L’Etat protège-t-il ses fonctionnaires et assure-t-il leur défense lorsqu’ils ne sont ni responsables, ni coupables ? Moncef Zouari, ancien directeur général de Tuninter jusqu’à fin 2011, croupit depuis dimanche soir en prison à Vienne, en attendant son extradition vers l'Italie. Participant à un forum économique international en Autriche, il a été arrêté par la police des frontières alors qu’il s’apprêtait à rentrer à Tunis. Vérification faite de son passeport, il s’avère qu’il est sous le coup d'un avis de recherche lancé contre lui par Europole, à la demande de la justice italienne pour une condamnation en dernier appel d’une peine de neuf ans fermes.Immédiatement l’Ambassade de Tunisie à Vienne s’est mobilisée en sa faveur. Le ministre des Affaires étrangères, alerté par la famille a donné ses instructions pour lui apporter toute l’assistance requise. Des clefs essentielles pour comprendre ce sort inique.
Le crash de l’ATR 72-200
Cette lourde sentence a été prononcée contre Zouari en tant que Directeur général de Tuninter, filiale de Tunisair pour les vols domestiques et régionaux, suite au crash, le 5 août 2005, au large de la Sicile, d’un appareil ATR 72-200 de la compagnie, qui décollait de Bari vers Djerba, avec à son bord 35 passagers et 4 membres d’équipage. Le bilan de l’accident est lourd faisant 16 morts et 23 blessés (familles des morts et victimes tous indemnisés). L’origine est imputée à des défaillances techniques, mais le constructeur franco-italien a su tirer son épingle du jeu et échapper à toute condamnation.
Pour la première fois dans l’histoire
Dans une première historique jamais relevée dans les annales de l’aviation civile internationale, ce sont les dirigeants de la compagnie aérienne qui sont poursuivis en justice et condamnés à d’aussi lourdes peines. Le 23 mars 2009, « le tribunal de Palerme, le pilote et le copilote du vol Tuninter 1153, Bari-Djerba, ont été condamnés à dix ans de prison pour ne pas avoir tenté de rejoindre Palerme, en vol plané. Le Directeur général de Tuninter, Moncef Zouari, et le directeur technique de la compagnie, Zouhair Chétouane étaient condamnés, pour leur part, à neuf ans de prison. Enfin, deux responsables de la manutention et un mécanicien écopaient de huit ans de prison », rapporte Ridha Ben Kacem dans un blog intitulé :
Le procès de la honte !
Qu’ont fait les autorités tunisiennes, dès le crash pour assurer la défense de l’équipage et des dirigeants de la compagnie ? Quels efforts avaient été déployés pour apaiser la douleur des familles des victimes et celle des blessés et trouver les arrangements nécessaires ?
Un homme discret et patient
Ceux qui connaissent Moncef Zouari savent combien il allie compétence et patience. Cet expert-comptable avait choisi à son retour de Paris dans les années 70 de servir l’Etat et a occupé progressivement de hautes fonctions managériales notamment en tant que DGA du CNI, puis DG de la Cotunace et de Tunintair. Zouari fera partie des fondateurs de la Chambre Tuniso-Canadienne du Commerce et de l’Industrie dont il sera élu président. Là où il est nommé, il a toujours fait preuve de compétence et d’efficacité, apportant une vision nouvelle et ralliant les équipes en sa faveur. Cette relation très forte avec le personnel sera exprimée au lendemain de la révolution, lorsque le 6 février 2011, des « égarés » avaient tenté de lui jouer le coup du Dégage. Mais, c’est le
personnel qui s’y est fermement opposé adjurant leur DG de rester à son poste. Il s’y pliera et sera gratifié lors de son départ à la retraite, fin 2011, d’une émouvante réception d’adieu.
Comment Moncef Zouari vit ce drame à Vienne ?
Malgré un état de santé très fragile, suite à une série d’opérations chirurgicales très délicates, Moncef Zouari vit des momoments difficiles. Son réconfort, c’est toute l’assistance dont il bénéficie auprès de l’ambassade de Tunisie à Vienne, apprend Leaders auprès de ses proches. Dès le déclenchement de son arrestation, dimanche après-midi, l’ambassadeur Ghazi Jomaa, s’est mobilisé en personne multipliant jusqu’à tard dans la soirée, contacts et démarches avec les autorités concernées.
Son incarcération provisoire étant inéluctable, il fallait lui obtenir l’assistance médicale requise, ses médicaments et l’autorisation de visite en faveur de sa famille déjà présente et les autres membres accourus de Tunis. Aussi, un avocat a été commis pour assurer sa défense.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Moncef Zouari sera déféré devant le procureur de la République qui devra statuer sur la demande italienne d’extradition. Il faut compter entre 10 et 15 jours, apprend Leaders de source informée, pour que cette demande parvienne au parquet de Vienne. D’où, première action, intervenir auprès des autorités italiennes pour en accélérer la transmission. Selon le parcours juridique en vigueur, si le procureur autrichien accède favorablement à la demande italienne, Zouari sera transféré en Italie. Tout se jouera alors là-bas. Un avocat est déjà désigné.
La bataille juridique est terminée avec une condamnation ferme après épuisement des recours en appel. De nouveaux arrangements avec les familles des victimes et les blessés, à trouver très rapidement, pourraient ouvrir une brèche et laisser à la diplomatie de jouer pleinement son rôle. Les relations entre la Tunisie et l’Italie sont actuellement au zénith, la récente rencontre chaleureuse entre Béji Caïd Essebsi et Mattéo Renzi, en marge du Sommet du G7 en Allemagne, en offre une nouvelle illustration. La voie de la grâce, en ultime recours, est ouverte. L’essentiel est de prendre ce dossier à bras le corps par les plus hautes autorités tunisiennes et d’agir au plus vite.
Ni responsable, ni coupable, Moncef Zouari, en haut commis de l’Etat, ne mérite pas de passer une seule nuit en prison. Son état de santé critique s’ajoute à sa totale innocence pour le sortir de ce pétrin. Il faut sauver Moncef Zouari. C’est un devoir d’Etat.
Taoufik Habaieb