Opinions - 19.08.2011

Code du Statut Personnel : 55 ans et ….après ?

Dorra Bouzid, première femme tunisienne journaliste fait partie de la génération charnière d’étudiants, à cheval entre le colonialisme, l’autonomie interne (1955) et l’Indépendance (20 Mars 1956). Celle donc qui a connu, vécu et fait connaître le Code du Statut Personnel (13 Août 1956) avant, pendant et après. Témoignage.

En 1956, j’étais étudiante en pharmacie à Paris, militante active, mais aussi journaliste. En effet,  j’envoyais à Béchir Ben Yahmed qui venait de fonder l’ancêtre de Jeune Afrique, L’Action, des billets féministes incendiaires sous le célèbre pseudonyme protecteur de « Leila », car à l’époque, il était très dangereux d’agiter ces idées subversives. J’étais d’autant plus virulente que comme  toutes mes sœurs brimées, je souffrais de toutes les injustices, les interdictions, les tabous intolérables.

Le 13 août 1956, date de l’annonce du fabuleux Code du Statut Personnel qui nous donnait les mêmes droits que les hommes, j’étais en vacances à Tunis. Et c’est avec mes sœurs libérées que j’ai fêté ce premier « Treize Août »comme une délivrance extraordinaire, une Révolution, une prise de la Bastille. Je l’ai vécu donc non seulement comme acteure mais aussi comme médiateure. Je suis descendue dans la rue avec elles pour soutenir le CSP, l’applaudir, pleurer de joie avec elles et aussi pour témoigner dans ma double page célèbre de « l’Action Féminine » et toujours sous le pseudonyme de « Leila (3 septembre 1956 ). Sous ce grand titre mémorable «  La Femme tunisienne est enfin majeure ! » j ’y ai annoncé les principaux articles -dont le premier, capital, qui supprimait la loi charaïque au profit des tribunaux civils. J’y ai publié plusieurs photos de la `manif’ des rues et des photos des deux cheikhs qui ont participé à l’élaboration de ce Code : ABDELAZIZ DJAIT et TAHAR BEN ACHOUR avec pour légendes leurs déclarations fort émouvantes :

-Tahar ben Achour : « Les réformes sont sociales, nous sommes effectivement dans une période qui doit s’adapter à l’évolution ».
-Abdelaziz Djait : « Tant que l’on conserve la foi, la religion peut s’adapter, l’essentiel est de respecter l’esprit de l’Islam ».

Et dans mon édito intitulé « Le Code va-t-il à l’encontre de la religion ?», je démontrais qu’il n’en était rien. J’ai énuméré ensuite les principaux articles du CSP :        

1-Suppression des tribunaux religieux.
2-la femme a le droit de choisir librement son mari dont le droit au divorce est limité.
3-Abolition de la polygamie.
4- la jeune fille devient majeure à l’âge de 20ans.

Je citais aussi les diverses réactions : « Liberté, Liberté chérie », « Je suis enfin moi-même », « Je n’aurai plus envie de me suicider »etc. et notais quelques « Grains de folies » : des femmes qui voulaient répudier leurs maris, des étudiants qui voulaient faire la grève du mariage ou encore une allusion malicieuse à Ahmed Mestiri qui,  « le pauvre, venait de se marier à un moment où il perdait tous les anciens privilèges des hommes!»

Une tunisienne forte et libérée.

Par la suite, aussi bien  comme citoyenne pharmacienne, que comme journaliste j’ai continué le combat militant féministe et médiatique. Parallèlement en fondant la rédaction du premier et célèbre magazine arabo-africain (1959-1967) : « Faiza »,  puis dans de multiples médias dont le troisième magazine féminin que j’ai créé  pour « Réalités » : « Femmes et Réalités», supplément féministe gratuit (1998) qui existe toujours mais que j’ai quitté en 2005 pour incompatibilité d’opinion ’féministe‘ !!!

Dès 1956, donc dans tous mes organes de presse, j’allais témoigner, soutenir, lutter, pour changer les mentalités rétrogrades et former la nouvelle citoyenne tunisienne, lui faire connaître ses droits, lui apprendre à se défendre et à militer pour l’égalité.

Tout au long de mon parcours, j’ai toujours continué  le combat contre l’ignorance, l’intolérance, j’ai témoigné également du vécu, des changements mais aussi des insuffisances du CSP :    

- l’héritage par exemple, toujours discriminatoire seul article  où l’égalité n’est pas reconnue.
- les pensions alimentaires qui ne sont pas versées aux épouses.

Aujourd’hui,  55 ans après, pour fêter le premier 13 août de la Révolution, on peut dire,  malgré les insuffisances du CSP et certaines dérives (chez des magistrats nostalgiques, entre autres) : « On a gagné ! ».Cependant la vigilance doit être maintenue car tous les dangers sont possibles.

Donc, c’est gagné ! Les  lois sont là. Et les femmes libérées. Les magazines féminins nombreux abordent tous les sujets tabous d’avant : harcèlement sexuel, violence etc... Quand on voit en 2011,sur les plages, dans les rues, à la  ville et à la campagne, un peu partout en Tunisie, toutes nos ravissantes jeunes filles en fleur, épanouies, rieuses, instruites, laborieuses et crâneuses,  on est rassuré. Ne parlons pas de nos nombreuses petites filles si jolies si délurées et encore plus épanouies que leurs ainées. Il est clair qu’elles ne se laisseront pas faire ! Contrairement à autrefois, nos femmes ont droit de regard sur leurs vies de célibataires, de femmes mariées, divorcées ou veuves.

En conclusion je dirai que protégée par les lois et l’instruction, la femme tunisienne d’aujourd’hui est une femme forte. Libérée.

Dorra Bouzid
 

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8 Commentaires
Les Commentaires
Mansour Lahyani - 19-08-2011 12:34

Bravo, Dorra, 'acteure et médiateure' ('actrice et médiatrice' auraient gâché ?), du beau travail : des générations de tunisiens et de tunisiennes t'en seront reconnaissantes !

gueblaouiM - 19-08-2011 15:10

D B : Nous applaudissons encore les acquis du CSP,mais ils ne doivent nous pousser à la cécité mentale et religieuse et courir vers un exécution idiote des ordres occidentaux en matière des droits et libertés individuelles, les individus occidentaux se comportement actuellement tout simplement pire que des animaux , la Société se désagrège, les moeurs sont au plus bas niveau, c'est l'argent qui dicte leurs actions,et les enchaîne, si on veut les imiter et on en est pas loin, il y a lieu tout simplement de renier notre religion, et là vous êtes libre de le décider,mais ne jouons pas deux partions en même temps,il n'y a plus de musique,pour conclure je suis musulman mais je suis trés trés trés tolérant mais vous êtes aussi libre de m'accuser d'obscurantisme ,ce qui est courant chez les imitateurs de l'occident pour taxer ceux qui veulent protéger notre Société musulmane,SVP copions seulement les aspects positifs pour nous et nous sommes assez mûr ça

salem - 19-08-2011 17:30

A l'attention de GablaouiM. Il ne s agit pas de « l’exécution idiote des ordres des occidentaux », mais plutôt d'une « cécité » dans la foi en la capacité de l’Homme à réfléchir et à être sujet de son destin.. Tout ce que vous énumérez des dérives des sociétés occidentales est vrai, mais se voit aussi auprès d'autres sociétés. Ne serait-il pas le coté négatif, le revers d'une évolution sociale pour ne pas dire développement ?. Vous croyez que les pays « musulmans » échappent à ces maux, voyons, ne soyons pas naïfs, l'être humain avec ses pulsions, ses envies, ainsi que sa petitesse est partout. Sauf que des ces pays, on n'en parle pas ! Les causes sont multiples (cet espace est insuffisant pour en parler, mais la dictature – de toutes formes- est une des principales causes, elle nous enlève la possibilité de penser!). Résoudre ces maux de l'époque par une délégation de notre possibilité de pensée au divin est facile. C'est très simpliste d'analyser et de réparer ces dérives par le religieux. Toutes les révélations avaient pour but d'amener la paix entre les êtres par la peur du courroux de Dieu ! Apparemment, elles ont toutes échouées. Reste l'essence de la spiritualité qui est bien plus forte dans l'Islam ! Alors laissons le spirituel à l'islam et prenons notre devoir de citoyen pour gérer notre temporel L'humain est très complexe pour vouloir le résoudre par une opération chirurgicale d'amputation ! Il n'y a que l'éducation, le savoir, la raison, les débats, les lois de la républiques, les institutions, qui peuvent endiguer (non pas résoudre) ces dérives de nôtres époque. Ce discours de « conflit de civilisation » entre occident et orient n'a plus sa place, au mieux, il expose à la création d'un carcan pseudo « identitaire » proche du délire.

Naima Remadi Nour - 19-08-2011 21:21

Et comment...Liberee Oui; Evoluee??? j'en doute... L'evolution est l'adaptation au milieu socio- culturel et technologique. C'est une metamorphose du cerveau qui evolue au point d'accepter et de respecter toute les differences, voir en ces differences une richesse. J'espere seulement que les Femmes Tunisienne soient conscientes et SOLIDAIRE. C'est mon seul desir. Stick with women like you no matter what it ...

patriote - 20-08-2011 08:48

Le danger de perdre les acquis du CSP c'est la femme elle même.La femme tunisienne est libérée par le CSP c'est un peu exagéré.Car il n'y a de véritable indépendance qu'en présence d'une indépendance matérielle;ne répond à ce critère que 20% de nos femmes à tout cassé.On voit actuellement des hommes qui se disent prêt à remettre la femme là où elle était avant 1956 et sont déterminés apparemment à le faire en suivant certains partis politiques dont le sort de la femme est leur cheval de bataille le plus facile; le plus curieux de tout cela , beaucoup de femmes sans doute par naïveté,se laissent convaincre et acceptent dans leur esprit, polygamie,femme au foyer,usine à faire des enfants et soumission aveugle à l'homme...Vigilance donc, et ne pas crier victoire car il faut défendre ces acquis tant qu'ils lui tiennent à coeur ,et qui peut les perdre à tout instant aussi .

amilcar - 21-08-2011 13:29

le cds reste un formidable acquis mais les femmes rurales n' ont en profité que partiellement il a surtout profité aux femmes de la grande bourgeoisie puis a celles qui ont pu gravir l ascensseur social grace aux études et à une petite bourgeoisie urbaine mais il est difficile de changer la mentalité des hommes sur toute la planéte ce n 'est pas parceque telle femme est présidente d ' un état comme l 'inde par exemples que le statut des femmes rurales a progressé lisez. les saoudiennes n' ont meme pas le droit de conduire une voiture.revenons à la Tunisie certaines femmes ministres sous Ben ali servaient d applaudimétres et de propagandistes et n 'avaient aucun sens politique .pour la nostalgie je me souviens de la joie de ma mére d 'avoir oté le voile elle resplendissait de bonheur elle vivait dans une certaine sécurité psychologique de ne pas se voir répudiée.en ce qui concerne l 'actualité la parité ne me semble pas urgente ce qu 'il faut c 'est the right man ou the right woomen in the right place et consolider les acquis avec une main de fer dans un gang de fer

fotoula - 03-09-2011 00:26

je connais la Tunisie depuis 1982 ayant été mariée à un Tunisien de Kasserine pendant plus de 25 ans, j'ai visité et vécu mes vacances dans les zones rurales où j'ai bcq discuté avec les femmes rurales, analphabètes ou non, jeunes et vieilles! Etant moi même militante féministe depuis mes 20 ans, je peux vous affirmer que le cds est une très grande avancée pour les femmes tunisiennes en zones urbaines ET rurales! ce cds place les femmes tuniennes devant les autres femmes du monde arabo-musulman!! Il est certain cependant que les lois ne changent pas seules les mentalités et les discriminations ne disparaissent pas ainsi! il est nécessaire d'organiser des campagnes d'information, de sensibilisation, médiatiques, dans les écoles déjà en primaire, modifier les livres scolaires, organiser des sensibilisations des magistrats, avocats, policiers, maires, responsables dans les ministères, municipalités, etc etc ça prend du temps!! Chères amies tunisiennes, ne croyez surtout pas qu'en Europe l'égalité hommes/femmes soit une réalité absolue, nous avons acquis quelques droits par des combats mais aujourd'hui ces mêmes droits sont rognés et attaqués de toutes part par les réactionaires: on appelle cela le backslafh (Susan faludi à lire absolument). à Bruxelles où je vis, depuis 2010, les mouvements intégristes religieux catholiques et quelques imams avec des associations "provie" et des militants fachistes organisent des manifestations le 8/3 (Journée Internationale des femmes) dans le centre de Bruxelles avec l'aide de 8 des 9 évêques catholiques de Belgique et de la paroisse royale pour revendiquer l'interdiction de l'avortement qui n'a été autorisé qu'il y a 20 ans!!! en 2010, ils étaient 200 à 300, en 2011 ils étaient plus de 3.000!!!! Prenez aussi conscience qu'aujourd'hui les droits démocratiques, les droits des travailleur-s-e-s, etc etc nos libertés sont attaqués partout dans le monde, nous vivons une période de recul!! il faut préserver nos droits et en gagner d'autres!! bon courage et bonnes luttes: résistance toutes ensemble!!

Mondher - 14-09-2011 16:53

Quels garanties dans l'apres constituantes pour préserver les droits de la femme Tunisienne voir méme leurs amélioration? Il y a en effet beaucoups á faire dans ce domaine principalement consernant l'egalité des chances dans la renumeration salariale, la representation juridique et l'heriatage. Ces trois points doivent former le tremplain de choix de votes de nos citoyennes Tunisiennes pour batir une societe plus torerente et plus rquitable. C'est aux femmes maintenants de faire leurs choix. Elles representent plus que 50% des votes ainsi lá ou elles votent lá ou elles renforcent leurs droits. ainsi leur emancipation dans la une societe mixte.

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