Béchir Ben Yahmed: Tunisie, une guerre non assumée
En parlant de «guerre contre le jihadisme », nous entretenons l’illusion d’une guerre conçue et menée par nous contre les jihadistes. En réalité, ce sont les jihadistes qui nous ont déclaré la guerre, qui la mènent contre nous selon des règles qu’ils observent, ou n’observent pas. Un peu partout, ils sont à l’offensive, et nous sommes dans la situation de ceux qui subissent. Les jihadistes choisissent leurs cibles et agissent sans états d’âme. Comment savoir, si on ne les a pas infiltrés, où et qui ils frapperont demain ? Que risquent-ils d’autre que de perdre les hommes et les femmes dont ils ont fait leurs exécutants zélés? Pourquoi se soucieraient-ils de les perdre, puisqu’ils en trouvent d’autres aussitôt, en nombre presque illimité ? Il y a une semaine, le 26 juin, ces jihadistes ont ciblé la Tunisie pour la deuxième fois en moins de cent jours, plus précisément son tourisme, plus précisément encore les touristes européens qui s’y trouvaient à leur portée. On a plaint la Tunisie et les Tunisiens, frappés au Musée du Bardo, en mars, et de nouveau, en juin, dans un hôtel de touristes à Sousse. On a dit sa compassion à un pays sur lequel les jihadistes semblent s’être acharnés et où, en deux attaques, ils ont fait 60 morts et une centaine de blessés : plus qu’en Égypte, plus qu’au Maroc, beaucoup plus peuplés.
On a dit et redit de cette Tunisie qu’elle était l’un des pays les plus menacés par le jihadïsme, qui y dispose d’un vivier de terroristes internes d’autant plus redoutables qu’ils sont jeunes, éduqués et insoupçonnés : ils ont surpris tout le monde, au Bardo et à Sousse, ont choisi leurs victimes et ont froidement tué. La Tunisie a en outre pour voisin, au sud, la Libye, où la centrale du jihadisme qu’est Daesh dispose de l’un de ses plus importants relais : ceux qui ont frappé la Tunisie, y compris ces terroristes de l’intérieur nourris en son sein, s’y arment, s’y entraînent et y préparent leurs actions. Le jihadisme a donc précipité la Tunisie dans la guerre. Mais tout se passe comme si ce petit pays, où il est si agréable de vivre, n’en avait pas pris conscience : la Tunisie n’a pas encore assumé la guerre que le jihadisme lui a déclarée. Il y a une semaine, lors du massacre de Sousse, il a été révélé aux Tunisiens et au monde que la Tunisie ne dispose ni des moyens gouvernementaux ni même des institutions nécessaires pour lutter contre le terrorisme. Tout se passe comme si l’avertissement du Bardo n’avait servi à rien et qu’aucune mesure sécuritaire digne de ce nom n’en avait découlé. Le jeune jihadiste qui est passé à l’acte à Sousse, Seifeddine Rezgui, n’a pas été repéré et empêché d’agir. Mais, plus grave, il a disposé de beaucoup de temps et d’une grande latitude pour tuer sans susciter de riposte et n’a été éliminé, au lieu d’être capturé, qu’une fois sa mission accomplie. Un tel laxisme a suscité l’étonnement de tous les observateurs, et leur jugement sur l’inaction et l’impréparation des autorités tunisiennes est accablant. Du bout des lèvres, ces dernières ont reconnu leurs défaillances, mais elles ont botté en touche : « Seule, la Tunisie n’y arrivera pas », ont-elles déclaré. Elles auraient été mieux avisées de reconnaître plus nettement encore que ne l’a fait le président de la République qu’elles auraient dû faire beaucoup mieux. Dans sa guerre défensive contre le jihadisme, la Tunisie doit, comme le Maroc, l’Algérie, l’Égypte ou la France, confrontés à la même équation, compter d’abord sur elle-même et se dire : ce n’est pas comme cela que nous y arriverons.
Ni après l’attentat qui a visé le Musée du Bardo ni même après celui de Sousse on n’a pris les sanctions qui s’imposaient. Qui a démissionné ? Qui a été révoqué ? Ceux qui ont fini par être sanctionnés sont-ils, à leur niveau, les vrais coupables ? Il est permis d’en douter. L’État, le gouvernement et la société elle-même doivent comprendre qu’ils sont en guerre, qu’il y a péril en la demeure. Et qu’il faut changer de mode de vie et de comportement. Leurs services de sécurité ? Leur armée ? Ils sont à la hauteur de la tâche et n’ont besoin que d’être renforcés, encore mieux équipés et surtout bien commandés. Ayant vécu successivement deux secousses, celle du Bardo et celle de Sousse, les Tunisiens ont senti que leur jeune démocratie et le gouvernement qu’elle a mis en place manquaient de souffle, de vision et même d’un programme d’action. Ils en sont arrivés à réclamer plus d’autorité et même à chercher... un sauveur. . Au-delà même de la conjoncture, la situation générale de la Tunisie incline au pessimisme.
- Son tourisme, frappé de plein fouet, était déjà malade, mais tout indique qu’il survivra en évoluant : les touristes européens qui ont déserté le pays seront remplacés par les Algériens, qui ont annoncé leur arrivée en masse dès la fin du mois de ramadan, dans quinze jours.
- On ne dira jamais assez le mal durable qu’a fait au pays la troïka au pouvoir entre 2012 et 2014, dirigée par les islamistes d’Ennahdha. Ces derniers ont fait passer dans le rouge les principaux indicateurs de l’économie et, bien plus grave, ont permis aux salafistes de prendre racine en Tunisie : c’est parmi ces derniers que se recrutent les terroristes de l’intérieur du type Seifeddine Rezgui.
- J’adhère au diagnostic de mon ami Radhi Meddeb : « Politiquement, le navire vogue sans cap. Socialement, les inégalités n’ont jamais été aussi fortes, les relations sociales aussi tendues, les nerfs de tous autant à fleur de peau et le sentiment d’injustice autant partagé. Économiquement, des secteurs entiers sont au bord de l’effondrement : le phosphate est à l’arrêt mais personne ne s’en émeut, le textile va très mal, les industries mécaniques et électriques perdent de leur compétitivité, les investissements directs étrangers se détournent, le tourisme agonise et le drame de Sousse risque de lui porter l’estocade.
- Les finances publiques sont en crise structurelle profonde et durable. Les entreprises publiques, les banques publiques, les caisses de retraite sont en grande difficulté, sinon pour certaines en situation de faillite déguisée. ».
Béchir Ben Yahmed
JEUNE AFRIQUE
DU 5 AU 11 JUILLET2015
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Une analyse... une de plus... peut-être une analyse de trop !!!??? La critique doit être constructive. Je ne vais l'appendre au fondateur de JEUNE AFRIQUE. C'est bien de déconstruire pour certains et de détruire pour d'autres !!! Mais un intellectuel ou un journaliste, ou la personne qui est les deux fois, doit donner l'exemple dans son action. Il faut développer un discours qui galvanise la foule et les lecteurs. Notre pays en a besoin. C'est ce qui se passe en occident. Le 4ème pouvoir arrive à la rescousse du pouvoir exécutif et développe un esprit "national" (non pas au sens nationaliste) et propose des solutions et des analyses qui orientent les lecteurs vers une attitude positive et solidaire !!! Rembobinez le film et revenez à l'attentat de CHARLIE HEBDO. Tout est dit ! Allons-nous enfin nous mobiliser pour la Tunisie, NOTRE TUNISIE ? Arrêtons d'avoir une attitude sadique générale et généralisée face à notre mère patrie, victime de ses profondes blessures. Tout le monde tire sur l'ambulance... ou plutôt comme dit un proverbe tunisien : "quand la vache se retrouve au sol, les couteaux deviennent nombreux" (pour l'abattre) !!!
Que fait le gouvernement, d'une soixantaine de ministres, si ce n'est d'être cristallisé sur le terrorisme. ON aurait mieux fait de ne conserver que les portefeuilles de souveraineté et donner congé au reste. Et pourtant le volet économique et social sont demeurés tels quels. Personne ne se soucie de leurs cas ni imaginer des solutions à leur endroit. Encore pour la nième fois, nous avons BESOIN d'un gouvernement restreint de guerre, de salut national où l'information et la décision se prennent et ne souffrent d'aucun délai. Les organisations nationales se doivent alors de soutenir un tel gouvernement car il sera plus efficient, mieux à l'écoute des citoyens.
Que fait le gouvernement, d'une soixantaine de ministres, si ce n'est d'être cristallisé sur le terrorisme. ON aurait mieux fait de ne conserver que les portefeuilles de souveraineté et donner congé au reste. Et pourtant le volet économique et social sont demeurés tels quels. Personne ne se soucie de leurs cas ni imaginer des solutions à leur endroit. Encore pour la nième fois, nous avons BESOIN d'un gouvernement restreint de guerre, de salut national où l'information et la décision se prennent et ne souffrent d'aucun délai. Les organisations nationales se doivent alors de soutenir un tel gouvernement car il sera plus efficient, mieux à l'écoute des citoyens.
OUI voous avez raison de poser de tels questions sur les evènements qui frappent la Tunisie; mais je dois ajouter ce que j´ai dans la mémoire. Au Bardo, je me souviens qu´il devrait être quatre flics sur la place, mais les jihadistes(2) ont agi en toute liberté, des quatres flics un est allé acheter un sandwich,deux étaient assis au café et le dernier il n´est pas venu. A sousse la meme chose le jihadiste, un seul, a agit sans être inqiété. Comment trois malfaiteurs puissen faire tant de ravage alors qu´on savait depuis longtemps que la Tunisie a plus de policiers par tête d´habitants que tous les autres pays. C´est ma memoire qui me dit tout cette histoire. Ma mémoire me dit aussi qu´a Sousse le jihadiste a été reperer et on tire sur lui, mais le fusil du garde c´est enrayer? et telephone mobil, il est clair que le gouvernement devrait être tenu devant ses resposabilités le jours des prochaines elections. Il a manqué a sa son devoir de proteger le pays et sa population. Tois personnes commetten tant de destruction? alors si c´était une armée qui nous avait anvahis?
Il y a quarante ministres en portefeuilles plus les conseillers ministres qui ne sont focalisés que sur le terrorisme. Qui s'occupe des secteurs économiques et sociaux; personne me semble - t-il. pour éradiquer le terrorisme,il faut que ces messieurs se remettent au travail.
Bravo Bachir Benyhamed l'homme intellectuel voici la génialité Tunisienne faut que le valoriser et mettre les moyens nécessaires à leur disponibilité .
Encore j ajouterais en plus de ce que rapporte Si Bechir Ben Yahmed,que le drame n a pas l air de prendre fin,un avenir sombre semble se preciser,les architectes de ce sombre avenir continuent d attiser les differences a l interieur des Etats en deliquescence.Sunnites contre Chiites amazight et berberes contre Arabes .. etc.les attaques meurtrieres vont se multiplier puis viendra l exemple des Kurdes en Irak, concernant leur autogestion des territoires qui leur appartiennent ,les berberes,Amzigh,touareg, sunnite,chiite arabe...etc,a chacun son mini-territoire,l occident impose l option federale....puis au bout de quelques annees,de nouveau des troubles armes et des morts,appelant au droit de l Autodetermination des peuples,de nouveaux Etats seront rapidement declares et reconnus par la communaute internationale,le monde arabe sera de nouveau en miettes eparpillees. LAlgerie,la Libye,l Irak,la Syrie et l Egypte seront concernes par cette probabilite plus que credible.Retenez bien ce scenario dans vos tetes,car tous les evenements qui se sont produits ces 30 dernieres annees versent dans cette demarche lente mais sur fait son chemin. Si j ai un conseil a donner aux Etats Iran,Irak,Syrie et Turquie c est de faciliter l independance de la republique Kurde dans ses frontieres et de reconnaitre illico-presto la renaissance de l Etat Kurde dans ses frontieres d avant l empire Ottoman. Retenez bien mon commentaire sur cette tres possible evolution des evenements que nous continuons a vivre. Bourguiba avait toujours soutenu le pere Barzani et l a accueilli a plusieurs reprises en Tunisie,Il etait pour l autodetermination du peuple Kurde et du peuple Mauritanien.Mokhtar Ould Dada a reussi son combat contre le Maroc qui voulait avaler la Mauritanie. Bourguiba en veritable Homme d etat a vu juste et pris des decisions historiques.L Histoire lui a donne raison.Il faut se rappeler les exemples des Etats socialistes apres la chute du mur de Berlin,la Yougoslavie est devenue 4 Etats ,la Russie,la tchekoslovaquie....etc.c est ce qui attend les pays arabes et musulmans apres leur autodestruction.
Mr Béchir, cette fois ci je ne suis pas du tout d'accord avec vous, vous n’êtes pas habitué à être pessimiste à ce point-là .Le gouvernement commence à maîtriser la situation peu à peu, ainsi la Tunisie s'en sortira de cette terrible crise.Alors il écrire des articles qui encourage les gents et non pour baisser le moral.Je crois que vous n'avez pas besoin des leçons de morales.