal, en Espagne, en Italie et en France, car il n’était pas convenable d’exposer la vraie nature de l’UE. » Pour le directeur du Monde, Jérome Fenoglio : « Par quelque bout qu’on prenne cette affaire, elle est une défaite pour l’UE, qui en sort affaibli à l’intérieur de ses frontières et dont l’image à l’extérieur est celle d’une entité sur le déclin. Et de conclure qu’il n’y qu’une issue à ce divorce retentissant : « Messieurs les Anglais, vous avez tiré, alors « out », c’est « out.» (Edition du 25 juin 2016, p. 1 et 21)
Dans notre partie du monde, nous espérons que l’Union Européenne changera de politique et tiendra compte des aspirations populaires plutôt que de celles des multinationales, des financiers et des spéculateurs. Nous espérons que l’économie mondiale - et celle des pays du Sud en particulier - ne souffrira pas de cette sortie de l’UE. Nous espérons aussi que l’UE mettra fin au financement des colonies israéliennes d’occupation, qu’elle fera payer à Israël la destruction des projets financés par elle (aéroport de Gaza par exemple) et lui supprimera les conditions privilégiées d’accès à la recherche européenne et le contraindra enfin à respecter les droits de l’homme en Palestine.
Mohamed Larbi Bouguerra
*** Notons qu’en France, le philosophe et académicien Alain Finkielkraut, d’origine polonaise, a déclaré le dimanche 8 mai 2016, sur la Radio Communauté Juive (RCJ à Paris) à propos de l’élection de Sadiq Khan - qui a fait mordre la poussière à son adversaire Zac Goldsmith : « Cette image de la victoire du musulman pauvre sur le juif riche me laisse un goût amer ». Vous avez dit islamophobie ?
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