News - 14.12.2011

Comment Ennahdha compte gouverner

Cette interview du nouveau Chef de gouvernement, réalisée en septembre est parue dans la revue « Leaders », au début du mois d’octobre, quelques semaines avant les élections. Nous la reproduisons ci-après sans rien y changer  parce qu’elle nous renseigne sur la façon  dont le mouvement Ennahdha entend gouverner le pays. Déjà, Hamadi Jebali parle, indépendamment des résultats des élections « de réunir le maximum de conditions de réussite à une coalition qui naîtra d’un consensus et nous fera l’économie d’une atomisation ». Car « aucune partie ne peut désormais être capable de gouverner seule le pays et toute coalition dont Ennahdha ne ferait pas partie serait affaiblie ». Il évoque également la formation du gouvernement, « non pas au niveau des détails et des personnalités devant y figurer, mais des principes et des profils », nous éclaire sur le positionnement de son parti « le centrisme, loin de tout extrémisme », parle de la nouvelle constitution, de la laïcité, en somme  d’une première esquisse des contours des principes et profils de l’organisation des pouvoirs publics en Tunisie qui est en en train de prendre forme en Tunisie. S’agit-il de positions personnelles ? Jebali s’en défend : « il s’agit d’une vision partagée par les tous les dirigeants », répond t-il modestement. Mais personne n’est dupe. Elle porte de toute évidence la marque de celui qu’on considère comme le stratège d’Ennahdha. Interview 

Nous devons distinguer entre deux démarches qui ne doivent pas être liées automatiquement: le résultat du scrutin et la volonté de consensus devant conduire à l’élaboration d’un programme commun de gouvernement. Il n’est pas indispensable que le nombre de voix recueillies détermine le volume de notre participation au sein du gouvernement qui sera constitué. Nous tenons à ce que ces élections réussissent et nous ne pouvons nullement accepter l’échec de cette étape que nous estimons cruciale. C’est notre unique choix pour concrétiser les objectifs de la révolution et nous entendons qu’elle soit l’occasion tant espérée pour laisser s’exprimer la volonté du peuple, telle qu’elle s’exercera à travers les urnes.

Jamais nous n’accepterons que cette voix soit usurpée, détournée ou trahie. Ce sera alors une lourde et grave perte qui nous fera entrer dans le flou et les tensions dont nous ne pourrions sortir, tant la confiance en les partis, la société civile et les élites en serait sérieusement entamée. L’essentiel sera donc de réunir le maximum de conditions de réussite à une coalition qui naîtra d’un consensus et nous fera l’économie d’une atomisation. Cette coalition, nous la voyons se construire autour d’un axe central, qui n’est pas nécessairement Ennahdha, ou nahdhaouiste, mais suffisamment fort et solide pour assumer la responsabilité et réaliser le consensus, dans le cadre d’un programme commun de gouvernement.

Pour gagner du temps, nous avons tous intérêt à engager dès à présent le dialogue et la concertation autour des grandes questions qui se posent et parvenir à un minimum d’accord sur les urgences économiques et sociales ainsi que toutes les questions prioritaires, notamment pour ce qui est de l’emploi, du développement régional, et autres. Que l’on aboutisse ou non à un accord n’est pas le plus important, car il s’agit d’engager ce débat pour que nous ne nous trouvions pas, au lendemain des élections, submergés d’un seul coup par toutes les questions à la fois. Aucune partie ne peut désormais être capable de gouverner seule le pays et toute coalition dont Ennhadha ne ferait pas partie serait affaiblie.

Et les autres questions à poser immédiatement sur la table ?

Nous devons aussi débattre de la formation du nouveau gouvernement, non pas au niveau des détails et des personnalités devant y figurer, mais des principes et des profils. Pour ce qui est de la présidence de la République, Ennhadha ne s’y porte pas candidate et ce, non par incapacité mais en considération de la situation géopolitique dans le pays et dans la région. N’oubliez pas que notre objectif est de réunir le maximum de conditions de réussite à ce processus qui s’engage en Tunisie. C’est pourquoi nous devons convenir, pour ce poste, d’une grande personnalité, jouissant de l’estime de tous, un démocrate, rassembleur, consensuel, ce qui contribuera à la stabilisation et satisfera toutes les parties. La présidence de la République doit s’adosser à une force d’attraction, fondée sur une puissance effective, qu’elle soit de notre mouvement ou non, mais qui s’appuie sur de vrais piliers, cependant ce n’est pas une condition sine qua non.

Et les ministères ?

Pour les ministères de souveraineté, notre vision est claire.
Défense nationale : nous tenons absolument à préserver cette institution et la renforcer en lui donnant toute la confiance qu’elle mérite. Elle bénéficie d’une très haute appréciation et il nous appartient de la soutenir et de la consolider par les moyens et ressources dont elle a besoin. Nous sommes satisfaits de ses programmes, comme de ses hommes.

Intérieur : nous ne verserons pas dans la revanche ou la vindicte, pas de chasse aux sorcières, ce dont nous avons longtemps souffert nous-mêmes. Nous partons d’une vision éthique et nous nous attachons à la réconciliation nationale et au dépassement des erreurs du passé. Ce qui importe le plus, c’est le dédommagement, plus que le châtiment. Notre objectif n’est pas d’envoyer des milliers de personnes derrières les barreaux, mais de leur donner une chance de se racheter. Certes, nous ne saurions accepter un ministère-épouvantail, comme il l’avait été, qui avait conduit le pays vers la dictature, mais une administration au service du peuple et entre ses mains. La sécurité du régime ne procède que de celle du peuple, et l’autorité de l’Etat ne peut reposer que sur le respect de l’individu. Il appartient donc à ce département d’engager la réhabilitation de ses cadres et programmes, de rompre avec les concepts et stratégies fondés sur l’oppression et l’intimidation, pour se convertir dans la sécurisation du Tunisien. C’est pourquoi il sera important de désigner à sa tête un homme intègre, propre, réformateur. Nous savons que cette conversion prendra le temps qu’il faudra, mais l’essentiel est que le processus commence, ce qui constituera à nos yeux l’acte 2 de la révolution. Affaires étrangères: c’est à ce ministère de véhiculer la nouvelle image qu’incarne désormais la Tunisie post-révolution et c’est aux ambassadeurs et à tous les diplomates de porter cette image. Ils devront chercher l’intérêt du pays, partout à l’étranger et dans tous les domaines et s’efforcer de drainer toutes les bonnes opportunités.

Justice : ce département doit être confié à une sommité de compétence, d’éthique et d’abnégation, qu’elle soit issue d’Ennahdha ou d’ailleurs, reconnue pour sa capacité à engager les réformes et à les réussir. Le plus urgent aussi est d’adopter un nouveau statut de la magistrature et d’organiser l’élection du Conseil supérieur de la magistrature.

Les ministères en contact direct avec le citoyen, Equipement, Agriculture, Transport, etc. : chacun doit s’y considérer au service du citoyen, redevable à lui et à lui seul, de sa nomination et de sa promotion et non, comme jadis, désigné sur d’autres critères, investi d’un pouvoir absolu contre le citoyen, chargé de l’épier, et libéré de toute obligation de résultat, d’efficience et de satisfaction de l’usager. Une administration qui sera au service du peuple, les plus démunis en premier.

En plus des partis, vous faites appel aux organisations nationales ?

Nous avons pour la Tunisie un programme ambitieux, que nous devons fonder sur une base élargie à tous et pour la réalisation duquel nous appelons plus qu’à la participation, à l’implication effective de toutes les parties, de toutes les organisations nationales et de toutes les compétences. Nous les invitons toutes à participer à gouverner ensemble. Aussi, nous demandons aux centrales ouvrières et patronales, UGTT, Utica et autres, de soutenir cette démarche, de surseoir aux revendications et d’accorder un moratoire au gouvernement pour lui permettre de reprendre son souffle, d’engager la mise en oeuvre de son programme et de réussir.

C’est une étape très délicate que celle que nous abordons, et le gouvernement qui sera formé tirera sa force de sa cohésion, en s’enrichissant de toutes les compétences qui ne s’étaient pas compromises avec le régime déchu. Nous comprenons parfaitement que certains aient agi sous la contrainte et la menace, mais tant qu’ils n’ont rien commis de répréhensible, il n’y a aucun mal à ce qu’ils s’inscrivent au service de la Tunisie nouvelle. Notre message est un message pour la tolérance, la réconciliation, sans exclusion, tout en nous employant à la restitution des droits des victimes, comme ceux du pays. Nous devons aussi faciliter la tâche de l’assemblée nationale constituante, en présentant dès maintenant nos visions et propositions pour la nouvelle Constitution à élaborer. D’ailleurs, nous sommes ouverts au sein d’Ennahdha quant aux différentes propositions avancées et prêts à en débattre. Alors comment pourrions-nous gagner du temps ? En nous mettant d’accord, le plus tôt possible et dès à présent, sur les principes devant présider à la Constitution et au champ législatif en fixant les priorités des domaines et textes à examiner et en constituant un pôle d’attraction qui permettra à cette assemblée d’atteindre ses objectifs, de réaliser l’ambition de notre peuple et de conduire la transition.

Ennahdha et la laïcité

Il ne faut pas oublier que la Turquie actuelle, conduite par le Premier ministre, M. Recep Tayyip Erdogan, a hérité de la Constitution quasi-centenaire de Mustapha Kemal Atatürk. C’est là une réalité issue d’une certaine époque et de circonstances particulières, ce qui ne peut nécessairement s’appliquer à la réalité tunisienne. Notre peuple est acquis à l’identité arabo-musulmane commune qui nous unit. Une identité qui n’est pas imposée par l’Etat et que chacun est libre de porter, d’interagir avec elle et de la préserver. Défendre cette identité n’est pas du ressort de l’Etat, mais du peuple. Si nous sommes d’accord que l’Etat appartient à tous les Tunisiens, et qu’il n’y a pas de représentant officiel ou de porte-parole de la religion qui l’impose aux autres, et que la légitimité n’appartient qu’au peuple, nous conviendrons alors que la laïcité ou l’imposition de la religion n’a pas de sens en Tunisie.

Positionnement et évaluation

Notre ligne de conduite au sein d’Ennahdha est le centrisme, loin de tous les extrémismes. Ce choix est nourri de nos valeurs fondatrices, comme de notre vision de l’avenir. Nous avons procédé, depuis que nous étions en prison ou en exil, à une analyse critique approfondie et détaillée de nos positions et actions. Cette évaluation a été récemment synthétisée dans un document d’ensemble, fort de plus de 300 pages qui sera, d’ailleurs, présenté lors de notre prochain congrès, prévu d’ici la fin de l’année. Sa lecture sera édifiante.

Lire aussi :

Hamadi Jebali chargé officiellement de former le gouvernement

Retour sur le parcours politique de Hamadi Jebali

Tags : Ennahdha   Hamadi Jebali  
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