Tunisie: Donnez le pouvoir aux Jeunes. Immédiatement!
1. Prologue: de notre incapacité, tous!
Commençons par énoncer certaines évidences.
Il est une évidence que le gouvernement n’a aucune stratégie de développement.
Mieux, aucun parti politique, et en particulier ceux au pouvoir, n’a d’alternative. En particulier, le programme économique de Nidaa, à l’instar de celui d’Ennahdha de 2011, est une farce. Tout en se situant sur un registre formellement plus « sérieux », il n’ont pas plus de consistance que celui de certains charlatans qui occupent –avec fracas parfois- la scène médiatique.
Nos économistes, nos penseurs du développement –y compris d’abord moi-même- savent en général diagnostiquer correctement une situation et tirer régulièrement la sonnette d’alarme. Les meilleurs d’entre eux arrivent à mettre le doigt sur certains vrais problèmes et démasquer certaines fausses solutions. Les plus ambitieux nous gratifient de temps en temps de propositions –voire de « stratégies »- qui se réduisent souvent à une liste de vœux pieux, d’invocations et même d’incantations.
2. De certaines fausses évidences
Ressources ne sont pas nécessairement investissements, et investissement n’est pas toujours croissance
Nous avons soutenu dans un papier publié sur ces colonnes que « Quand on parle de la nécessité de booster le développent et la croissance dans les régions défavorisées on évoque presqu’exclusivement la nécessité d’augmenter les investissements dans ces régions et particulièrement les investissements publics. Et la question est simplement réduite à la mobilisation de ressources nécessaires.
Mais il y a une idée importante que les bons économistes savent mais que le non spécialiste malheureusement ne saisit pas : la croissance, et donc l’emploi, sont certainement liés à l’investissement mais ce dernier ne se réduit pas à de la mobilisation de ressources financières. Si tel était le cas, la question du développement en général et celui des régions défavorisées en particulier aurait été résolue depuis longtemps, moyennant –en particulier- un bon usage de tous les mécanismes de financement possibles. »
Le « Capital est lâche » a clamé H. Jebali. Possible, mais il est surtout mû par le profit. Là où il y a possibilité de bénéfice, il y aura des investisseurs, sans qu’on ait besoin de les pousser. Les contraintes à l’investissements sont essentiellement au nombre de trois:
- La capacité de réalisation;
- La question des débouchés;
- La dépendance par rapport aux ressources extérieures aux stades de l’investissement et de l’exploitation.
Nous en avons conclu que « le pays ne manque pas de capitaux, et la nature même du capital est de s’investir et de s’élargir. Si ceux qui possèdent des capitaux n’investissent pas, c’est à cause, en premier lieu, du manque de visibilité et des mauvaises perspectives du pays, mais aussi à cause de l’absence d’opportunités d’investissement viable et soutenable, en particulier sur le plan de nos équilibres extérieurs. La question du développement ne se réduit pas à la recherche de ressources à l’intérieur du pays, et peu importe dans la poche de qui. Et la question du développement des régions déshéritées ne se réduit pas à la mobilisation de ressources en leur faveur. Il y a certainement besoin de réaliser certains projets urgents et identifiés pour répondre à des besoins évidents, mais la mise en place d’un véritable processus de développement est autrement plus complexe. »
Les observations ci-dessus s’appliquent en particulier aux quelques centaines de petits projets que le Gouvernement a proposés dans le package de mesures qu’il a décrétées. Allez demander aux responsables de la Banque Tunisienne de Solidarité les problèmes rencontrés par les jeunes promoteurs pour identifier un projet viable et le nombre de projets qui ont capoté à cause de cela, et vous comprendrez que la disponibilité du financement –même si elle est contraignante pour beaucoup d’investisseurs- n’est qu’une condition nécessaire et très loin d’être suffisante pour la réalisation et la survie d’un projet.
Il ne faut plus attendre grand-chose de l’extérieur
Certains ont reproché au Chef du gouvernement de se déplacer au sommet de Davos alors que le pays brûle. D’autres lui trouvent des excuses en invoquant que ce genre de déplacements est nécessaire pour mobiliser les ressources et les investissements extérieurs.
Nous avons été bercés depuis Janvier 2011 par des promesses de financements massifs (Dont notamment les 125 milliards du G8 de Deauville !). En lieu et places et , mis à part quelques médailles d’or à Oslo, nous avons sombré dans l’endettement. Nous sommes beaux et gentils, mais nous ne sommes plus bancables.
Ce qui est vrai pour l’extérieur, l’est encore plus pour les ‘pays frères’ riches que sont les pays du Golfe. Eux aussi s’enfoncent dans des batailles multiples pour défendre leurs intérêts stratégiques et ceux de ceux qui les gouvernent. En plus, la chute du prix du pétrole est entrain de rétrécir leurs ressources et de les mettre eux-mêmes dans des difficultés financières sérieuses.
Dans un rapport publié il y a quelques jours , l’Organisation internationale du travail (OIT) prédit une hausse du chômage à travers le globe. Le phénomène serait particulièrement prononcé dans les économies asiatiques émergentes, les pays arabes exportateurs de pétrole et africains. La situation sur le marché du travail, surtout en Chine, s’est aggravée ces derniers mois selon l’OIT. La révolution industrielle en cours s’annonce destructrice, suscitant un nombre insuffisant de nouveaux métiers pour contrebalancer les réductions de postes.
Selon Guy Ryder, directeur de l’OIT, «une erreur serait de croire qu’un redressement de la croissance économique mondiale pourra régler tous les problèmes.» Car les mutations industrielles en cours, si elles devaient reposer principalement sur une dynamique de dérégulation, devrait à l’horizon 2020 coûter cinq millions d’emplois – sept millions d’emplois à la trappe, pour deux millions de nouveaux métiers créés, d’après le Forum économique mondial, dont le sommet annuel s’est ouvert à Davos mercredi.
On est de plus en plus réduits à croire que le développement est avant tout une affaire intérieure. J’entendais tout à l’heures mon ami H. Dimassi dire sur Jawhara FM : « Au lieu d’aller quémander des appuis à l’extérieur, aménagez d’abord bien votre maison, et il y aura sans doutes des gens qui aimeront y venir, et ils seront les bienvenus ».
Il ne faut pas céder comme par le passé aux sirènes des « nouvelles technologies »
Dans un ouvrage collectif, déjà très ancien mais dont le contenu reste à notre avis d’une étonnante actualité, et que malheureusement peu de nos intellectuels ont lu , nous avions tenté de montrer, à travers une analyse du processus d’accumulation depuis l’indépendance comment le pouvoir s’est toujours attaché à un mythe sensé résoudre les problèmes économiques incessamment renouvelés.
Au cœur de ce mythe, l’option « industrialiste » témoigne d’une permanence étonnante. Plus précisément, elle a connu une réelle constance dans le rôle central qui a toujours été dévolu à l’industrie dans le dépassement des contraintes et des blocages du processus d’accumulation, bien que, à plusieurs égards, elle ait été le facteur principal de génération de ces contraintes et blocages.
Aujourd’hui le mythe est toujours là, même s’il a changé d’habit. Il s’agit des Technologies de l’Information et de la Communication sensées constituer l’aubaine et la solution à nos problèmes de développement. Il est possible de montrer que si ces technologies sont maintenant là, qu’elles s’imposent à nous, il est aussi illusoire de penser que nous pouvons nous en passer, que de croire qu’elles peuvent résoudre en aucune manière nos problèmes en matière de croissance et de développement. Bien au contraire, et au risque de choquer, nous soutenons que la question du développement des régions défavorisées et qui font aujourd’hui l’objet de toutes les attentions, ne pourra jamais se faire qu’à travers une réhabilitation de l’agriculture. Si ces régions, si riches potentiellement, se sont appauvries jusqu’à se dépeupler continuellement, c’est parce que nous avons pendant plus de trois décennies marginalisé le monde rural et l’agriculture qui a payé pour le reste. Le mythe de l’industrialisation et aujourd’hui des « Nouvelles Technologies » y a été pour quelque chose.
3. La Crise actuelle, Une chance à saisir?
La sortie titubante du gouvernement suite aux évènements de Kasserine illustre son impuissance et son incapacité à faire face à la montée légitime des attentes.
Beaucoup et suffisamment a été déjà dit sur la maladresse de ces mesures. Nous n’en rajouterons pas.
A notre sens, s’il faut le blâmer, ce n’est pas pour son incapacité de répondre à des demandes, qu’aucun pouvoir n’est objectivement capable de satisfaire, mais pour son inintelligence du message que ces évènements véhiculent.
Il est, en effet urgent de comprendre que cette explosion signifie moins des demandes de prestations concrètes qu’une revendication implicite de « pouvoir », revendication tout aussi légitime puisque nous sommes –comme je l’ai signifié plus haut- tous des incapables et des impuissants.
La dignité (Al Karama) qui a été au cœur des revendications de la Révolution, ne signifie pas seulement un emploi. Le jeunes ont besoin de se sentir exister et d’être des acteurs de leur devenir et de celui du pays. Les jeunes ont aussi besoin de croire en quelque chose. Nous ne leur offrons sur ce plan aucune alternative réelle, cédant la place à des organisations terroristes, qui qu’on le veuille ou non, le font, et le font si bien quand il y a de riches pourvoyeurs de fonds derrière. Vue de cet angle là, les mesures annoncées par le Gouvernement (déjà énormes, pour ses capacités objectives réelles) peuvent paraître dérisoires.
D’abord, les jeunes nous disent « Otes-toi de là que je m’y mette ! ». Malheureusement, dans l’esprit d’une large fraction de notre jeunesse, nos dirigeants, et par extension nos institutions (informations, faiseurs d’opinions, …), sont non seulement avérés « incapables », mais aussi « malpropres », toutes tendances confondues, y compris ceux qu’une partie du peuple a plébiscités parce qu’ils les supposaient faisant partie de « ceux qui craignent Dieu ». Même la « crainte de Dieu » s’est avérée insuffisante pour garantir des dirigeants honnêtes.
Mais il est là un discours que le « pouvoir » est « génétiquement » incapable d’entendre.
L’alternative ne signifie d’abord pas qu’il faille changer de gouvernement, changer des têtes qui viennent à peine d’être « couronnées », même si certaines le méritent, et d’urgence. Nommez les meilleurs spécialistes –en particulier ceux de l’économie- au pouvoir et cela ne donnera certainement pas grand-chose. Un changement de gouvernement ne peut constituer une fin en soi s’il n’est pas là pour signifier un changement de vision, de politique et de stratégie.
Donner le pouvoir aux jeunes ne signifie pas non plus qu’il faille nommer quelques « jeunes premiers » comme ministres. Nous en avons vus, et nous sommes très déçus. Il s’agit de faire en sorte que les jeunes se sentent partie agissante de leur destin et de celui du pays.
Les mesures annoncées par le Gouvernement peuvent constituer une amorce en douceur d’un processus « révolutionnaire ».
Nous en prenons comme point de départ deux petits indices.
Le premier : Sur certaines chaînes de télévision, et suite aux mesures annoncées par le Gouvernement, j’ai entendu des jeunes se poser des questions sur la manière dont les emplois et autres bénéfices seraient attribués et distribués. Les jeunes ont perdu toute confiance dans le pouvoir à tous les niveaux, du sommet jusqu’au délégué.
Le second : beaucoup d’acteurs, dont le chef du gouvernement lui-même lors de son interview sur une chaîne française ce vendredi, tentent de « responsabiliser » ou « faire raisonner » les jeunes en leur déclarant, pour prendre une expression typique, que « nous n’avons pas de baguette magique » pour résoudre leurs problèmes. Déclaration « honnête » et objectivement fondée, mais qui ne trouvera jamais oreille pour l’écouter chez le public concerné, parfois sous influence d’assauts répétés de certains « adversaires », peu désintéressés et peu honnêtes sans doute, à l’instar des instigateurs de la campagne « Où est le pétrole ? ». Ou les pouvoirs qui se sont succédés ne sont pas « très propres », ou au moins ont-il pêché par incapacité de communication sur ce sujet.
Ces deux indices, signifient qu’il n’ya qu’une manière de reconstruire la confiance, d’une part, et de responsabiliser les jeunes qu’en s’inscrivant dans un processus inclusif.
Le « processus » que nous proposons, et dont les quelques aspects que nous présentons -préparés sous la pression de l’urgence- ne peuvent constituer qu’une ébauche, et nous l’espérons le point de départ, pour l’élaboration d’un projet plus complet, consiste à céder la gestion et le suivi de la mise en œuvre des mesures gouvernementales aux intéressés eux-mêmes, sous l’encadrement des autorités.
A l’échelle de chaque délégation, tous les concernés potentiels (chômeurs, candidats à la création de projets, …) sont formellement identifiés et répertoriés, ils constituent l’Assemblée générale. Ils élisent un « Comité local de gestion et de suivi des mesures gouvernementales ». Les tâches de ce Comité seraient les suivantes:
- Elaboration d’un projet de procédure d’allocation des « bénéfices » : critères, échelonnement dans le temps,…
- Elaboration d’un projet de procédure pour la sélection des projets à financer au profit des jeunes qui veulent se mettre à leur propre compte ;
- Proposition de toute mesure nouvelle permettant d’enrichir les mesures ; Elaboration de stratégies locales,…
- Suivi de la mise en œuvre de tout le programme et encadrement des jeunes promoteurs de projets.
Toutes les décisions du Comité sont soumises à l’approbation de l’Assemblée générale qui peut proposer des modifications aux projets et prend ses décisions par vote secret à la majorité des voix. Ces Comités qui sont encadrés par tous les responsables des services techniques à l’échelle locale, peuvent inviter n’importe quel responsable national ou local ou régional, qui doit répondre dans la mesure de sa disponibilité. Ces derniers jouent le rôle de conseillers et n’ont aucun pouvoir décisionnel. L’Assemblée générale est présidée par une personnalité locale choisie par l’Assemblée elle-même parmi « les sages » de la délégation et le secrétariat en est assuré par le Délégué.
Chaque Comité local élit un délégué. Les délégués élus constituent le Comité Régional dont le rôle principal est de procéder à la répartition des ressources gouvernementales entre les différentes délégations et constitue un lieu d’échange et de coordination entre les comités locaux.
Les travaux des Comités et les Réunions des Assemblées Générales font l’objet d’une couverture médiatique très large par tous les organes d’information. En particulier, les chaînes nationales consacreront un espace quotidien à la transmission en direct des travaux de ces comités et assemblées.
L’image de la démocratie, au moins telle qu’elle est matérialisée aujourd’hui (élections de représentants au sein d’une assemblée) a été très altérée chez les jeunes par la dérive qu’ils observent chez les représentants de la classe politique et l’invasion de la sphère politique par les affairistes de tous bords. Ce qui est sûr, c’est que la démocratie ne constitue plus pour nos jeunes un projet mobilisateur. Pire, les idéologies extrémistes fleurissent dans le rejet de la démocratie, et en font un aspect mobilisateur.
Il faut se l’avouer, la Révolution a failli sur presque tous ses objectifs dont essentiellement la lutte contre l’exclusion sous toutes ses formes. Beaucoup attendent « une deuxième révolution », certains pour des motifs non avoués, y contribuent activement et n’y voient que le sang et les émeutes. Saurons nous trouver suffisamment de génie pour reproduire un autre « miracle à la tunisienne » en redonnant aux jeunes des raisons d’y croire et d’espérer pas seulement par des discours –désormais sans aucune portée- mais par la mise en place de processus participatifs nouveaux et inventifs? Ce que nous proposons peut paraître comme une recette permettant de résoudre certaines contradictions. Notre ambition est d’en faire l’amorce d’une remobilisation de la jeunesse par un exercice du pouvoir –certes limité à un projet, mais un projet qui les touche directement et de manière vitale.
Enfin, quand nous proposons de « donner le pouvoir aux jeunes », cela ne signifie aucunement une invective et un rejet des « vieux » dont je fais désormais partie. Sans la sagesse, et parfois le génie de certains vieux, le pays aurait connu de pires moments. Si Dieu vous donne la chance d’atteindre la soixantaine en bonne santé, vos rhumatisme vous gênerons dans votre jogging, mais vous commencerez à vous rendre compte à quel point rien ne remplace l’expérience et le temps. On peut être un génie des mathématiques à vingt ans, mais seule l’expérience de plusieurs décennies vous fera sage.
Mohamed Hedi Zaiem
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Bravo!!. Les peuples se réchauffent par le feu de leur jeunesse. Il n'y a que les bon vins qui s'améliorent en vieillissant, l'être humain n'étant pas un bon cru, il ne peut que se détériorer avec l'âge (les exemples ne manquent pas dans l'histoire des dirigeants de notre pays). Responsabiliser les jeunes quant à leur avenir est impératif.
Un message qui donne de l'espoir au Pays, mais il lui manque un programme d'action pour convaincre les jeunes chômeurs et les faire intégrer au cercle économique du Pays. Vas y nos chers leaders sauvez votre Tunisie, il n'y aura plus de temps, les ennemis de la Tunisie et de la vie ne sont plus loin de nous. Et comme le dit le proverbe arabe: مش كل مرة تسلم الجرة.