News - 22.02.2016

L’imbroglio libyen

L’imbroglio libyen

Il y a tout juste cinq ans, la Libye accueillait l’onde de chocs des soulèvements populaires amorcés en Tunisie pour renverser les régimes autoritaires de la région. Mais suite aux frappes aériennes de la coalition internationale qui ont semé un véritable chaos dans le pays, et en raison des conflits armés qui s’en sont ensuivis, la Libye se trouve aujourd’hui livrée au terrorisme, à la contrebande et aux luttes fratricides.

Depuis plusieurs mois, l’enlisement de la situation sécuritaire et politique en Libye interpelle fortement les Occidentaux et certains pays arabes de la région. Ces derniers se disent prêts à mettre en place une coalition pour intervenir de nouveau en Libye afin de l’accompagner dans le rétablissement de sa sécurité si un gouvernement légitime en fait la demande. Problème: le gouvernement d’union nationale, formé par le Conseil présidentiel libyen sous l’égide de l’ONU, butte sur l’assentiment du Parlement reconnu par la Communauté internationale et siégeant à Tobrouk (est). Une seconde équipe gouvernementale sera toutefois soumise au vote du Parlement mardi prochain et semble susciter un timide espoir parmi la communauté internationale. Dans ce contexte, Tunis a déjà prévu une logistique pour accueillir un possible afflux de réfugiés dans le Sud où du personnel médical serait déjà en place pour  coordonner son intervention. Mais en attendant que l’agenda de la future coalition soit clarifié, des groupes jihadistes se taillent une profondeur territoriale en Libye, avec en première ligne l’Etat islamique, qui entend profiter du chaos ambiant pour s'étendre en Afrique. Retour sur cinq ans de chaos qui ont favorisé la désagrégation des institutions et de la sécurité en Libye.

Cinq ans d’instabilité depuis la chute de Kadhafi

Février 2011: Dans le sillage de la révolution tunisienne, les prémisses de ce qui deviendra un véritable mouvement protestataire commencent à voir le jour à Benghazi en vue de faire tomber le régime autoritaire de Kadhafi. Au cours du même mois, les leaders de l’opposition, suivis par d’anciens officiers militaires et des chefs tribaux, organisent la création du Conseil national de transition (CNT), chargé de coordonner les actions des différentes villes tombées aux mains des insurgés. Progressivement, le soulèvement dégénère en conflit armé.

Mars 2011: Le Conseil de sécurité des Nations unies adopte la résolution 1973 créant une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye et autorisant « toutes les mesures nécessaires » pour assurer la protection des populations civiles contre les attaques de l’armée de Kadhafi. Les opérations, jusque-là menées par une coalition multinationale dirigée par les Etats-Unis, passent sous le commandement de l’OTAN à partir du 31 mars.

Octobre 2011: Le chef de l’Etat libyen Mouammar Kadhafi est capturé par des soldats du CNT lors d’un échange de tirs à Syrte, sa région d’origine, puis tué.

Juillet 2012: Le Congrès général national, désigné au terme des premières élections libres tenues en Libye depuis des décennies, succède au CNT.

Septembre 2012: Des roquettes sont tirées sur le Consulat américain à Benghazi, tuant l’ambassadeur des Etats-Unis en Libye, J. Christopher Stevens, deux marines américains et un agent des services de l’information. Les Etats-Unis soupçonnent Ansar al-Charia d’être derrière cette attaque.

Octobre 2013: Le premier ministre Ali Zeidan est enlevé par un groupe d’ex-rebelles de son lieu de résidence à Tripoli en représailles à l’autorisation qu’il a donnée à l’armée américaine quelques jours plus tôt de capturer un responsable d’Al-Qaïda sur le sol libyen.

Février 2014: Manifestations contre la décision des élus du Congrès de proroger leur mandat, censé avoir expiré début février. Les manifestants reprochent également au Congrès son incapacité à établir des institutions stables et à maintenir l’ordre et la sécurité.

Mai 2014: Le général Khalifa Haftar (entré en dissidence en 1980), qui s’était déjà illustré par son hostilité au gouvernement du Congrès, arrive à rallier à sa cause des unités de l’armée afin de mener à Benghazi une offensive militaire, baptisée « Dignité », contre le groupe Ansar al-Charia, soupçonné d’avoir perpétré une série d’assassinats visant des forces de sécurité.

Juin 2014: Elections législatives en vue d’élire les 200 membres de la Chambre des représentants qui devra remplacer le Congrès.

Août 2014: Le nouveau Parlement issu des élections du 25 juin, remportées par des nationalistes libéraux au détriment des islamistes, est inauguré et installé à Tobrouk (est) en raison du climat d’insécurité qui règne dans la ville de Tripoli, contrôlée par des milices rivales. Mais le Congrès - où les islamistes, bien que minoritaires au départ, ont réussi à s’arroger un pouvoir étendu - refuse la passation de pouvoir au nouveau Parlement et fait invalider les élections par la Cour suprême. C’est pourtant le gouvernement issu du nouveau Parlement élu qui est aujourd’hui le seul reconnu par la communauté internationale. Le Congrès s’est quant à lui réinstallé de facto au pouvoir à Tripoli sous la coupe de « Fajr Libya », une coalition de milices islamistes.

Octobre 2014: Des jihadistes libyens de retour de Syrie où ils étaient partis combattre dans les rangs de l’EI créent le Majlis Choura Chabab al-Islam (MCCI) et prêtent allégeance à l’organisation d’Abu Bakr al-Baghdadi, qui l’accepte dans un communiqué publié quelques jours plus tard. Le MCCI prend le contrôle d’une partie de la ville de Derna, qui devient la première province de l’EI hors de son territoire syro-irakien, et y établit une police islamique chargée d’appliquer les dispositions de la Charia.

Mars 2015: Le général Hafar est nommé commandant en chef de l’Armée nationale libyenne, loyale au gouvernement de Tobrouk. Le pays est plus que jamais fragmenté entre l’est, tenu par les forces du général Haftar, et l’ouest, tenu par les islamistes.

Mai 2015: L’EI durcit son offensive sur Syrte où il a réussi à établir sa présence suite à des combats livrés contre des troupes liées à Fajr Libya.

Juin 2015: L’EI est expulsé du centre de Derna par le Conseil consultatif de la choura des moujahidin qui regroupe des formations jihadistes proches d’Al-Qaïda, dont Ansar al-Charia (celle-ci n’en fait toutefois plus partie aujourd’hui). Par ailleurs, une frappe aérienne américaine menée en Libye et visant une réunion de jihadistes (dont Mokhtar Belmokhtar, qui y a échappé) aurait tué le vétéran d’al-Qaïda Seifallah Ben Hassine, plus connu sous le nom d’Abou Iyadh et fondateur d’Ansar al-Charia en Tunisie, ( information non confirmée).

Juillet 2015: Un accord de paix élaboré après plusieurs mois de négociations par les parties en conflit sous l’égide de l’ONU est rejeté par le gouvernement de Tripoli.

Novembre 2015: Abou Nabil al-Anbari, jihadiste irakien devenu chef de l’EI en Libye après avoir combattu plusieurs années dans les rangs d’Al-Qaïda en Irak, est tué lors d’une frappe aérienne menée par les Etats-Unis à Derna. Il s’agit du premier bombardement américain visant l’EI en Libye.

Décembre 2015: Rencontre à Tunis de représentants des deux autorités rivales portant sur l’établissement d’un accord politique qui prévoit notamment la formation d’un gouvernement d’union nationale.

Janvier 2016: L’EI lance une offensive dans le « Croissant pétrolier » situé au nord de la Libye (et qui renferme deux tiers de ses richesses en or noir) en focalisant ses attaques sur la ville côtière de Ben Jawad et les terminaux d’al-Sedra et de Ras Lanouf.

Février 2016: Les discussions parrainées par l’ONU entre les représentants des différentes factions libyennes ont abouti à un consensus établissant la formation d’une équipe gouvernementale qui sera soumise au vote du Parlement de Tobrouk le mardi 23 février. Par ailleurs, les troupes de l’EI en Libye seraient aujourd’hui forte de 3000 combattants et contrôleraient un tronçon de 300 km le long des côtes méditerranéennes.

Dans la nuit du 18 au 19 février, une frappe aérienne américaine touche pour la première fois la ville de Sabrata, où un camp d’entraînement a été fondé en 2013 par des Tunisiens affiliés à l’EI,parmi lesquels se trouveraient les assassins de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Le raid aurait fait une quarantaine de morts, tunisiens pour la plupart. C’est également dans ce camp que les auteurs des attentats du Bardo et de Sousse auraient  été entraînés.

Qui sont acteurs clé?

Le Congrès national général: Il s’agit de l’assemblée élue en 2012 pour prendre en charge la transition politique et organiser les futures élections législatives. Cependant, après la victoire des libéraux et la reconnaissance de la nouvelle Chambre des représentants par la communauté internationale, des membres du bloc islamiste de l’ancienne assemblée décident de réinstaurer de facto l’autorité du Congrès à Tripoli.

La Chambre des représentants: élue en juin 2015 et siégeant à Tobrouk, elle est le seul interlocuteur politique reconnu par la communauté internationale. Son président est Aguila Salah Issa.

Fajr Libya: Cette coalition de milices islamistes contrôlant Tripoli est le bras armé du Congrès. Soutenue par les Frères musulmans et les combattants du fief révolutionnaire de Misrata, Fajr Libya est prise pour cible par l’EI.

L’Armée nationale libyenne: mise en place par le gouvernement provisoire de Libye suite à la rébellion de 2011, l’armée est aujourd’hui commandée par le général Haftar et est affiliée au gouvernement de Tobrouk.

L’Etat islamique en Libye: directement lié à l’EI en Irak et en Syrie, ce groupe d’obédience salafiste jihadiste a pour ambition d’étendre l’emprise du Califat auto-proclamé en 2014 sur la région du Maghreb et de l’Afrique. Fortement implanté à Syrte, il avait également pris pied dans la ville de Derna avant d’en être partiellement délogé par des milices islamistes et est aussi présent à Benghazi et à Ajdabiya.

AQMI: d'origine algérienne, ce groupe terroriste, également d’obédience salafiste jihadiste, provient de l’allégeance du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) à al-Qaïda en 2007. Il occupe un vaste territoire situé dans le Sahel. Le Mali, la Mauritanie, l’Algérie, la Libye mais également la Tunisie font partie des pays où cette organisation parvient à maintenir une présence, même fantomatique. Certaines zones du sud de la Libye mais également de Ajdabiya lui servent de bases de repli. Il est dirigé depuis 2004 par Abdelmalek Droukdel.

Al-Mourabitoune: Dirigé par Mokhtar Belmokhtar, ce groupe terroriste s’est rallié à AQMI début 2015. Selon certains chercheurs, cette fusion a été encouragée par le chef d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, soucieux de renforcer les rangs d’al-Qaïda pour contrer l’influence concurrente de l’EI.

Ansar al-Charia: dirigé par Abou Khalid al-Madani, ce groupe terroriste est né en 2011 dans le sillage de l’insurrection armée contre le régime de Kadhafi. En plus d’avoir entraîné des centaines de jihadistes libyens avant leur départ en Syrie, Ansar al-Charia a également accueilli des terroristes tunisiens issus de l’organisation éponyme située en Tunisie et fondée par Abou Iyadh. Il est l’architecte de l’attaque du Consulat américain qui a coûté la vie à l’ambassadeur J. Christopher Stevens en 2012. Lié à al-Qaïda, le groupe possède toutefois des embranchements dont les alliances varient selon les circonstances locales. Le groupe combat aux côtés de l’EI à Benghazi (contre le général Haftar) mais contre lui à Ajdabiya. A Syrte, Ansar al-Charia a prêté allégeance à l’EI.

Les gardiens des installations pétrolières: Chargée par la Chambre des représentants d’assurer la protection des installations pétrolières de l’est libyen, cette organisation dirigée par Ibrahim al-Jadhran est présente à Ajdabiya et Ras Lanouf.

Brigade des martyrs d’Abou Salim: Ce groupe fait partie du Conseil consultatif de la choura des moujahidin, qui a un temps abrité les combattants d’Ansar al-Charia. Il a joué un rôle déterminant dans la percée menée contre l’EI à Derna, du centre de laquelle il a réussi à le déloger en juin 2015.

Milice tribale Toubou et combattants touaregs: Ils se disputent des territoires pour en contrôler les trafics et les gisements en se livrant des combats violents dans le sud-ouest du pays notamment (voir carte). Selon Ibanakal Tourna, spécialiste des conflits au Sahel et chercheur à l’université Catholique de Louvain Laneuve en Belgique, les Toubous se plaignent d’avoir longtemps été les laissés pour compte du régime de Kadhafi et soutiennent aujourd’hui le gouvernement de Tobrouk (ils seraient d’ailleurs approvisionnés en armes par le général Haftar et, selon certains experts, par l’Egypte et les Emirats). Les Touaregs, bien que jadis kadhafistes, sont pour la plupart alliés au camp adverse, celui des révolutionnaires et des islamistes de Tripoli et seraient armés par le Qatar et la Turquie. Si la régionalisation du conflit est perçue par les acteurs locaux comme une guerre par procuration menée par des puissances régionales adverses dont l’agenda serait le contrôle du Fezzan(1), c’est surtout le climat de guerre civile qui semble alimenter les tensions. L’inexistence d’une force armée neutre dans la région ne fait qu’amplifier ces affrontements armés devenus monnaie courante dans la Libye post-Kadhafi.

Libye : prélude au développement d’un jihad global africain?

En raison de l’effondrement de ses institutions et de l’instabilité de sa situation sécuritaire, la Libye est devenue un terrain d’affrontement, mais parfois d’alliance, entre divers groupes terroristes apparus depuis 2011 et y multipliant les démonstrations de force. Alors que l’enracinement de groupuscules terroristes avait d’abord été localisé dans la partie saharienne, totalement incontrôlée, de la Libye, c’est dans le littoral qui s’étend sur la partie nord du pays qu’ils prolifèrent à nouveau aujourd’hui. L’avancée fulgurante de l’Etat islamique dans certaines villes comme Syrte après qu’un groupe de jihadistes locaux lui ont prêté allégeance n’est que l’une des nombreuses manifestations de ce phénomène. Un document issu d’un cercle proche de l’EI va même jusqu’à citer les multiples avantages, stratégiques et conjoncturels, de la Libye comme futur bastion de l’expansion de ce groupe terroriste. Pour celui-ci, il s’agit de soulager la pression qu’il subit dans son aire syro-irakienne originelle, notamment en raison du renforcement du contrôle aux frontières turques ainsi que des bombardements de la coalition internationale anti-Daech. Mais l’EI prétend également tirer profit de l’emplacement géographique extrêmement avantageux de ce pays qui, outre ses réserves en pétrole et sa proximité avec l’Europe, permettrait d’ouvrir des boulevards sur le Soudan, le Tchad, le Niger, l’Egypte, la Tunisie et l’Algérie. Le commandement central de l’EI a d’ailleurs appelé les aspirants jihadistes à rejoindre la Libye plutôt que le Levant, faisant de ce pays nord-africain un pôle d’attraction et une plateforme de la nébuleuse terroriste africaine. Depuis, les Nigérians de Boko Haram, qui ont prêté allégeance à Baghdadi en mars 2015, y envoient des combattants depuis le Tchad pour qu’ils s’approvisionnent en armes et s’entraînent dans les camps créés par l’EI. Les responsables politiques occidentaux et africains ont quant à eux déjà fait part de leur crainte de voir la jonction entre l’EI et Boko Haram se consolider, ce qui leur permettrait de renforcer leur présence en Afrique. Plus près de nous, les «Soldats du Califats » actifs en Algérie, font scission avec AQMI en septembre 2014 pour faire serment d’allégeance à Baghdadi, suivis par Ansar Beït al-Maqdis, ce groupe égyptien qui multiplie les attaques contre le régime d’al-Sissi depuis la destitution de Morsi par l’armée en 2013.

La percée dans ces pays du Califat auto-proclamé n’est toutefois pas la première du genre en Afrique : d’autres groupes jihadistes de la même trempe y ont établi leur présence par le passé. Les Nigérians de Boko Haram (longtemps affiliés à al-Qaïda mais aujourd’hui dans le giron de l’EI) ont multiplié depuis 2002 les poches d’influences dans les pays voisins ; ils sont en effet présents au Niger, au Tchad et au Cameroun. AQMI s’était déjà illustrée par son implantation dans le Sahel depuis l’Algérie, où elle a vu le jour en 2007. Le groupe terroriste somalien al-Shabab créé en 2006 par la branche dure de l’union des tribunaux islamiques de Somalie et entretenant des liens étroits avec al-Qaïda – et notamment AQPA au Yémen voisin, avec lequel des échanges d’armes et de combattants ne se tarissent pas - bénéficie quant à lui d’une zone d’opérations élargie dans la Corne de l’Afrique, principalement en Tanzanie et au Kenya. Tous ces groupes, malgré leurs différenciations propres conditionnées par des réalités locales singulières, sont dans une logique d’affrontement armé avec des pouvoirs locaux corrompus et incapables de maintenir l’ordre. Leur objectif est l’instauration d’un califat transnational (les frontières coloniales étant très souvent décriées et non-reconnues) où serait appliquée la charia. L’enjeu sécuritaire pour les pays africains consiste à ce que ce faisceau de factions terroristes n’établissent pas de liens solides entre elles, sous peine de voir un chaos sans précédent gangréner le continent, déjà fortement touché par l’instabilité. La menace que représente cette nébuleuse doit toutefois être relativisée. Comme le note Yvan Guichaoua, maître de conférences de l’université de Kent, dans un article paru le 16 décembre sur le site The Conversation, « les composantes de la nébuleuse djihadiste ne répondent pas au même commandement et ne sont pas à l’abri de dysfonctionnements organisationnels. Le nombre de leurs combattants, puisés à des viviers distincts, est faible et leur niveau d’équipement variable. (…) Les ériger en machine de guerre uniforme et irrépressible satisferait probablement leur appétit de reconnaissance mais ne correspondrait pas à la réalité. » Reste à savoir si l’intrusion de l’EI dans le continent risque de changer la donne en parvenant à rassembler autour de lui cette constellation de groupes fractionnés. Pour l’heure, la rivalité idéologique et opérationnelle que celui-ci entretient avec l’autre principal acteur du jihad global influent en Afrique qu’est al-Qaïda semble constituer un frein à une telle unification.

Contrebande et instabilité

Profitant du chaos sécuritaire aux frontières engendré par la chute du régime de Kadhafi, les contrebandiers (de carburant) multiplient leurs opérations de vente illégale d’essence et de produits en tout genre avec les pays voisins. A ce titre, le président du Nigéria Muhammadi Buhari a évoqué devant le Parlement europée« un souk d’armes » en parlant du sud de la Libye, une région qui selon lui « n’est soumise à aucune autorité » et qui « menace la sécurité de la région du Sahel, de l’Afrique du nord et au-delà. » Le gouvernement libyen a lui-même reconnu l’existence de ce trafic florissant, qui serait aujourd’hui parvenu jusqu’aux cotes européennes.  Selon un rapport de la Banque mondiale paru en décembre 2013, la contrebande avec la Libye ferait perdre 1 milliard de dollars par an à la Tunisie. Toutefois, le verrou sécuritaire dans les zones frontalières commence peu à peu à se mettre en place en Tunisie. Début février, des militaires ont intercepté deux voitures de contrebande de pétrole dans une zone militaire du Sud, où ils ont recouru à des tirs de sommation devant le refus des conducteurs d'obtempérer . En plus de la construction du rideau de sable et d’eau couvrant une distance de 200 km entre Ras Jedir et Dhiba, Tunis compte également mettre au point un système de surveillance amélioré avec l’aide de l’Allemagne et des Etats-Unis. L’initiative est d’autant plus importante que l’enjeu de la sécurisation des frontières ne concerne pas uniquement le passage de produits de contrebande mais également de stocks d’armes et de potentiels candidats à des attaques terroristes.

L’une des régions de la Libye les plus concernées par ce fléau est sans doute celle du Fezzan qui abrite la ville perdue et pourtant stratégique d’Oubari. La situation y est d’autant plus complexe que la ville abrite la base arrière des groupes terroristes les plus violents tout en étant le théâtre d’un conflit tribal explosif. Touaregs et Toubous, qui ont pourtant longtemps cohabité en paix, s’y livrent en effet à des combats sanglants pour le monopole de la contrebande de carburant et de trafics d’armes et de drogue en tout genre. Selon Ibanakal Tourna, spécialiste des conflits au Sahel et chercheur à l’université Catholique de Louvain Laneuve en Belgique,  le Fezzan constitue également le centre névralgique du passage des migrants subsahariens dans leur échappée vers l’Europe. Un passage souvent monnayé par les chefs tribaux… « Le conflit qui oppose [ces deux tribus] pourrait embraser l’espace qu’elles sont pourtant précisément en mesure de libérer du terrorisme », explique le chercheur dans un entretien accordé au Mondafrique. Touaregs et Toubous jouissent en effet d’une forte implantation qui leur permet de bénéficier d’une certaine autorité dans la région pour être en mesure de combattre les jihadistes présents dans leur fief. Dans ce contexte, le nerf de la guerre anti-terroriste semble se trouver dans une pacification du Fezzan. D’autant qu’en raison de la présence de populations touareg et toubous au Niger et au Tchad, le conflit fratricide qui les déchire en Libye pourrait plonger toute la région dans l’instabilité.

Nejiba Belkadi

(1) Voir l’enquête de Valérie Stocker parue dans Orient XXI http://orientxxi.info/magazine/en-libye-la-guerre-oubliee-des-touaregs-et-des-toubous,1030

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