Opinions - 27.05.2024

Une cause mondiale: le risque de détricotage de politique de transition écologique

Une cause mondiale: le risque de détricotage de politique de transition écologique

Par Pr Samir Allal - Université de Versailles/Paris-Saclay

1- La transition écologique: l’art de piloter les dilemmes pour sortir de l’impasse climatique

Alors que notre époque est marquée par l’urgence climatique, la transition écologique peine à s’enclencher. L’instabilité géopolitique, les déficits publics, l’inflation et le pouvoir d’achat menacent le projet collectif de la transition écologique.

Sans trop en être rendu compte, nous serions entrés dans une période où les pressions inflationnistes liées à la dégradation de l’environnement se superposent aux causes canoniques de l’inflation (la guerre et ses profiteurs, l’excès de masse monétaire en circulation, les chocs pétroliers, etc.).

Les appels de la société civile, d’économistes, de politique du monde entier se multiplient en vainces derniers temps, pour que les politiques monétaires soient repensées à l’aune de la question climatique. «Décarboner les économies, pèsera sur l’inflation, et laisser dériver le réchauffement sera aussi un facteur de hausse des prix». (Earth and Environment, étude de l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique (PIK)).

Les scientifiques sont formels, face aux bouleversements climatiques et la disparition des espèces animales et végétales, nous devons agir maintenant. Le combat du siècle est celui du maintien de l’habitabilité de notre planète tout en améliorant notre modèle social et démocratique.

Le dérèglement climatique est en train de bouleverser les équilibres, rabat les cartes, pose la question de notre capacité à nous émanciper d’un héritage cognitif et culturel et d’élaborer de nouvelles manières de penser et d’agir.

Lutter contre le dérèglement climatique c’est prendre toute la mesure des aléas et des incertitudes propres à la dérive du climat, investiguer les causes structurelles et les déséquilibres massifs, (technologiques, économiques et sociaux) qui en sont à l’origine et donner sens à la fragilisation à toutes les échelles.
Comment concilier nos différents objectifs, face à ce défi planétaire? Comment surmonter nos divisions et nous unir dans l’action ? Peut-on sauver le climat et faire face à l’urgence sociale?

2- La transition écologique une approche politique et de justice: fin du mois (et) fin du monde

La crise climatique nous offre une nouvelle grille de lecture pour appréhender notre monde: un monde «objectivement souhaitable», mais «subjectivement non désiré».

2024 est une année chargée en négociation: G7, G20, la COP 16, la COP 29,…  On parlera du «plus. si» et «moins du comment», accélérer le rythme des actions.

De sommet en sommet, des politiques d'inaction, de délai, de déni, de relativisation, se déploient dans un moment où les savoirs, les techniques, les dispositifs institutionnels nécessaires à une transition rapide sont en train d'émerger.

En décembre 2023, à Dubaï, les États du monde s’étaient engagés, de manière inédite, sur une « transition » hors fossiles majoritairement responsables du dérèglement climatique.

Le 30 avril 2024, les ministres du climat, de l’énergie et de l’environnement du G7qui représente 38 % de l’économie mondiale (responsable de 21 % des émissions de gaz à effet de serre), se sont engagés à Turin (Italie), à fermer leurs centrales à charbon au cours de la première moitié des années 2030, c’est-à-dire avant 2035.
Une avancée importante pour le climat, puisqu’il s’agit de la plus polluante des énergies. Elle masque toutefois une difficulté à s’attaquer au pétrole, et surtout au gaz, pour finir avec «l’économie de la mort» et transiter vers «l’économie de la vie».

L’avancée obtenue à Turin sur le charbon permet de laisser le gaz dans l’ombre, «notamment parce que l’Italie essaie de se positionner comme un hub européen du gaz», décrypte Lola Vallejo, conseillère spéciale sur le climat de l’Institut du développement durable et des relations Internationales.

S’il existe un «accord» sur la nécessité de se passer des fossiles, il n’y en a pas sur les modalités de la substitution énergétique et technique, ni sur l’ampleur de la sobriété, ni sur la lutte contre les inégalités.

La transition énergétique est une nouvelle approche politique et démocratique pour nourrir avant tout, un récit collectif qui rassemble les générations et les projette dans un avenir désirable. Elle plaide pour une large concertation de l’ensemble de la société dans la construction de cet avenir commun.

Les pays riches restent particulièrement frileux sur un point de tension majeur dans les négociations climatiques: les financements climat. De manière vague, ils soulignent «l’importance d’augmenter la finance publique» pour aider les pays en développement, alors que l’objectif de mobiliser 100 milliards de dollars par an, qui court jusqu’en 2025, doit maintenant être remplacé par une enveloppe plus ambitieuse, indispensable pour l’accélération des actions.

Le montant futur de ce «nouvel objectif chiffré» fait en ce moment, l’objet d’âpres débats et risque de prendre d’assaut la scène de la COP29 de Bakou (Azerbaïdjan), en novembre, où il doit être approuvé.

Si l’ère du constat sur la nécessité d’agir est révolue, les solutions divisent encore et sont parfois otages de calculs politiques. Tout le monde s’accorde sur le fait que la facture va fortement grimper − puisque les besoins se chiffrent désormais en milliers de milliards de dollars −, mais les désaccords persistent sur qui doit payer.

La focalisation excessive sur les mesures techniques empêche de prendre à bras le corps le véritable défi climatique. Le marché et la technique ne suffisent pas à formuler un projet pour nous sortir de l’impasse. Suivre une approche technocratique mène à l’impasse. La difficulté de s’accorder sur des règles justes est une constante de la négociation internationale.

L’équité est la question fondamentale soulevée par «la transition énergétique» sans laquelle il ne sera possible de stabiliser le réchauffement global.
Nous sommes arrivés à un moment de l’histoire où nous devons d’urgence redéfinir le sens de notre civilisation et imaginer une prospérité sans croissance. Le climat et la biodiversité conduisent à repenser la notion de croissance, d’abondance et d’équité.

3- De l’abondance à la résilience: un nouveau dilemme géo-écologique structure désormais les relations internationales

L'enjeu climatique nécessite un haut niveau de coordination internationale (Bien commun) et plus de coopération, mais chaque nation tend à vouloir capturer pour elle-même les bénéfices de la transition - et à rejeter sur les autres ses inconvénients.

Le surplomb des classes dirigeantes les amène à concevoir que leur seule utilité passe par leur capacité à faire entrer leur pays dans le trou d’aguille néo libéral.
Tous les pays doivent présenter, d’ici à mars 2025, une révision ambitieuse de leurs plans de réduction des émissions, actuellement insuffisants puisqu’ils mettent la planète sur une trajectoire de réchauffement de 2,5°C à 2,9°C d’ici à la fin du siècle, selon les calculs de l’ONU.

Une majorité de pays en développement veulent conditionner leurs efforts au déblocage, par les économies développées, de l’argent nécessaire à leur transition énergétique et à leur adaptation à un monde plus chaud. La présidence de la COP29 aura la difficile tâche de trouver un compromis.

Ce compris doit être une forme de dépassent des alternatives classiques, seule à même d’affronter les aspirations divergentes au sein de nos sociétés et de construire des accords mutuellement avantageux, dans un monde de plus en plus agité. Un changement de paradigme, un compromis qui décloisonne les questions sociales, économiques et écologiques.

Son objectif, en accélérant la réduction des émissions de gaz à effet de serre, est de trouver une voie pour mieux vivre ensemble dans le monde de demain. Une transition juste, sans menace ni contrainte, qui renforce notre cohésion sociale et paix dans le monde.
Ce nouveau paradigme, permet de rompre avec le simplisme et où «la pensée de la totalité devient la pensée de la finesse analytique». Edgar Morin le désigne par le paradigme de la complexité.

4- L'impasse est au niveau de la mobilisation des intérêts, pas sur la faisabilité technique, ni institutionnelle, ni sur la désirabilité

La transition écologique est autant un risque qu'une opportunité. Pour Jean-Baptiste Fressoz, la transition est une utopie technologique à l'intersection de deux mondes : «le monde des malthusiens et le monde des atomiques».

En effet, Après, Hiroshima et Nagasaki, deux imaginaires se sont rencontrés, d'une part, l'imaginaire technophile de l'atome et d'autre part, l'imaginaire néo-malthusien de l'épuisement des fossiles.

Le problème c’est qu'on a transféré ce modèle de transition, pensé comme une réponse à la raréfaction à long terme des fossiles, sur la question du changement climatique, qui n'a absolument rien à voir.

Une forme de climato-rassurisme est entrain de polluer les esprits et de saturer tous les espaces médiatiques et d’expertises. Le plaidoyer pour la croissance verte (bleu !), justifie l'inaction climatique et occulte les questions de fonds: sobriété, décroissance et répartition.

La notion de transition énergétique ne questionne ni la croissance, ni le consumérisme ni les inégalités. La multiplication des discours d'autosatisfaction sur la grande marche vers l'innovation et le développement industriel vert traduit, un déséquilibre entre la facilité qu'il y a à définir un horizon technique et industriel de décarbonation, et la difficulté, dans le cadre politique actuel, à définir les contours d’une coalition anti-fossile.

Comment alors, échanger une réalité instable mais bien tangible contre une autre, totalement abstraite et sans séduction? Pourquoi les objectifs actuels de moyen et de longs termes, en matière de lutte contre le changement climatique, retardent la transition, et nous piègent dans l’immobilité?

Les économistes ont laissé dans un état de friche intellectuelle les questions de sobriété et décroissance. Dans le dernier rapport du groupe Ill du GIEC, le thème de la sobriété (sufficiency) apparait timidement pour la première fois. La décroissance est à peine évoquée. Alors que la «transition» est martelée 4 000 fois.
L'impasse est au niveau de la mobilisation des intérêts, pas sur la faisabilité technique, ni institutionnelle, ni sur la désirabilité. Quatre travers sont associés à la transition écologique et énergétique:

a. D’abord la dilution de responsabilité: quand on se fixe un objectif pour 2100, 2050 ou même 2030, ça veut surtout dire qu’on passe le problème aux suivants : ce seront eux, et même les suivants des suivants, qui seront comptables de ces objectifs.

b. Ensuite, ça incite à la procrastination: on a encore le temps. On priorise d’autres urgences. Alors qu’on est en face d’un problème grave d’accumulation. Pour chaque année qui passe, des milliards de tonnes de gaz à effet de serre restent dans l’atmosphère.

c. On déduit souvent de ces objectifs une trajectoire linéaire de réduction des émissions. Alors qu’il faudrait commencer par des réductions massives. Certaines émissions sont clairement plus faciles à réduire que d’autres.

d. Enfin, et surtout, ce sont des objectifs qui sont souvent démobilisant: ils apparaissent lointains, et donc hors d’atteinte. On voit l’horizon, mais en l’absence de chemin, l’horizon semble toujours éloigner.

C’est pour cela on a besoin de se fixer une trajectoire avec des objectifs de court-terme, pour tracer un chemin qui nous emmène vers ces objectifs.
Après une longue période de scepticisme ou d'indifférence, le "transition écologique" commence aujourd'hui à influencer, de manière plus ou moins concrète, les pratiques des entreprises ou des collectivités locales.

On constate aujourd'hui, que cette préoccupation est progressivement intégrée, souvent sous la pression des réalités de terrain. Reste qu'en règle générale, même si, des exemples réussis de développement durable peuvent être cités; les efforts consentis actuellement restent insuffisants dans la plupart des cas.

Les principes de la durabilité ne sont pas suffisamment pris en compte dans les programmes : extension démesurée des zones urbaines, consommation excessive d'énergie, gaspillage d'espace, production élevée et croissante de déchets urbains, augmentation des coûts et des nuisances dus à la congestion par la circulation, perte dangereuse de la cohésion sociale dans les villes, ...

Parmi les explications souvent avancées figurent la faiblesse des capacités humaines, techniques et financière, qui empêche la mise en place de programmes et des réseaux susceptibles d'accompagner efficacement la transition.

5- Le Partenariat Université/entreprise /territoire/société civile est une "brique de base" pour réussir la transition: nommer les blocages et mieux comprendre les entraves

Le concept de "transition " se distingue par sa capacité à poser et surtout à lier ensemble plusieurs questions centrales auxquelles nos sociétés sont aujourd'hui confrontées:

La question des finalités de la croissance - et celle d'un compromis possible entre les intérêts divergents de l'économique, du social et de l’écologique;

Celle du "temps" et de la concurrence entre court terme et long terme, générations présentes et futures;

Celle, des "identités spatiales" - et de l'articulation problématique entre les logiques de globalisation et celles d'automatisation des territoires locaux.

La réussite ou l’échec de la transition écologique et énergétique va dépendre, de la manière dont la formation sera - sérieusement ou pas - prise en compte dans les stratégies de développement durable futures des acteurs économiques ou sociaux concernés. 

S'il fallait aujourd'hui faire un bilan de l'approche de la transition écologique, l'impression dominante serait sans doute celle d'un paradoxe.

D'un côté il est incontestable que c'est au niveau du discours que le concept de la transition et (de la «croissance verte») a été le plus rapidement intégré - et ceci sous les formes les plus diverses -.De l'autre, il faut bien constater que la plupart de ces politiques sont fragiles et souffrent d'un handicap majeur qui est de ne pouvoir s'appuyer sur des jeux d'alliance, des logiques institutionnelles ou des intérêts économiques clairement affirmés ou suffisamment puissants.

Tout un ensemble de raisons convergentes militent a priori pour donner progressivement au partenariat université/territoires/entreprises/société civile, une place privilégiée dans les stratégies futures de lutte contre le dérèglement climatique et développement durable. Il y a malheureusement de bonnes raisons de penser construites.

La véritable plus-value du lien entre formation/entreprises et territoires durables n'est pas dans le seul apport de grandes compétences techniques, mais dans le renforcement institutionnel et l'appui à la maîtrise d'ouvrage des projets.

6- Sortir des fossiles appelle à un vaste jeu de mobilisation et d’interactions entre acteurs: une canopée d’espoir

La confrontation fossile/anti-fossile ne permet pour l'instant que des avancées très limitées. Sortir des fossiles oblige à repenser les relations entre environnement et inégalités sociales non plus en les opposant, mais en les conjuguant, en les élargissant vers la notion de justice.

Paradoxalement, le système international actuel, basé sur le commerce mondial, le transfert technologique et des dispositifs d'aide au développement qui était idéal est devenu aujourd'hui le principal frein à l'action climatique. Le lien entre stabilité internationale et intensité fossile se manifeste négativement.

Un peu plus de cinquante ans après le rapport des Meadows - Limits to Growth - il est urgent de rappeler que la croissance n'est plus la réponse appropriée aux dysfonctionnements. Le capitalisme néolibéral n'est pas en mesure d'assurer le tournant nécessaire de la sobriété et l'égalité.

Dans son livre, Eloie Laurent, (Coopérer et se faire confiance, Février 2024), nous invite à élargir notre imagination politique et nourrir l'envie d'un autre monde. Je le cite: «Le néo-libéralisme dérègle le climat, détruit le vivant, creuse les inégalités et mène l'humanité sur une voie rapide à destination dangereuse».

Nous sommes en effet, dans un point de bascule possible entre «statu quo et transformation» qui appelle à l’émergence d’une coalition post-fossile capable à imposer les termes de débat tels qu’elle le comprend.

La transition est une question de justice internationale et de sécurité, une question d'égalité fondamentale entre groupes sociaux au sein de la division du travail. Elle engage chacun et chacune d'entre nous en fonction de ses habitudes et systèmes de valeurs.

À l’heure où la concurrence internationale s’intensifie, rater le virage de «la transition post-croissance», c’est creuser les inégalités, détruire encore plus la planète et prendre le risque d’une nouvelle vague de désindustrialisation, aux conséquences durables pour, les pays, les individus et les territoires.

7- La croissance a érodé le capital naturel mais aussi le capital social et humain: le fini et l’infini

Malgré les crises qui se succèdent, toujours plus nombreuses et plus violentes, nous restons obnubilés par la croissance. Penser l'après-croissance est devenu une question de survie. «Réfléchir à ce qui pourra advenir lorsque nous en aurons enfin terminé avec l’obsession de la croissance»: Tim Jackson; Post croissance, vivre après le capitalisme (Ed Acte Sud, 2024).

Pour Tim Jackson, cette expérience de pensée «nous permet d'explorer de nouvelles frontières pour le progrès social. Elle révèle des territoires inexplorés où l'abondance n'est pas mesurée en dollars et où l'accomplissement n'est pas le produit d'une incessante accumulation de richesses matérielles».

Le livre de Tim Jackson «Post-Croissance: vivre après le capitalisme» est une invitation à nous libérer des errements du passé et à guider notre regard « loin du sol pollué du dogme économique actuel», afin de nous permettre d'envisager ce à quoi le progrès humain pourrait ressembler.

La croissance a en effet, érodé le capital naturel mais aussi le capital social et humain. Elle a flexibilisé le marché du travail et fait émerger un précariat mondial. «Le capitalisme néo-libéral tiré par la mondialisation du commerce et la finance est prédateur. Il néglige les contraintes écologiques et fait régresser les droits sociaux». Dominique Méda

Ralentir les programmes de régulations en agitant la menace du déclenchement d'une vague populiste et les craintes de déstabilisation qu'elle entraînerait, est une erreur politique, économique et morale. Instrumentaliser politiquement, la transition énergétique risque de nous détourner des véritables solutions à la catastrophe climatique.

L'organisation de la transition écologique ne peut être laissée aux seuls marchés. La planification écologique et démocratique est un impérative, le rétablissement de la souveraineté nationale une nécessité. Un juste point d'équilibre entre des opportunités bien réelles et des bouleversements non moins prévisibles.
La décarbonation est surtout, une opportunité pour chacun d'un examen de conscience et une nouvelle manière pour réaliser la promesse d'une société des égaux et de combattre la précarité et l'exclusion sociale.

Le processus de transition énergétique est un processus de destruction créative. La bataille oppose les tenants de la soutenabilité forte aux promoteurs de la soutenabilité faible.

La question politique du dépassement du capitalisme est posée. Les gagnants de la mondialisation et les dominants s'opposeront de toutes leurs forces aux changements. Le mur écologique ne nous laisse pas le choix : il nous faut changer.

Pr Samir Allal
Université de Versailles/Paris-Saclay
 

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