Loi électorale et mode de scrutin
On a enfin un chef de gouvernement et une nouvelle phase, la cinquième, s’ouvre dans le parcours d’une révolution perdue dans des affrontements entre les fractions politiques.
A cet effet, on doit d’abord tirer les enseignements de l’expérience des dernières élections du 23 octobre 2011. La loi électorale qui a été utilisée à l’époque n’a pas été concluante. Elle a introduit un scrutin de liste proportionnel avec les plus forts restes qui, étant donné le nombre considérable des partis et leur éparpillement, et la multiplication des listes dites indépendantes, a provoqué une très grande abstention, représentant la moitié environ du corps électoral et l’élimination d’environ le tiers des votants, soit plus d’un million de voix qui n’ont obtenu aucun siège à l’Assemblée constituante, ce qui explique la prédominance du parti le plus anciennement structuré.
En vue d’obtenir des élections assurant une meilleure participation au vote et la plus faible abstention possible et une meilleure représentation du paysage politique, il y a lieu d’établir un mode de scrutin, plus simple, plus compréhensible pour l’ensemble des électeurs, qui ne sont pas tous spécialistes du droit électoral pour ne pas les pousser à l’abstention. Le scrutin de liste est donc à éliminer. Ces listes comprenaient un nombre important de candidats devant représenter une grande circonscription comme les différents gouvernorats comprenant un nombre trop élevé d’électeurs. Ces listes sont établies surtout par les partis politiques, et les candidats ne sont pas connus des électeurs. Il faut simplifier.
Les candidats doivent être des personnes connues représentant des circonscriptions moins étendues. Chaque circonscription doit élire un seul des candidats pour représenter de telles circonscriptions. C’est le mode de scrutin connu sous le nom de scrutin uninominal (un seul élu) à un ou deux tours. Le nombre d’électeurs de chaque circonscription dépend du nombre des candidats à élire à l’Assemblée législative et de l’importance du corps électoral, c’est-à-dire du nombre de personnes ayant le droit de voter. Si l’on prend le cas actuel de l’Assemblée constituante où le nombre des députés est de 217 et si le corps électoral compte quelque 7 à 8 millions de votants, la circonscription doit comporter environ 35 à 40 000 votants appelés à élire un seul député.
Les candidats à cette élection peuvent être nombreux et représenter soit les différentes formations politiques ou des personnalités indépendantes. Le vote comporte un seul tour si l’un des candidats parvient à obtenir la majorité absolue, c’est-à-dire 50% des voix + une voix. Si ce n’est pas le cas, on procède à un second tour auquel ne peuvent se présenter que les deux candidats qui ont obtenu le plus grand nombre de voix. A ce second tour, sera élu celui qui obtiendra le plus grand nombre de voix.
La dimension de la circonscription électorale, et le fait qu’il n’y a pas un trop grand nombre d’électeurs et un seul élu connu de l’ensemble des votants assurent ainsi la disparition de l’anonymat qui caractérise le scrutin de liste: trop grande circonscription, plusieurs candidats par liste, ne pouvant guère être connus de près pour les électeurs, difficulté à comprendre la manière dont on calcule les voix à obtenir pour être élu, et l’on vote dans ce cas pour un parti et sa liste sans trop se préoccuper de la qualité des personnes à élire. C’est donc abstrait, anonyme et peu attractif pour les électeurs qui préfèrent avoir, comme dans le cas du scrutin uninominal, affaire à une personne déterminée qui les représente, s’occupe d’eux, de leurs régions et leurs problèmes.
Le scrutin uninominal à un ou deux tours brise l’anonymat et met fin à la solitude et l’hésitation de l’électeur devant l’urne, surtout dans le cas du scrutin de liste à la proportionnelle dont il ne connaît pas l’issue. Le scrutin uninominal permet l’émergence de personnalités indépendantes dont la présence est salutaire pour le succès de l’élection. On entend dire cependant que ce scrutin provoque un regain de «tribalisme» et l’introduction de manœuvres financières se traduisant par l’achat des voix des électeurs, surtout ceux dont les moyens intellectuels ou financiers sont limités. Le mode de scrutin utilisé le 23 octobre 2011 a provoqué ce «commerce» électoral, notamment dans les régions les plus déshéritées et l’attachement à une personne ou à une région n’est pas nécessairement du tribalisme qui est surtout provoqué par les excès de la politique.
De toute façon, ces déviations ne peuvent être que limitées si les «pouvoirs» n’interviennent pas dans le circuit. En tout état de cause, elles sont plus identifiables dans le cas du scrutin uninominal, la dimension de la circonscription, le nombre réduit des électeurs permettent un meilleur contrôle par l’organisme de contrôle et par les candidats eux-mêmes.
Le mode de scrutin adopté ne doit pas inciter à l’émiettement du paysage politique et à la multiplication de formations politiques peu représentatives. Le gouvernement du pays n’est pas seulement une affaire de «justice» électorale comme on l’entend dire, c’est une question d’efficacité de la gestion des intérêts de toute une nation. Les candidats doivent être des personnes connues de leurs électeurs et pouvant les rassurer sur leur capacité réelle dans ce domaine. Les partis politiques veilleront ainsi à choisir des candidats présentant de tels critères et non de simples adeptes de leurs doctrines étant confrontés à des personnalités indépendantes pouvant présenter un meilleur profil.
En conséquence, la loi électorale doit inciter les partis politiques à se regrouper en formations plus importantes capables de rassurer l’opinion sur leur capacité à assurer les responsabilités de la gestion des affaires publiques. La disposition généralement adoptée dans les lois électorales prévoit que la formation politique qui n’obtient pas 3 à 5%, ou plus selon les pays, des votes émis par le corps électoral sur l’ensemble du scrutin, n’aura pas de sièges de députés à l’Assemblée, ce qui est de nature à favoriser le regroupement et la constitution des formations politiques plus représentatives.
Il faut espérer que l’on ne recommencera pas la même erreur, qu’on ne reprendra pas le scrutin de liste proportionnel avec les plus forts restes. Le scrutin uninominal à un ou deux tours est celui qui convient au pays, qui réhabilitera partis politiques, élections et démocratie aux yeux d’une opinion publique fortement déçue par une scène politique considérablement dégradée.
Par ailleurs, la loi électorale doit décider de la date des élections et statuer sur des élections présidentielles et législatives à la même date ou à des dates différentes et par quelle catégorie commencer.
La meilleure solution, pour le pays et l’efficacité des institutions gouvernementales, semble être celle de l’élection à la même date du chef de l’Etat et des députés. Deux scrutins successifs sont de nature à accentuer le trouble politique : on risque d’avoir deux majorités différentes qui vont se heurter et réduire l’efficacité des deux institutions, celle de la Présidence et celle de l’Assemblée. Deux scrutins simultanés, en revanche, peuvent unifier ou rapprocher les deux majorités éventuelles et aboutir à une plus grande efficacité des mêmes institutions.
L’exemple de la France est significatif à cet égard. Jusqu’aux dernières élections et depuis la Vème République, les deux élections étaient séparées. On a eu en conséquence deux majorités. Le président élu (Mitterrand) s’est trouvé à l’Elysée dans la position de chef de l’opposition, le Premier ministre (Balladur) s’agissant d’un régime mixte comme celui de la constitution en cours d’approbation, ayant obtenu une majorité confortable à l’Assemblée nationale. C’est lui qui va gouverner et le président, de prépondérant, est devenu «honoraire». Pour éviter de telles situations, les Français ont fini par organiser en même temps les deux scrutins : la majorité est aujourd’hui à la fois présidentielle et parlementaire : le président redevient prépondérant et le Premier ministre est le chef de la majorité au Parlement. La responsabilité du parti au pouvoir est plus nette: elle sera sanctionnée aux prochaines élections.
En conclusion, il nous semble que l’organisation des deux élections en même temps constitue la meilleure solution à tous points de vue. Si on peut leur ajouter les élections municipales dont on ne parle pas. Elles ont trop tardé et les «délégations spéciales» se sont signalées par la dégradation de la propreté de nos cités et campagnes.
M.M.
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Je crois qu'en France Les deux élections présidentielles et législatives sont séparées.
Je félicite Si Mansour pour cette analyse perspicace. Cependant, je lui précise que pour la France, les dernières élections présidentielles et législatives ont eu lieu à des dates différentes(22 Avril-12 Mai et 10-17 Juin), ce qui n'a pas empêché les socialistes d'obtenir une majorité confortable à l'assemblée après avoir placé François Hollande à lElysée
Le mode de scrutin proposé favorise les grands partis ; Ainsi si un parti ou une coalition de partis rassemblent 51% des suffrages dans chaque circonscription, ils ont 100% des élus. Je ne pense pas que ce soit souhaitable dans un pays qui a souffert de la domination absolue d’un parti unique sur la vie politique pendant un demi-siècle. La Tunisie a besoin d’un mode de scrutin garantissant une meilleure représentativité. Le mode de scrutin proportionnel avec les plus fortes moyennes et des circonscriptions de taille moyenne est plus équitable. Il empêche la domination d’une coalition unique tout en n’ayant pas les inconvénients du même mode de scrutin avec les plus forts restes.
Très bonne analyse. Le scrutin uninominal convient parfaitement au pays sans aucun doute. Quand à la concordance des dates, la France élisait un président pour 7 ans et une assemblée pour 5. Il y a donc une assemblée qui est réélue en cours de septennat et qui a provoqué plus d'une fois une cohabitation. Depuis un peu plus de 10 ans les deux mandats sont ramenés à 5 ans. Élire un président et une assemblée le même jour peut être lourd à assimiler pour beaucoup d'électeurs illettrés. Il faudrait peut être organiser les élections présidentielles, d'abord, puis les législatives. Il se créera un mouvement spontané qui voudra donner au président élu une assemblée qui puisse le suivre dans l'application de son programme électoral.
Je partage le point de vue du professeur Sadok Belaid exprimé dans un article paru dans "La presse" du 23 février 2014.Il opte pour un scrutin de liste aménagé et prévoyant une dose de scrutin uninominal.Pour une circonscription électorale donnée, le parti proposerait aux électeurs une liste comportant un nombre de candidats supérieur au nombre de siéges à pourvoir.L'électeur pourra donc confectionner sa propre liste en faisant tomber les têtes qui n'emportent pas son adhésion!