Opinions - 16.10.2015
Medias électroniques et supports écrits : Bienvenue à «Leaders Arabiya »
Par Mustapha Khammari - L’édition et les supports écrits sont en grande souffrance dans notre pays : la «race» des lecteurs se fait de plus en plus rare et les médias sociaux «addictent» les plus récalcitrants, reléguant en arrière position les journaux et périodiques et menaçant jusqu’à l’existence même de la presse écrite. Ce n’est nullement un mal uniquement tunisien à l’heure où facebook, twitter et autres medias électroniques transforment le paysage médiatique mondial et suscitent même les …révolutions.
Ce bouleversement touche la lecture en général : le livre n’était déjà pas le mieux doté dans notre société. Les statistiques montrent un nombre effarant de tunisiens n’ayant pas ouvert un livre depuis dix ans!
Le dernier exemple d’une librairie de la place, réduite à vendre ses livres au kilo, est significatif de l’indigence intellectuelle dans le pays qui a enfanté tant de «oulémas» et d’esprits éclairés et où le grand Ibn Khaldoun, du haut de sa « stature » et de sa statue, observe la grande avenue Bourguiba jadis grouillante d’évènements culturels. Cette librairie réduite aujourd’hui à respirer les relents de la morosité ambiante et de l’envahissement de son environnement par l’anarchie des étals sauvages et les rappels, par barbelés interposés, des menaces qui guettent notre héritage culturel comme le modèle de vie qui a toujours fait le bonheur des tunisiens et la renommée de la Tunisie.
Ce n’est que lorsque la culture et la fête, à la portée du plus grand nombre - et non seulement des habitués que l’on rencontre à tous les événements culturels- reprendront leur place sous les yeux d’Ibn Khaldoun. Mais aussi, dans toutes les places des villes et villages du pays et que les vendeurs des journaux sillonneront de nouveau l’avenue, que les galeries de peinture, les salles de cinéma, le théâtre municipal, les maisons de la culture au nom prestigieux d’Ibn Rachiq, Ibn Khaldoun et autres lieux de culture maintenus grâce au dévouement de «militants» à travers le pays du nord au sud, pour étancher la soif de culture de milliers de jeunes désœuvrés, offriront de nouveau ,en permanence leurs spectacles ,films, shows et autres expositions. Ce n’est qu’à ce moment-là, lorsque l’édition refleurira, et qu’on verra sur les bancs de l’Avenue des citoyens, le livre ouvert, que l’on reprendra espoir et que nous serons rassurés sur l’avenir de notre pays aujourd’hui menacé.
J’avance cette digression à l’occasion de la parution d’un supplément culturel édité en langue arabe par «Leaders Magazine» peut être plus connu par son site sur internet (www.leaders.com.tn), mais qui a réussi, gageure, à rétablir un tant soit peu un espoir d’équilibre, en éditant à partir du support internet une belle revue mensuelle en langue française et de poursuivre le challenge en publiant un supplément en langue arabe, tout aussi agréablement conçu.
Tentative de renversement de la tendance, oui, en montrant que la domination de l’internet peut être également un catalyseur pour le support écrit, lui servant de soutien par la multiplication de son audience et l’augmentation de l’impact de la part de publicité qu’il ambitionne d’amplifier. Vaste sujet qui gagnerait à être pris en compte par nos maisons de presse, surtout celles qui souffrent de la réduction de leur audience. Le mariage médias sociaux et supports écrits a montré ses avantages et peut contribuer à sauver la presse écrite en amplifiant son audience.
Pour revenir au nouveau-né «Leaders Arabiya», le premier numéro est accueillant, agréable par son aspect, sa maquette et sa qualité d’impression, mais aussi par les sujets traités et les plumes qui enrichissent cette première parution. Elles nous invitent à découvrir sous la signature de Taoufik Jabeur, le «Voyage yéménite du cheikh Abdelaziz Thalbi» dont le nom revient aujourd’hui au secours d’associations en quête de légitimité historique. Nous retrouvons dans ce premier numéro, docteur Hamida Ennaifar s’interroger sur les capacités de nos sociétés aujourd’hui à accepter ou plutôt à coexister avec la pluralité et la diversité de pensée, d’idéologies, de religions.
Dans ce numéro, la Une accueille une figure de proue de la culture et de la politique en Tunisie : Chedli Klibi, mémoire vivante de la Tunisie de l’indépendance et de la construction de l’Etat moderne. Mais aussi grand diplomate ayant eu la lourde charge de diriger le secrétariat général de la Ligue des Etats arabes au temps des turbulences, des incertitudes et des incompréhensions inter-arabes, encore aujourd’hui dominantes dressant barrage devant les tentatives de sauvetage de la solidarité arabo-arabe.
Chedli Klibi ministre de la Culture, proche collaborateur de Bourguiba interviewé par Abdelhafidh Harguem, un bienvenu revenant confrère répondant aux sirènes de l’écriture journalistique, nous livre un début de témoignage sur une longue carrière avec son apport indéniable au réveil de la vie culturelle en Tunisie, ainsi que son vécu aux côtés du «Zaim» comme ses impressions et souvenirs à propos de grandes personnalités Rois et Chefs d’Etat du monde arabe et du monde, particulièrement ceux qu’il a côtoyés.
Nous restons cependant sur notre faim en attendant la parution annoncée prochaine du prochain livre de Chedli Klibi, comme l’annonce «Leaders Arabiya». Mohammed Lotfi Chaibi évoque dans le même numéro «l’inéluctabilité» du déclenchement de la bataille de Bizerte, sujet on ne peut plus actuel alors que nous célébrons l’anniversaire de l’évacuation, après la bataille de Bizerte, du dernier soldat français de notre territoire national.
D’autres textes enrichissants meublent ce premier numéro de «Leaders Arabiya» consacrés à l’histoire, au patrimoine, à la littérature (avec une analyse signée Ameur Bouazza du «texte et du phénomène» «Ettalyeni, pièce de Chokri Mabkhout», la Tunisie et le nouvel horizon iranien (par l’Ambassadeur Hssairi) autre article, signé Rachid Khéchana qui s’interroge si le modèle tunisien peut encore être considéré comme un modèle réussi.
D’autres articles intéressants enrichissent cette première livraison qui constitue un apport appréciable aux débats culturels et politiques peut être jusqu’ici délaissés par les medias engoncés dans le brouhaha de l’immédiateté d’une actualité souvent dramatique et qui laisse peu de place à la réflexion, à l’analyse apaisée et à la nécessaire prospective autour d’un futur qui nous interpelle alors que les grandes inconnues de son équation planétaire nous échappent.
Mustapha Khammari
Ancien PDG de la SNIPE (La Presse et Assahfa) et de l'ERTT,
ancien directeur des Rédactions de Dar Assabah,
ancien ambassadeur de Tunisie à Séoul
ancien directeur des Rédactions de Dar Assabah,
ancien ambassadeur de Tunisie à Séoul
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