Opinions - 24.10.2013

Le prix Nobel d'Economie et le délit d'initié

Imaginez que vous entendiez sur la radio XFM que l’entreprise CCM vient d’emporter un gros marché à l’Etranger. Que devriez –vous faire ? Se précipiter sur  votre ordinateur  et donner un ordre  d’achat massif du titre ou se résigner et finir votre « chicha ».  Le cas échéant vous pouvez méditer sur l’évolution du prix  le mois  ou l’année  prochaine et donc peut-on  prévoir  l’évolution future du prix de l’action de l’entreprise CCM  à court et à long terme?

Le prix Nobel 2013 d’économie a été accordé à trois économistes américains qui cherchaient, entre autre à répondre à ces questions basiques mais essentielles en Finance. Entre  Eugene Fama âgé de  74 ans  qui a démontré dans les années 1960 qu'à court terme les prévisions sur les marchés financiers sont impossibles et   Robert Shiller  âgé de  67 ans qui  a démontré dans les années 1980, que les prévisions à long terme sont possibles, Lars Peter Hansen âgé de  61 ans,   l’économètre,  "a développé une méthode statistique qui est particulièrement bien adaptée pour tester les théories de la fixation du prix des actifs". Une cohérence et complémentarité  d’ensemble entre les travaux  qui échappent aux non spécialistes et qui couronnent une avancée  en particulier  parce que "Leurs méthodes sont devenues des outils standard dans la recherche universitaire, et leur avancées fournissent des guides aussi bien pour le développement de la théorie que pour la pratique professionnelle des investisseurs",  précise l'Académie.   

Prévisibilité des prix des actifs au cœur des travaux des lauréats

Le fond des travaux porte sur la prévisibilité des prix des actifs  qui est une question qui intéresse aussi bien le grand public, les professionnels des marchés financiers mais aussi les chercheurs. Si les marchés financiers fonctionnent correctement, les prix des actifs  devraient être  très peu prévisibles. Cette affirmation semble à priori paradoxale mais en réalité elle est rigoureusement cohérente. En effet,  si les investisseurs avaient prévu depuis deux mois  une hausse de l’action CCM , alors la rationalité les conduirait à commencer  à acheter le stock  depuis longtemps ce qui  aurait entraîner une hausse du  prix de l’action jusqu'à ce qu'il  n'est plus attrayant à l’achat. Une fois que toute l’information est utilisée par les investisseurs et incorporée dans le prix de l’action, ce dernier n’est plus prévisible et suivra des mouvements aléatoires qui reflèteront  l'arrivée des «News».

Ces questions sont au cœur des travaux des trois lauréats du Prix Nobel. Les réponses qu’ils ont apportées ne sont pas forcément compatibles, parfois même contradictoires.

Fama: les marchés sont efficients et les prix des actions sont imprévisibles à court terme

La thèse de Fama à l’université de Chicago portait sur un nouveau domaine à  une époque où la théorie de la Finance cherchait  à établir son corpus théorique. Il s’agit de l'analyse de l'efficience des marchés financiers. L’hypothèse de l’efficience des marchés financiers (HEMF) avancée par Fama répond subtilement à la question évoquée plus haut.   Il n’y a pas de raison de se précipiter pour acheter les actions de cette entreprise. Le prix actuel tient compte de cette nouvelle information car il s’est déjà ajusté et  incorporé toute l’information disponible. Le prix actuel  tient compte des flux anticipés de gains supplémentaires. Mais alors peut-t-on prévoir au moins l’évolution futur des prix des actions. La réponse de Fama est simple, les prix évoluent selon une marche au hasard ou aléatoire, processus stochastique élémentaire qui s’apparente à la marche de l’ivrogne : Il trébuche d’un coté à l’autre sans que vous puissiez savoir de quel côté il va se balancer, il peut reculer, avancer, tomber et se relever mais aussi avancer. L’essentiel est que tout est imprévisible car l’information nouvelle n’est pas encore disponible à moins d’encourir le délit d’initié !!!

En réalité, Fama propose deux notions d’efficience des marchés : la forme forte  qui signifie que les prix des titres reflète la valeur fondamentale  et la version "faible"  qui signifie qu'il est impossible à un investisseur individuel en moyenne de battre le marché.  Cela voudrait dire que vous perdiez votre temps à écouter les nouvelles de la Radio XFM ou à lire les déclarations des entreprises. Soit vous avez une information privilégiée  et vous pouvez l’intégrer avant les autres et battre le marché, soit vous ne l’avez pas et par conséquent il vaut mieux investir passivement dans des SICAVS indicielles.

La prise  en compte de la composante du risque dans la détermination des prix des actifs financiers laisse de la place à la prévisibilité même  lors du bon fonctionnement des marchés.  Si les prix des actifs dépendent de leur degré de risque alors plus ils sont risqués plus le rendement exigé est élevé. Par conséquent réussir à estimer le risque et  l’anticiper permet d’atténuer l’hypothèse de la marche aléatoire.

Shiller: les marchés sont irrationnels et les prix sont prévisibles à long terme

La théorie financière basique montre qu’à long terme  la valeur  d’un actif doit s’égaliser avec les valeurs anticipées des  flux futurs de ses dividendes. Or, menant des travaux empiriques en 1981, Shiller a conclu que  les prix des actions fluctuaient beaucoup plus que les fluctuations des bénéfices des entreprises et des dividendes versés.  Cela signifie, selon Shiller, que les marchés ont tendance à sur-réagir  ce qui laisse une brèche pour  prévoir leurs évolutions. Un ratio élevé du prix des actifs  par rapport aux dividendes dans un an aura tendance à être suivie d'une baisse des prix par rapport aux dividendes l’année  suivante et vice versa. Les rendements suivent un schéma prévisible à long terme et on peut gagner systématiquement de l'argent en pariant contre les fortes réactions du marché mais cela n’est possible qu’à long terme.

HANSEN:  les méthodes statistiques

L’apport de Shiller est aussi  de mettre en avant la compréhension des comportements des agents pour refléter  les attitudes aux risques et leurs variations.  Modéliser le comportement des agents et des marchés est une exigence mais les tester est aussi important. Le mérite de Hansen est de développer des méthodes statistiques qui  ont permis de faire des avancées dans le domaine.  Sa méthode des moments généralisés (GMM) a la particularité de tenir compte  des spécificités des prix des actions. Ses tests sur des séries historiques ont permis de montrer que le modèle standard (MEDAF) utilisé par les financiers pour modéliser le risque et le comportement des agents face au risque n’est plus approprié et que la thèse de sur-ajustement de Shiller est confirmée.

L’explosion des travaux théoriques et empiriques de modélisation des comportements des agents vis-à-vis du risque y compris ceux de Shiller sur le mimétisme témoigne  de l’importance de l’apport des trois lauréats.

La corruption à travers le délit d’initié

L'idée d'efficience des marchés est l'une des plus importantes de l'analyse économique. Elle incite à retenir deux leçons:
La première concerne l’information qui est en soit au cœur de la prévisibilité des prix des actions.  La publication des informations relatives aux actifs financiers sous-jacents les entreprises cotées  ou les titres  échangés est cruciale pour le bon fonctionnement des marchés financiers. Cela porte autant sur la régularité que sur le contenu de l’information.

La seconde concerne  le timing d’obtention de l’information l’est beaucoup plus. Obtenir l’information avant les autres permet à  celui qui la détient d’avoir une avance sur les autres en l’intégrant dans sa stratégie d’investissement.  Supposons que vous avez eu l’information sur une offre publique d’achat (OPA) de l’entreprise CCM avant les autres. Vous pouvez engager une stratégie d’achat dés l’obtention de cette information et vendre plus tard l’action une fois que l’information est intègre par le marche. La marge de gain est confortable.

La question fondamentale concerne la façon dont cette information a été obtenue. Le délit d’initié  consiste à  utiliser ou à transmettre des informations non connues du public qui si elles l'étaient, auraient un impact positif ou négatif sur la valeur de titres cotés en bourse.  Acheter le titre de CCM  avant le lancement de l’OPA pour le revendre quelques temps après avec une  plus-value importante en obtenant cette information est un délit d’initié qui est normalement  puni pénalement par des amendes et des peines de prison.

Lutter contre la corruption ne prend pas simplement la forme basique de transparence des marchés publics ou autre car frauder et contourner l’hypothèse de l’efficience des marchés financiers de Fama est une autre forme de corruption et malversation. Déceler les délits d’initié d’aujourd’hui et d’hier est aussi  une grande  tâche des autorités  des marchés financiers et constitue un élément important de la construction de  la démocratie.

Taoufik Rajhi
Président du Cercle des Economistes De Tunisie
 

Tags : Lars Peter Hansen  
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