News - 09.04.2015
Les événements du 9 avril 1938, une relecture du discours de Ali Belhouane
« Nous sommes venus en ce jour pour montrer notre force, la puissante force de la jeunesse qui va détruire et vaincre les structures coloniales avec ses atrocités. Nous sommes réunis en ce jour pour montrer notre force devant cet impuissant – en montrant la résidence générale de France – A tous ceux qui croient en la cause Tunisienne, à tous ceux qui croient en un parlement Tunisien, le parlement tunisien ne peut se créer que sur les corps de nos martyrs et ne peut se construire qu’avec les bras des jeunes !
Luttez au nom de Dieu, si vous vous trouvez devant l’armée française ou la gendarmerie, disséminez les dans le désert et faites en ce que vous voulez, vous êtes les propriétaires de cette nation et ce sont eux les étrangers dans votre pays ! … le gouvernement colonial nous a interdit de lever notre drapeau, et voilà qu’on le lève dans cette place malgré lui ! Il a interdit toute manifestation et voila que nous manifestons et que nous remplissons les avenues avec des femmes, des hommes et des enfants qui crient des slogans et sont pleins d’enthousiasme. » Voir texte en langue arabe (*)
Ces quelques phrases criées par le leader Ali Belhouane devant la résidence générale de France le 8 avril 1938 qui harangua une foule de Tunisiens estimées à près de 10000 personnes, nous amènent à faire une analogie à ce qui se passe aujourd’hui dans notre pays à la différence près que notre ennemis actuel n’est plus le colon français mais plutôt des groupes terroristes et mafieux et des contrebandiers dont l’objectif est d’anéantir notre unité nationale et nos intérêts économiques.
Certes l’ennemi a changé mais ces déclarations restent valables à ce jour, nous sommes aujourd’hui plus que convaincus que l’on ne pourra instaurer une démocratie qu’au prix du martyr de nos valeureux agents de sécurité et militaires tunisiens mais aussi de valeureux personnages politiques (Belaid, Brahmi, Naghedh, …) et cette démocratie naissante ne pourra se construire que grâce à des têtes pensantes et grâce aux œuvres de nos jeunes.
Dans son discours Belhouane appelle au Jihad au nom de Dieu contre l’armée et la gendarmerie française, il serait tout à fait légitime aujourd’hui de faire le même appel à l’encontre de cette horde d’extrémistes qui nous pourrissent la vie, ces étrangers dans notre pays, ces nouveaux colons, ils ont voulu lever un autre drapeau et interdire aux tunisiens de lever le leur, ils veulent nous intimider et nous faire peur pour qu’on ne vive plus à l’aise dans notre pays mais voila que les tunisiens ne ratent plus aucune occasion pour lever leur drapeau et manifester par millier dans les plus grandes places du pays en défiant toutes leurs peurs suites aux opérations terroristes que ces sauvages ont mené depuis 2011.
Cependant, les leaders du mouvement national en cette période coloniale considéraient que la souveraineté nationale ne pouvait se réaliser que par l’indépendance politique, ils sous estimaient ou négligeaient ainsi l’indépendance économique qui figure rarement dans leurs combats et leurs discours. Or, nous savons tous que le colon français n’a pu instaurer son hégémonie et sa puissance dans notre pays que grâce à l’exploitation nos ressources naturelles et agraires par l’économie de traite et aux mesures réglementaires qui ont faussé le jeu de la concurrence commerciale, artisanale et industrielle en développant et introduisant sur le marché tunisien des produits industriels beaucoup moins chers que nos produits artisanaux qui ont détruit le tissu artisanal tunisien, et anéanti et découragé toute forme d’initiative pour le naissance d’un semblant de groupe d’intérêt économique national dans le domaine commercial ou industriel.
Ainsi selon Chater (**), les autorités coloniales se mettent à promulguer « des tarifs douaniers qui accordent la franchise au différents produits manufacturés français ruinant l’artisanat local et condamnant toutes velléités de création manufacturière en Tunisie : sérieuse concurrence à la Chéchia tunisienne dont le marché s’étendait, au début du 19ème siècle, à l’aire ottomane, déclin des textiles et des produits divers des manufactures et petits ateliers de production des différents corps de métiers ; invasion des marchés par des articles de camelote et de produits manufacturés divers. ».
Comme l’histoire se répète, nous vivons aujourd’hui la présence et l’hégémonie de groupes mafieux et de contrebandiers qui profitent de la corruption croissante au sein des institutions administratives et sécuritaires tunisiennes et en dehors de ces institutions pour mener la même politique économique coloniale, et anéantir ainsi notre économie et notre tissu industriel et commercial déjà vulnérables à cause des politiques libérales dans lesquelles se sont engagés les gouvernements successifs depuis la fin des années 1980 sous le conseil et la supervision des institutions financières internationales (FMI, BM, …).
Aujourd’hui, comme en période coloniale nous sommes en guerre contre une nouvelle forme de colonisation menée par un colon qui n’a aucun statut civil ou militaire, il n’a pas de territoire ni de lois, tous les tunisiens doivent faire de la résistance à ces nouveaux colons encore plus sauvages que les anciens, nos politiciens doivent être en mesure de prendre conscience des enjeux économiques de cette nouvelle forme de colonisation, mais surtout de trouver et de mettre en place les solutions adéquates afin de faire face aux groupes terroristes, mafieux et contrebandiers qui s’accaparent une place et un espace géographique et surtout économique de plus en plus important ainsi l’économie parallèle est aujourd’hui estimée à près de 50% de notre économie formelle !
Une des solutions préconisée par certains économistes c’est de combattre le feu par le feu, dans ce cas de figure il s’agira d’anéantir la contrebande et les groupes mafieux par plus de libéralisation économique, par exemple en éliminant les droits de douane et toute forme d’interdiction d’entrée de marchandises (sauf pour les armes et les drogues) et en instaurant des taxes à l’entrée payées en devise sur les volumes importés par les commerçants et les contrebandiers.
Chérifa Lakhoua, universitaire,
Texte publié en hommage à mon arrière oncle Ali Belhouane
9 avril 2015
(*) Texte original en langue arabe
قد جاء في خطاب الزعيم علي البلهوان يوم 8 أفريل 1938 بساحة الإقامة العامة بتونس العاصمة ما يلي: «جئنا في هذا اليوم لإظهار قوانا - قوة الشباب الجبارة التي ستهدم هياكل الاستعمار الغاشم وتنتصر عليه، جئنا في هذا اليوم لإظهار قوانا أمام هذا العاجز مشيرا الى المقيم العام غيون .يا أيها الذين آمنوا بالقضية التونسية، يا أيها الذين آمنوا بالبرلمان التونسي، ان البرلمان التونسي لا ينبني الا على جماجم العباد، ولا يقام الا على سواعد الشباب! جاهدوا في الله حق جهاده، اذا اعترضكم الجيش الفرنسي أو الجندرمة شرّدوهم في الفيافي والصحاري وافعلوا بهم ما شئتم، وأنتم الوطنيّون الدائمون في بلادكم وهم الدخلاء عليكم! بالله قولوا حكومة خرقاء سياستها خرقاء وقوانينها خرقاء يجب أن تحطّم وأن تداس، وها نحن حطّمناها ومزّقناها، فالحكومة قد منعت وحجّرت رفع العلم التونسي، وها نحن نرفعه في هذه الساحة رغما عنها! والحكومة منعت التظاهر وها نحن نتظاهر ونملأ الشوارع بجماهير بشريّة نساء ورجالا وأطفالا تملأ الجوّ هتافا وحماسا »
(**) Khalifa Chater appelle ce phénomène « La ruine de l’économie de bazar », in Les notables citadins en Tunisie au cours de l'ère coloniale : le concept du beldi et ses mutations, 1992, p. 121.
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