News - 19.11.2013

Retour sur l'affaire Malek Jaziri: le grand cinéaste anglais Ken loach explique pourquoi il est partisan du boycott culturel d'Israël

L’affaire Malek Jaziri a donné lieu à quelques débats enfiévrés et brouillons. A l’heure où le Président François Hollande s’incline à Jérusalem devant  la tombe de Théodore Herzl, le père du sionisme, il est clair que,  dans le conflit israélo-palestinien, les symboles jouent un rôle important. Le talentueux et célèbre  réalisateur de cinéma britannique  Ken Loach- membre du Comité de Parrainage du Tribunal Russell pour la Palestine- explique dans une  interview menée  par Frank Barat pour « New Internationalist» (07 novembre 2013), les raisons d’un boycott culturel d’Israël.  Frank Barat est un ancien coordinateur près le Tribunal Russell pour la Palestine.

Et à l’heure où le cinéma israélien avec des films comme «Room 504» (qui traite de «la justice» militaire israélienne) essaie de donner d’Israël une image de pays démocratique, il nous a paru  utile de livrer à l’opinion tunisienne la traduction des arguments que  ce grand monsieur développe dans  l’entretien qui suit.

Mohamed Larbi Bouguerra

Pouvez-vos nous dire comment vous avez pris conscience et  avez été impliqués dans la lutte pour les droits des Palestiniens?

Ken Loach: Cela c’est fait il y a quelques années alors que je travaillais sur une pièce de théâtre intitulée «Perdition». Elle traitait du sionisme pendant la Deuxième Guerre Mondiale et le marché qui avait alors été conclu entre certains sionistes et les Nazis. Ce qui jette un  éclairage totalement nouveau   sur la création de l’Etat d’Israël et sur la politique du sionisme. J’ai alors pris conscience et puis,  graduellement,  au cours des années suivantes,  que la fondation d’Israël est assise sur un crime contre les Palestiniens. Depuis, d’autres crimes ont été  perpétrés. L’oppression des Palestiniens- qui ont perdu leur terre, dont la vie est  quotidiennement perturbée  par l’occupation, qui vivent dans un état de dépression permanente et qui perdure - est une situation qui nous interpelle.

Pourquoi la Palestine? Pourquoi la Palestine est-elle symbolique?

Ken Loach: L’oppression se rencontre partout dans le monde mais un certain nombre de choses  rendent  le conflit israélo-palestinien exceptionnel. Tout d’abord, Israël se présente au monde comme une démocratie. Un pays pareil à n’importe quel Etat occidental. Il se présente de cette façon alors qu’il commet en réalité des crimes contre l’Humanité. Il a produit un Etat qui, comme dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, des considérations  raciales divisent le pays. Israël est aussi soutenu militairement et financièrement par l’Europe et les Etats Unis. Ainsi, se poursuit une énorme hypocrisie. Nous soutenons un pays qui se prétend être une démocratie, nous le supportons de mille manières et pourtant, il est impliqué dans des crimes contre l’humanité.

Il y a divers moyens pour changer tout çà et l’un de ces moyens est l’appel au BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions). Vous êtes la première personnalité de grande importance à approuver et à soutenir cet appel pour un boycott culturel d’Israël. Vous avez ainsi ouvert la voie pour que de nombreux autres créateurs vous rejoignent. Certains disent que vous ne devriez pas boycotter la culture. Que leur répondez-vous?

Ken Loach: Tout d’abord, vous êtes un citoyen, vous êtes un être humain. Quand vous êtes confrontés à de tels crimes, vous avez à répondre en tant qu’humain- indépendamment de votre étiquette d’artiste, de VIP ou autre. Avant toute chose, vous avez à répondre et à faire ce dont vous êtes capable pour attirer l’attention des gens. Un boycott est une tactique. Il est efficace vis-à-vis d’Israël parce qu’Israël se présente comme un phare culturel. Il peut donc être très affecté par  un boycott culturel. Nous ne devrions avoir rien à faire avec des projets soutenus par l’Etat d’Israël. Les individus ne sont pas concernés. Nous devons diriger nos actions sur l’Etat d’Israël. C’est lui notre cible. Nous avons cet Etat  en point de mire car nous ne pouvons pas rester les bras croisés à regarder les gens vivre une  vie de réfugiés dans les camps pour l’éternité.

Israël utilise l’art et les films dans le cadre d’une campagne lancée sous le sigle «La marque d’Israël». L’art est donc politique. En ce qui vous concerne, tous vos films sont politiques. A votre avis, l’art peut-il être un outil pour combattre l’oppression?

Ken Loach: Oui. Le point fondamental est le suivant : quelle que soit l’histoire que vous choisissez de raconter ou les images que vous choisissez de montrer, ce que vous sélectionnez révèle  vos centres d’intérêt. Si vous faites un film d’évasion, sans rapport avec la réalité,  dans un monde plein d’oppression, cela montre où sont vos priorités. Ainsi, tourner un grand film commercial dans le but de se faire beaucoup de recettes, cela dénote certaines choses. Il en découle des conséquences politiques ainsi qu’un  positionnement lui aussi politique. La plupart des arts se situent dans un contexte politique et  ont des incidences politiques.

Avez-vous entendu parler de «World War Z», un film avec Brad Pitt et où il est question d’un virus qui fait des victimes partout dans le monde et le  seul endroit sûr sur terre est Israël à cause du mur qu’il a élevé?

Ken Loach: Cela a tout  l’air d’un scénario  d’extrême droite. On doit voir le film avant de porter un jugement. Mais, d’après votre description,  cela sonne vraiment comme un fantasme d’extrême droite. Il est intéressant de relever qu’Israël se dévoile via ses amis. En Irlande du nord- où perdure  un long fossé  historique séparant loyalistes et républicains- on voit sur les murs des loyalistes la bannière israélienne et le drapeau des Sud-Africains blancs ;   les républicains, quant à eux,  arborent les emblèmes palestinien et de l’ANC (African National Congress, le parti de Mandela). Comme c’est curieux ! Les alliances révèlent tellement de choses sur ce que pensent vraiment les gens.

L’essor  des idées de  la droite et  de  l’extrême droite en Europe vous inquiète-t-il? Cela me rappelle le début des années 1930.

Ken Loach: L’essor de l’extrême droite accompagne toujours la récession économique, la dépression et le chômage de masse. Ceux qui sont au pouvoir veulent toujours le garder. Ils doivent toujours dénicher des boucs émissaires parce qu’ils répugnent à l’idée que les peuples livrent combat à leur véritable ennemi : la classe des capitalistes, les capitaines d’industrie et ceux qui contrôle le pouvoir politique. Ils ont besoin  de  boucs émissaires. Ils montrent alors du doigt les plus pauvres, les immigrants, les demandeurs d’asile et les gitans. La droite jette alors son dévolu sur les plus vulnérables et sur  les plus faibles : elle leur impute la responsabilité de la crise économique. Quand il y a chômage de masse, les gens sont malheureux et cherchent à trouver quelqu’un à combattre.  Les juifs ont vécu cette situation dans les années 1930 et d’atroces  tourments leur ont été infligés. Aujourd’hui, c’est le tour des immigrants, des chômeurs…En Grande Bretagne, nous avons des médias terribles qui vont reprocher à ceux qui sont sans emploi leur chômage alors qu’il n’y a tout bonnement pas de travail !

Comment pouvons-nous réagir à tout cela quand les mêmes personnes contrôlent tout: la presse, le capital, la politique? Comment nous, la société civile, sans accès à la presse du courant dominant, pouvons défier et vaincre cette idéologie?

Ken Loach: Grande et terrible interrogation. Tout compte fait, tout est politique. Vous devez procéder à l’analyse de la situation  et organiser la résistance. Comment organiser tout cela a toujours été une formidable question. Vous devez faire échouer  toute attaque, tenir bon et vous placez fermement du côté de ceux qui subissent les pires attaques. Vous devez aussi organiser des partis politiques. La difficulté est que, quand vous avez des partis, vous avez de mauvaises analyses. On a eu pendant des années des partis staliniens qui ont conduit les gens dans l’impasse, nous avons  les sociaux- démocrates qui nous poussent à croire que nous devons faire de l’entrisme, que nous pouvons réformer le système de l’intérieur et le mettre au travail. Ce qui est, bien entendu,  un fantasme. Cela ne marchera jamais. Quelle politique? Voilà la question qui taraude tout le monde. Les gens se collettent tous les jours avec cette énigme.

Question: Votre dernier film aborde ces points. Notamment à  propos de personnes marginalisées pour leurs opinions politiques. J’ai appris aujourd’hui que le film «Jimmy’s Hall» pourrait être votre dernier opus et que vous comptez vous consacrer dorénavant  aux documentaires, ce qui est une excellente nouvelle pour la Palestine.

Ken Loach: Je ne suis pas au courant de tout çà ! « Jimmy’s Hall » a eu un tournage  plutôt long et a nécessité un travail ardu. Je ne suis pas sûr de pouvoir de faire un autre  film du même genre. Mais il y a toujours des remous à faire quelque part et je dois faire de mon mieux pour déranger un peu plus. Sans doute aucun, des films doivent être consacrés à la Palestine. C’est aux Palestiniens de les réaliser. Au final, le combat des Palestiniens sera couronné de succès. Les choses ne peuvent rester statiques, en l’état,  indéfiniment. Au final, le succès sera au rendez-vous. La question la plus importante est de savoir quelle Palestine verra le jour ? Il ne s’agit pas de mettre  fin à  l’oppression – la question perpétuelle. Il s’agit de savoir quel est l’Etat qui va voir le jour. Sera-t-il celui  de tous les citoyens? Ou bien sera-t-il dominé par la classe aisée qui opprimera le reste de la population quel que soit le contexte? Quel est l’Etat qui verra le jour, telle  est en définitive  la question la plus importante.

Facebook: Le Mur a des Oreilles.



 

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3 Commentaires
Les Commentaires
Georges - 19-11-2013 23:51

Deux précisions utiles : 1 - Ken Loach a fait des films en faveur de nombreux dictateurs. Ce n'est pas la dictature qui le dérange, mais Israel. 2 - A ma connaissance, Israel est le seul pays ou un juge Arabe de la cour suprême a pu censurer un premier ministre, ou les députés Arabes sont libres de dire ce qu'ils veulent, ou les cinéastes Arabes peuvent faire des films contre leur pays sans aller en prison, etc... Depuis 1948, le nombre d'Arabes en Israel a été multiplié par 10. Pendant le même temps, le nombre de Chrétiens et Juifs des pays arabes a été divisé par 30. On peut en déduire qu'il vaut 300 fois mieux être Arabe en Israel que Juif ou Chrétien en pays Arabe ?

nejib - 20-11-2013 03:38

Si Bouguerra pourquoi ne pas joindre votre voix à celles de Ken Loach;des israéliens pour la Paix qui ont acheté des caméras aux Palestaniens pour filmer les exactions des colons israéliens qui harcelent les Palestiniens pour les faire partir de leurs maisons;des cinéastes israéliens ;des historiens dont le Premier fut Benny Morris etc créer une association car vous le savez bien l 'union fait la force vous aideriez la gauche israeliene à sortir de son isolement et de sa torpeur.il y a le film dans lequel joue Brad Pitt qui fait indirectement l 'éloge du mur alors que son épouse était venue soutenir les camps de réfugiés du sud tunisien.Ne pas oublier feu Si Triki mort dans un accident de voiture en Argentine et qui a passé sa vie à dénoncer le sort des palestiniens.

nizard labidi - 20-11-2013 09:25

la lutte conter l'oppression,l'indépendance,l’état palestinien souverain..état pour tout le peuple palestinien..et l'oeuvre des palestiniens en 1er lieu.l'assistance et l'aide international s'arrache par un peuple est une autorité unie.

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