Opinions - 01.12.2012

La dualité de la préservation des ressources naturelles et de la sécurité alimentaire.

Depuis l’indépendance, le développement  des productions agricoles en Tunisie a nécessité l’intensification, vu que les surfaces agricoles utiles sont limitées, et a  opéré par des investissements en matière d’économie d’eau compte tenu de la rareté des ressources hydriques.  Cette stratégie  a permis au pays de jouir d’une balance commerciale agricole pouvant atteindre parfois des valeurs positives   et se  situant en moyenne autour de 75%  et  est généralement supérieure à la balance commerciale globale du pays.  On constate, toutefois, un morcellement continu des terres agricoles atteignant des tailles qui ne permettent pas une économie d’échelle pour  l’acquisition d’intrants (engrais chimiques, pesticides, herbicides…) ni la mécanisation de ces exploitations.  Les pesticides, les engrais et  les herbicides sont des produits chimiques assez solubles dans les eaux de pluie et d’irrigation.  L’entraînement, plus ou moins rapidement dépendant de la nature des sols, de ces produits par les eaux en profondeur vers les nappes phréatiques, entraîne une contamination plus ou moins rapide de celles-ci.  Ces pratiques intensives de l’agriculture peuvent  accélérer la perte de nos réserves hydriques provenant des nappes phréatiques et qui représentent environ 20% des ressources en eau.

Dans les zones semi-arides (Béja Sud, Le Kef, Siliana, Zaghouan …), un hectare de blé nécessite en moyenne environ un quintal (100 kg)  d’ammonitre, 1 quintal  de DAP (Di Ammonium Phosphate), un passage d’herbicide et de fongicide correspondant environ à un litre d’herbicide et un litre de fongicide suivant la concentration en matière active.  Par ailleurs, dans les zones humides, les agriculteurs emploient en moyenne 4 quintaux d’ammonitre, 2 quintaux de DAP et 3 à 4 passages de traitements herbicides et fongicides et dans tous les cas, pas moins de deux fois les doses employées en zones semi-arides.   Pour les tomates industrielles, les quantités appliquées sont en moyenne par hectare 2.0 quintaux de super 45%,  2.5 quintaux de sulfate de potasse,  3.0 quintaux d’ammonitre et 3.0 quintaux de nitrate de potasse, alors que pour les piments de saison, on emploie 1.5 quintal de super 45%, 2 quintaux de sulfate de potasse, et 3.0 quintaux d’ammonitre.  Pour la pomme de terre d’arrière-saison, les quantités appliquées en moyenne et à l’hectare sont environ : 2.0 quintaux super 45% , entre 3.0 et 3.5 quintaux de sulfate de potasse, 3 à 4 quintaux d’ammonitre,  et 3 à 3 .5 quintaux de nitrate de potasse.

Pour les vignes adultes, les engrais chimiques, les fongicides, les herbicides  appliqués à l’hectare sont nombreux, — environ vingt différents produits — vu que la vigne est une plante très sensible. Ces produits chimiques sont véhiculés par les eaux d’irrigation et de pluie et transportés partiellement à la nappe où une  portion est fixée par le sol, créant ainsi des contaminations chimiques de l’eau de la nappe et du sol. L’agriculture biologique n’emploie pas ces produits chimiques,  elle constitue un mode de production qui puise son originalité dans le recours à des pratiques agricoles qui respectent les équilibres naturels. Ces pratiques agricoles excluent l’usage de pesticides et d’engrais chimiques  qui constituent, en agriculture intensive,  une source de contamination  de la nappe. L’agriculture biologique permet de produire des denrées de qualité, de travailler en harmonie  avec les écosystèmes naturels, de maintenir et d’améliorer la fertilité des sols. La principale caractéristique de l’agriculture biologique est qu’elle s’appuie sur des biens de production disponibles sur place et n’utilise pas de carburants fossiles; son recours à des procédés naturels améliore aussi bien le rapport efficience-coût que la résilience des écosystèmes agricoles au stress climatique.  En gérant la biodiversité dans le temps (rotation des cultures) et l’espace (cultures associées), les agriculteurs bio utilisent la main-d’œuvre et les produits environnementaux pour intensifier la production de manière durable. Par ailleurs, l’agriculture biologique rompt le cercle vicieux de l’endettement dû à l’achat d’intrants agricoles.

Dans les pays en développement, la plupart des produits alimentaires biologiques certifiés sont destinés à l’exportation et lorsque les cultures de rente sont liées à des améliorations agro-écologiques et procurent des revenus supplémentaires aux paysans pauvres, cela entraîne une meilleure autosuffisance alimentaire et un regain de vitalité pour les petites exploitations agricoles caractéristiques de l’agriculture tunisienne. Toutefois, l’exigence d’une main-d’œuvre en nombre suffisant et les gains qui en découlent offrent, là où cette ressource est la plus abondante, des opportunités d’emplois, tout en sauvegardant les moyens d’existence des ruraux.  La main-d’œuvre tunisienne est devenue rare et chère et les agriculteurs se plaignent de ces nouvelles conditions.

En Tunisie, l’agriculture biologique est relativement récente. Son développement a été encouragé par une forte croissance de la demande internationale, notamment de l’huile d’olive. Dans le but de profiter des nouvelles opportunités offertes sur le marché international pour les produits biologiques (notamment l’huile d’olive et les dattes), et de valoriser les avantages de la Tunisie dans ce domaine (climat, précocité de la production, prix compétitifs, proximité des marchés européens), la Tunisie a accordé une attention particulière au développement de l’agriculture biologique et à l’organisation de sa filière.  Le secteur de l’agriculture biologique en Tunisie a enregistré un développement relativement important par une   augmentation de la superficie de l’agriculture biologique à environ 245 mille hectares (cultures, pâturages et forêts) durant l’année 2011 contre 300 hectares en 1997, par une évolution du nombre des opérateurs durant la même période de 10 à 2 598.  L’huile d’olive et les dattes constituent les principaux produits destinés aux marchés extérieurs  et où les quantités de dattes exportées restent faibles par rapport à celles de l’huile. Cela est essentiellement dû aux quantités des deux productions.  Les valeurs des exportations ont augmenté rapidement  jusqu’à l’année 2008 et ont commencé à subir un fléchissement qui peut être dû à une gamme de production biologique réduite.

La Tunisie est le deuxième pays producteur de produits biologiques en Afrique et il est le 40e  pays au monde avec une superficie qui est passée à 267 302 ha en 2009 contre 34 000 ha en 2003. Toutefois, un ancien programme du gouvernement vise à atteindre 500 000 ha en 2014 en instituant des séries de mesures additionnelles.  Sur le plan de la production, le retard de la Tunisie est important: un taux de pénétration du bio de 1 pour mille contre 7% en Italie et 3% en Allemagne.  La Tunisie et l’Italie ont chacune un transformateur pour 12 agriculteurs, alors que la France se distingue avec un transformateur pour 2 agriculteurs. D’autre part, la Tunisie a une gamme de produits très limitée comparativement à ses concurrents. Ce qui constitue un handicap concurrentiel réel; le coût de certification des fermes tunisiennes est élevé: il varie de 1 500 à 2 300 euros/an alors qu’en France, il ne dépasse pas les 600 euros/an. Cela est dû à l’insuffisance des organismes certificateurs agréés en Tunisie.  Une démarche progressive d’extension de l’agriculture biologique à d’autres spéculations telles que les fruits (autres que les dattes), les légumes, les viandes et les produits de pêche … peut faire basculer le système de production d’une agriculture intensive puisant fortement dans nos ressources naturelles vers une agriculture durable qui préserve nos ressources, garantit l’équilibre de la balance commerciale agricole, utilise plus de main-d’œuvre, permet moins d’endettement des agriculteurs, et assure une autosuffisance alimentaire.

S.H.

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1 Commentaire
Les Commentaires
LEBRUN Pierre Sélim - 03-12-2012 10:23

Bonjour S.H.(?), je vous remercie pour cet état de la connaissance/situation de l'agriculture tunisienne dans ses grandes lignes.L'ère de la rareté des ressources/matières premières à l'échelle planétaire, la confirmations des mauvais indicateurs du réchauffement/dérèglement climatique..oblige plus particulièrement les pays semi-aride/arides comme la Tunisie à adopter des politiques volontaristes de conservation des eaux et sols, de réforme foncière , de formation des nombreux agriculteurs à optimiser leur petite/moyenne surface (par exemple en permaculture on peut atteindre des revenus de l'ordre de 30à 40.000 euros/1000 mètres carré). Je conserve précieusement votre contribution et vous propose de poursuivre l'échange en m'écrivant à mon adresse courriel:pierre.lebrun16@orange.fr. Bien à vous,cordialement. Pierre Sélim LEBRUN

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