Opinions - 10.11.2011

L'épineux problème du chômage et le service de la dette extérieure

Notre pays est confronté, aujourd’hui, à des difficultés majeures : chômage, endettement extérieur aberrant, déséquilibre régional, dégradation du pouvoir d’achat d’une large frange de la population, croissance en berne...
Depuis le soulèvement de Janvier 2011, nos compatriotes espèrent une amélioration de leurs conditions matérielles et attendent de nos gouvernants et des partis politiques qui convoitent le pouvoir une réponse rapide à leurs attentes. Malheureusement ni le gouvernement actuel, ni le microcosme politique qui s’agite ne disposent d’un début de solution pour résoudre le moindre problème économique.

La raison est simple : Offrir des emplois durables, atténuer le déséquilibre régional, augmenter le pouvoir d’achat… nécessitent des fonds. Or, dans les conditions actuelles de fonctionnement de notre économie, cet objectif est hors d’atteinte.

On pense souvent que les ressources budgétaires et les ressources d’emprunt extérieur sont extensibles à volonté et peuvent comme par une baguette magique, venir à bout de tous les problèmes économiques. Ne dit-on pas qu’il suffit que l’Etat embauche, qu’il est du devoir de l’Etat d’augmenter les salaires...Une lecture des données relatives au budget de l’Etat tunisien permet d’invalider cette vision des choses.

L’endettement extérieur, comme l’endettement intérieur de l’Etat tunisien ont atteint un seuil difficile à franchir.
Le service de la dette extérieure absorbe une grande partie de ressources budgétaires. La proportion des recettes fiscales  de l’Administration Centrale (de l’Etat) consacré au paiement de l’intérêt sur la dette extérieure contractée par l’Etat tunisien est effrayante.

années

2005

2006

2007

2008

2009

% des impôts directs et indirects destinés uniquement au paiement des intérêts dûs par l’Etat.

13,4

13,4

12,4

10,8

10,3

Les gouvernements futurs seront contraints, qu’ils le veuillent ou non, de rogner sur les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement pour faire face au service de la dette extérieure. La correction du déséquilibre régional, la lutte contre le chômage et l’amélioration du pouvoir d’achat passeront au dernier rang des priorités.
 Le discours ambiant des partis politiques nouvellement constitués laisse perplexe. Chacun y va de sa surenchère. “ y a qu’à … y a qu’à…” Il est indéniable que la classe politique qui a émergé à la faveur de la  recolution manque de maturité en matière de gestion des affaires.

Une grande partie des problèmes économiques  nous sont imposés par l’extérieur et plus précisément, sont la conséquence du fonctionnement actuel du mode des paiements internationaux.

I - Un dysfonctionnement lié au service de la dette extérieure engendre une saignée injustifiée d’une ampleur égale aux intérêts payés aux créanciers étrangers

L’endettement extérieur est souvent perçu par le profane comme par le spécialiste comme la cause réelle de la dégradation de la situation économique des pays. Ceci n’est pas faux, mais souvent les analyses portant sur le lien entre la dette extérieure et la dégradation de la situation économique  des pays reste superficielles. Les écrits sur ce sujet se résument à des prises de position souvent infondées, démagogiques et sans valeur ditactique. Nous pouvons citer à cet égard et à titre d’exemple la prise de position du Professeur Elyès Jouini, dans les colonnes de la Presse (10 Avril 2011) « … bien sûr c’est une dette qui a été contractée par un régime odieux, mais elle l’a été au nom de la Tunisie, au nom du peuple tunisien et ce dernier n’a qu’une seule parole. Bien sûr, une partie des financements a été détournée par certains, mais il y va de notre responsabilité d’honorer la dette tout en poursuivant  ceux qui ont abusé de notre confiance pour récupérer jusqu’au dernier dinar.».
D’autres bien-pensants proposent carrément de renier la dette extérieure. Ces prises de position n’aident pas à éclaircir un problème extrêmement difficile.

Le plan d’ajustement structurel imposé par le FMI à notre économie en 1986 est censé assainir les comptes de l’économie tunisienne, résoudre le problème de l’endettement extérieur et atténuer un peu le chômage en  relançant  la croissance économique.

Un quart de siècle s’est écoulé depuis la mise en place de ce plan. La désillusion est  totale : Le déficit commercial de notre pays ne s’est pas résorbé, le pouvoir d’achat s’est dégradé, le chômage a progressé, La courbe de l’endettement extérieur de la Tunisie ne s’est pas renversée. L’échec des mesures imposées par le FMI à notre pays ne peut être plus patent. De toute façon, les experts de cette honorable Institution le reconnaissent.

Face à tel constat, doit-on croiser les bras et attendre une hypothétique aide de l’étranger?  La réponse est un NON catégorique.

De toute façon, l’expérience a démontré que cette aide (sous forme de don ou de prêt) est souvent liée à des concessions du côté tunisien et ne coïncide que rarement avec les besoins des populations. 

Notre pays peut aujourd’hui résoudre seul, le problème du chômage et créer les conditions nécessaires d’un développement durable de l’ensemble des régions de notre pays.

Comment  est-ce possible ?

La résorption du chômage et l’amélioration des conditions de vie en Tunisie sont possibles  grâce à une réforme des paiements extérieurs censée procurer au Trésor public tunisien, en chaque période  des ressources inespérées.

D’où va provenir cet argent ?

Nos travaux de recherche sur l’endettement extérieur montrent que notre pays  paie  deux fois les intérêts afférents à ses dettes envers le reste du monde .

Dans le régime actuel des paiements internationaux le service de la dette extérieure des pays émergents souffre d’un vice rédhibitoire . Ce vice peut être résumé de la manière suivante : les intérêts de la dette extérieure des pays en développement sont payés une première fois par leurs économies intérieures et une deuxième fois par leurs réserves officielles.

Le deuxième paiement, c’est-à-dire le paiement à partir des réserves officielles est un paiement pathologique. La réforme que nous proposons consiste à mettre fin cette saignée. L’argent qui était perdu auparavant au profit de la macroéconomie des pays créanciers sera dès la mise en place de la réforme des  paiements extérieurs drainé vers le Trésor public tunisien.

Ce dysfonctionnement engendre dans les économies nationales appauvrissement, chômage, crises politiques, révoltes … Aucun espoir d’amélioration de la situation économique de notre pays n’est permis si la réforme des paiements extérieurs que nous prônons n’est pas mise en place.
Nous pouvons même prévoir avec certitude que nos compatriotes vont être contraints à plus de sacrifices, si cette réforme visant à mettre fin au double paiement du service de la dette extérieure n’est pas mise en place rapidement. Le processus démocratique sera étouffé afin de réprimer la lutte pour la sauvegarde du pouvoir d’achat et la préservation de l’emploi. 

C’est le dysfonctionnement lié au service de la dette extérieure qui est l’objet de ce travail.
Dans une première partie, nous présenterons un résumé du double paiement des intérêts. Cependant le lecteur doit être averti qu’il est difficile de présenter la démonstration du double paiement des intérêts dans les limites d’un article. Nous nous tenons prêts à démontrer le double paiement des intérêts devant une assemblée d’experts.
Dans une seconde partie, nous ferons une esquisse de la réforme des paiements extérieurs.

Résumé de la preuve du double paiement des intérêts

Ce qui rend le problème de l'intérêt payé par des flux transnationaux encore plus ardu c'est le fait qu'il touche à de nombreuses "dimensions" à la fois, à savoir l'espace défini entre les nations, le temps et non seulement l'écoulement du temps qui forme les échéances d'intérêt mais aussi les "transports dans le temps" que sont les importations et les exportations de biens d'une période antérieure ou postérieure aux périodes d'échéance ; en plus, la question implique chaque pays débiteur comme l'ensemble de ses résidents, alors que les premiers débiteurs d'intérêt sont toujours des "éléments" de ces ensembles, ce qui est le cas même pour les Etats porteurs de dettes extérieures car ils en répercutent le service dans la population par la voie fiscale ; enfin, ce qui rend la recherche presque impossible, c'est l'intrusion inévitable et puissante du "bon sens" ou du "sens commun" : n'est-il pas évident, avant toute réflexion (dès lors rendue inutile) que l'intérêt est versé une seule fois par les résidents endettés envers l'étranger et que le paiement de l'intérêt par ses véritables débiteurs efface leur dette qui est donc acquittée aussi, du même coup, par leurs économies nationales, libérant jusqu'à leur pays dans son ensemble ? Comment une dette annulée par des résidents pèserait-elle encore positivement sur leur pays ?

Ce vice frappe l’ensemble des pays qui paient des intérêts nets débiteurs.

Le graphique suivant schématise les deux paiements : le paiement logique et le paiement pathologique

La charge 1 et la charge 2 se confondent en un seul paiement qui ne souffre d’aucune critique.
La charge 3 est un paiement inique, injuste et dénué de tout fondement logique.
Le paiement de l’intérêt par l’économie intérieure diminue le flux d’entrée de devises dans les réserves alors que le paiement de l’intérêt par les réserves prélève des devises.
Le premier paiement est une entrée de devises annulée alors que le second paiement est une sortie de devises positive.
Rien que pour l’année 2009, notre pays a déboursé 758 millions de Dollars US pour faire face aux paiements des intérêts afférents aux dettes extérieures. Malgré ce paiement, la Tunisie a été contrainte, par le mécanisme pervers du double paiement des intérêts, de puiser une deuxième fois ce montant, soit 758 millions de $ US, dans ses réserves officielles (ponction inique «sans cause»).

A cause du mécanisme pervers du double paiement des intérêts, les réserves extérieures de la Tunisie ont perdu injustement 758 millions de $ US au cours de l’année 2009. Le paiement des intérêts dûs à des créanciers étrangers a coûté donc à la Tunisie, deux fois 758 millions de Dollars.

Au cours de la période allant de 2005 à 2009, notre pays a perdu injustement la somme 4258 millions de $.

Comment peut-on démontrer l’existence de ce dysfonctionnement ?
La preuve du double paiement de l’intérêt net peut être apportée :
1. par une analyse de la Banque Mondiale : Une Equation que la Banque Mondiale publie chaque année implique logiquement le double paiement de l’intérêt ;
2. par une analyse du Fonds Monétaire International : Un concept créé par l’Université il y a plus d’un demi-siècle,  adopté par le Fonds monétaire international, à savoir la «International Investment Position»(IIP) conclut au double paiement des intérêts ;
3. Les statistiques publiées par la Banque Mondiale, consultées plusieurs fois, concourent fortement à la manifestation de la vérité (la logique comptable permet de mesurer le montant des pertes injustifiées) ;
4. Enfin, la preuve du double paiement des intérêts peut être donnée en logique pure.

Le deuxième paiement de l’intérêt, dont l’existence est confirmée par les critères cités, est un phénomène de pure macroéconomie .

II - Une Réforme de la comptabilité extérieure de la Tunisie permet de stopper cette hémorragie et procurer au Trésor public des sommes inespérées.

Comment la Tunisie peut-elle établir de l’ordre dans ses paiements internationaux ?
Que faut-il faire pour arrêter cette hémorragie ?

L’espoir est fondé, car les mesures à prendre sont simples et surtout, elles relèvent de la souveraineté de notre pays . La Réforme est opératoire au plan de chaque pays qui peut, sans aucunement nuire à ses partenaires, introduire souverainement, et du jour au lendemain, la réglementation de ses paiements extérieurs, créances et dettes.

Comme nous avons découvert ce désordre, nous avons aussi la solution  au problème du double paiement des intérêts. Je propose à la Tunisie les moyens de se dégager de ce cercle infernal. La réforme des paiements extérieurs de la Tunisie que j’ai élaborée dans ses moindres détails lui permettra de payer les intérêts dûs à des créanciers étrangers sans être astreinte à une ponction supplémentaire dans ses réserves extérieures en devises. Elle apportera en outre au Trésor public tunisien des ressources inespérées , qui, auparavant, étaient perdues au profit de l’étranger.

Grâce à cette réforme, notre pays peut gagner en chaque période l’équivalent des intérêts payés à des créanciers étrangers. Si la réforme des paiements extérieurs que nous proposons a été mise en œuvre en 2009, le Trésor public tunisien aurait engrangé 758 millions de $ US en toute propriété. Dans l’état actuel des paiements internationaux, ces 758 millions de $ US  ont été perdus injustement au profit de l’extérieur.
Nos gouvernants peuvent, avec cet argent, améliorer le service public, embaucher tous les chômeurs de la Tunisie, équiper la Tunisie… sans emprunter un sou à l’étranger. C’est une manne qui ne s’épuise pas tant que le régime actuel des paiements (étalon-dollar) est en vigueur. Nous pouvons aussi, dans une phase ultérieure et en accord avec les instances financières internationales (FMI et Banque Mondiale), demander réparation pour le passé. Les séries de statistiques en ce qui concerne la dette extérieure des pays remontent à 1974. Ils sont fiables. On ne peut qu’admirer le travail effectué par la Banque Mondiale dans le domaine de la collecte, du recoupement, de la vérification et de la correction des statistiques financières.

Un petit calcul arithmétique permet de chiffrer la perte subie de 1980 à 2009 à 15436 millions de $ US . Notre pays est en droit de réclamer cette somme.

Je m’engage par conséquent, si les mesures que je propose sont adoptées, de mettre à la disposition du Trésor Public tunisien, en chaque période, l’équivalent des intérêts payés à des créanciers étrangers.

Les intérêts sur la dette extérieures sont payables semestriellement. Les bienfaits de cette réforme apparaîtront au bout de six mois.

Taieb Chtioui
Professeur à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion
Ancien Directeur de L’Institut Supérieur de Gestion de Gabès




 

Tags : Tunisie  
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1 Commentaire
Les Commentaires
Mohamed - 11-11-2011 19:20

Cher Professeur, Avec tout le respect que je dois pour votre personne et pour les fonctions que vous avez occupés, je voulais vous dire que je trouver votre analyse et vos conclusions totalement abérrantes, populistes et démagogiques. Je m'explique: - Vous dites qu'on paie doublement la charge d'intérêt via un premier paiement par transformation des dinars en devises et un deuxième par ponction des réserves de changes. Le deuxième n'est que la contrepartie du premier car vous n'êtes pas sans savoir que le dinars n'est pas convertible donc toute transformation de dinars en devises passe par les réserves de change contrairement aux pays développés ou pays ayant une monnaie totalement convertible. - Vous dites qu'on ne doit pas rembourser tout ou une partie de la dette odieuse et que le service de cette dette doit aller au financement d'autres projets. Vous n'êtes pas sans savoir que tous les pays qui ont choisi de faire défaut par le passé ont perdu leurs accès aux marchés internationaux (Russie pendant plus de 10 ans, Argentine jusqu'à aujourd'hui, etc). Vous dites qu'une partie de la dette tunisienne est odieuse mais vous n'êtes pas sans savoir que jusque là aucune analyse fine de l'utilisation des financements par dettes n'a été effectuée et publiée par la BCT. Aller directement à cette conclusion est à mon sens, et avec tout le respect que je vous dois, infondé et populiste. Finalement, vous n'êtes pas sans savoir que la qualité des infrastructures tunisiennes reste assez bonne par rapport à la moyenne des marchés émergents et qu'une partie (si ce n'est la majorité de ces infrastructures a été financée par la dette que vous qualifiez d'odieuse. Cela dit, avec tout le respect que je vous dois, je vous suggère plutôt de publier des articles où vous proposer des solutions faisables et intéressantes pour la Tunisie.

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