Opinions - 21.05.2012

Réflexions sur la Révolution du Jasmin

Il a fallu cinq décennies d’éducation gratuite et obligatoire autant pour les filles que pour les garçons pour qu’enfin le peuple tunisien atteigne le degré de maturité nécessaire pour se révolter et rejeter toute répression quel qu’en soit le prétexte. Et même si l’étincelle de la révolution tunisienne est partie d’une révolte sociale, les élites intellectuelles et la société civile, essentiellement représentées par la centrale syndicale, se sont rapidement ralliées pour la transformer en une authentique révolution pour la dignité et les libertés. Deux notions fondamentales à la base de la pensée démocratique seule apte à mener vers l’égalité des chances pour tous.
Il faut bien se souvenir aussi que cette révolution a été une révolution populaire spontanée, dont aucun parti ne peut s’attribuer le leadership. Tous les partis existants sous la dictature, se réduisaient à quelques dizaines de fondateurs et quelques autres dizaines de militants tout juste capables de se faire entendre à travers les medias étrangers, les medias locaux leur étant interdits ainsi que toutes sortes d’activités. Seul le mouvement islamiste Ennahdha arrivait à s’organiser clandestinement à travers les mosquées. Nous savions donc que ce mouvement  avait de nombreux adeptes que nous estimions en fonction du nombre de ses prisonniers politiques et aussi en fonction du taux de pauvreté. Cette  tranche se situant entre 20 et 25% de la population tunisienne, nous avions donc considéré d’emblée que le tout reste était constitué de bons républicains prêts à se démocratiser.

Il est utile de rappeler aussi qu’à travers la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, il a été convenu entre les différentes forces politiques et civiles, d’organiser dans un premier temps des élections pour une Assemblée Nationale Constituante qui se chargerait d’élaborer une nouvelle constitution dans un délai d’une année.  Nous avions donc évolué vers ces élections très confiants quant à une majorité républicaine au sein de cette assemblée, car même si celle-ci était divisée en une multitude de petits partis, il n’en restait pas moins qu’ils formeraient ensemble une nette  majorité républicaine au moment des votes.

Les résultats des élections ont donc été une très grande surprise. Ils ont démontré une erreur d’appréciation de la part des élites dirigeantes et une totale méconnaissance de la réalité tunisienne. En effet, les partis républicains tous réunis n’ont pu assurer que 14% des voix contre 18% pour les islamistes d’Ennahdha, autant de voix perdues à travers la multitude de listes indépendantes et 50% de Tunisiens qui n’ont carrément pas voté du tout. Des résultats choquants que nous peinons encore à ce jour à analyser correctement.

La seule conclusion qui  semble évidente pour la plus part aujourd’hui est la nécessité d’unir un maximum de forces politiques en une seule nouvelle structure  afin de construire une alternative forte et crédible pour battre Ennahdha aux prochaines élections.  Partis politiques et personnalités nationales agissent en effet dans ce sens sans visiblement aboutir à des résultats concluants et pour cause puisqu’on ne se construit pas contre une force mais pour un objectif bien défini.

En attendant, Ennahdha est au pouvoir grâce à la troïka qu’elle a formé avec deux petits partis de gauche sensés être laïcs et ancrés dans les principes républicains, qui lui ont assuré la majorité à l’assemblée constituante après avoir négocié les  voix de leurs élus en se moquant bien de leur électeurs mais surtout en réduisant toute l’opposition républicaine à seulement 6% des suffrages.

Grâce à eux, Ennahdha a désormais une majorité et l’image d’un parti islamiste modéré capable de tolérance et de dialogue démocratique comme le décrivent  plusieurs hauts dignitaires internationaux qui considèrent que le reste de l’opposition est de toute façon  bien trop faible pour pouvoir s’imposer. En théorie, vu sous un prisme occidental, ce raisonnement est certainement fondé; sauf que pour nous Tunisiens, et même si nous arrivons à la même conclusion, nous analysons la situation autrement.

En réalité il ne s’agit nullement de tolérance ou de dialogue démocratique de la part d’Ennahdha, mais bien d’une conscience aigue de sa faible légitimité qui l’accule à composer et à négocier sans aucune conviction démocratique. De leur côté les partis dits républicains ne cessent de l’aider en accumulant les erreurs et en montrant leurs propres limites puisqu’ils se construisent eux-mêmes sur les limites d’Ennahdha et en fonction de son comportement.

En réalité Ennahdha n’a jamais prétendu militer pour la démocratie pour en être un exemple, mais plutôt pour l’instauration d’un régime islamiste qui n’a strictement rien à voir avec la démocratie, si ce n’est de s’en servir pour arriver au pouvoir. Par conséquent le comportement d’Ennahdha est loin d’être un exemple car  il ressemble bien plus au maquillage démocratique du régime déchu d’autant qu’étant au pouvoir Ennahdha par manque  expérience ne peut apprendre qu’à travers le fonctionnement  opaque et archaïque de l’administration tunisienne.

Il reviendrait donc aux républicains sensés être les démocrates de donner l’exemple, sauf que n’ayant jamais eu l’occasion sous la dictature d’exercer la démocratie, leur culture démocratique est exclusivement théorique.  Dès qu’il s’agit de pratiques démocratiques, ils atteignent eux aussi très rapidement leurs limites.

Cela se constate au sein même des partis dans leur propre fonctionnement interne. Ils se construisent autour de procédés et de règlements ajustés sur mesure selon les besoins ponctuels de leurs dirigeants afin d’en faciliter la marche personnelle vers le pouvoir prétextant que ce n’est qu’une fois arrivés au pouvoir qu’ils peuvent être efficaces.  Le plus grave c’est  que la plupart des militants acceptent par confort ces méthodes d’allégeance qui leur sont familières, sous le nouveau prétexte de la discipline.

Il en va de même dans les relations entre les partis. Habitués au silence des médias et à la passivité générale, aucun d’entre eux  n’arrive à assumer les critiques qui leurs sont aujourd’hui adressées de toute part. Incapables d’écoute et encore moins de dialogue constructifs entre eux, ils s’accusent les uns et les autres de tous les maux. Il en résulte que les unions-fusions des républicains se font et se défont, leur faisant perdre toute crédibilité qui aurait pu aider à instaurer une alternative et un processus démocratique viable.

Finalement, il serait bien plus efficient pour les républicains de travailler ensemble non pas dans le cadre d’une structure unique incapable de respecter les différences, mais plutôt autour d’une stratégie commune qui obligerait Ennahdha de se maintenir, bon grés mal grès,  sur les rails démocratiques. Une stratégie d’actions bien étudiées, bien coordonnées,  biens synchronisées entre les partis, la société civile, les syndicats et les médias de sorte à les mobiliser tous ensemble chaque fois que la nécessité s’en fait ressentir. Une stratégie dont le but ultime et immédiat est de garantir une constitution républicaine et démocratique qui assure les droits et les libertés de chaque  tunisien quelque soit son appartenance politique ou son  idéologie et ce quelque soit aussi le parti au pouvoir en neutralisant de manière irrévocable le fonctionnement d’état-parti. En un mot garantir un Etat de droit qui respecte toutes les libertés y compris la liberté de croyance.

A ce niveau, il faut reconnaitre à Ennahdha  une certaine capacité  à faire marche arrière lorsqu’elle y est acculée comme c’est déjà arrivé, ce qui en soi démontre une volonté de bien faire ne serait-ce que  pour se maintenir au pouvoir. Si la cause première d’Ennahdha n’est pas démocratique, il n’en demeure pas moins que ce type de fonctionnement est intéressant à exploiter par les républicains.

Par ailleurs, les partis et pour être constructifs, comme ils s’en proclament, se doivent de proposer à ce gouvernement inexpérimenté tous  les plans de sauvetage nécessaires, et dont ils pourront toujours se prévaloir à travers les médias, afin d’éviter une faillite économique qui rendrait notre pays ingouvernable et dont ils ne manqueront pas d’en assumer aussi une grande part de responsabilité. La démocratie étant un partage du pouvoir et des responsabilités et non la division des Tunisiens en deux ou plusieurs clans ennemis.
Ennahdha sera donc acculée non seulement à réussir notre transition démocratique et à rester dans le cadre des principes et des fondements républicains mais aussi à employer les meilleurs moyens d’éradiquer la pauvreté et le chômage grâce aux pressions que les républicains exerceront.

Il est de loin préférable que les islamistes soient au pouvoir plutôt qu’à l’opposition dans le cadre de laquelle ils n’auraient su employer que des méthodes violentes comme nous l’avons déjà expérimenté par le passé, faisant d’eux-mêmes de surcroit  un excellent prétexte pour une nouvelle dictature. En cette phase de transition démocratique, notre rôle de républicains démocrates n’est pas du tout d’être au pouvoir et de se battre pour y arriver à n’importe quel prix, mais bien d’être dans l’opposition afin d’établir la meilleure stratégie pour forcer les Islamistes à se démocratiser.

Quant au monde extérieur, nous sollicitons avec insistance son aide et son soutien afin de participer à la réussite de cette transition en nous évitant une faillite économique. Le meilleur soutien serait  pour nous, non pas sous forme de crédits qui seraient mal gérés et que les générations futures seront tenues de rembourser comme nous sommes tenus aujourd’hui de rembourser les vols et les malversations de l’ex-famille régnante, mais plutôt sous forme d’investissements privés.  En important chez nous l’investissement privé doublé du savoir faire qui l’accompagne, nous gagnons sur plusieurs plans sachant qu’encore une fois Ennahdha n’a pas d’autre choix que de libérer notre système de gouvernance  de ses lourdeurs administratives, de réformer le code du travail  et d’accepter de se conformer aux standards internationaux de bonne gouvernance afin de fournir un maximum d’opportunités d’emplois exigés par la révolution. Une occasion en or  pour nous d’évoluer vers encore plus de modernisation et d’adaptation aux marchés internationaux.

Ce n’est que de cette manière que nous réduirons le chômage, que nous éradiquerons la pauvreté et que nous ferons évoluer démocratiquement la pensée politique de notre peuple afin que notre religion ne soit jamais plus un outil de marketing politique. Bien plus nous acculerons tout les Tunisiens à s'impliquer dans ce combat de démocratisation de sorte à ce qu'elle soit définitivement irréversible au moins pour la plus grande majorité.

Neila Charchour Hachicha

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
1 Commentaire
Les Commentaires
Afif Hachicha - 21-05-2012 17:47

Une analyse audacieuse et réaliste qui laisse percevoir une amertume de déception intense, que je partage, bien que je fus un des rares qui l'aient prévue, mais elle présente aussi une solution, la seule à mon sens, celle de former un Bloc d'Opposition, disposant du sens de la responsabilité et jouissant de dévouement pour la nation, qui serait capable de reconquérir une confiance perdue par des millions d'électeurs et de rétablir un équilibre indispensable avec la Troïka, afin de garantir une alternance légitime du Pouvoir. Enfin, je ne partage pas l'idée de préférer, que les islamistes soient au Pouvoir, plutôt que ce semblant d'Opposition actuelle, car ce Courant défend farouchement une Doctrine si pernicieuse, qu'il est prêt à vendre ce pays, au prix de réaliser un rêve, qui lui tient à coeur.

X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.