Mustapha Kamel Nabli «N'ayons pas peur de l'avenir»
«C’est une situation d’équilibre instable avec nombre de facteurs à gérer concomitamment, sans en négliger aucun. Le contexte est certes délicat, complexe, inquiétant, mais pas alarmant. Je ne suis pas pessimiste. Je suis d’un optimisme prudent».
D’une voix calme et détachée, Mustapha Kamel Nabli, 63 ans, gouverneur de la Banque centrale, analyse avec le recul hérité de son long passage à la Banque Mondiale, et la proximité qu’autorisent les manettes de l’Institut d’émission, la situation de la Tunisie post-révolution, détaillant les facteurs de stabilisation, mais aussi les risques menaçants. Nommé, en 1990, ministre du Plan, décidé à quitter le gouvernement dès qu’il s’était senti leurré, contraint de partir à l’étranger en 1997, pour échapper à l’asphyxie générale et au durcissement spoliateur, la révolution le surprend le 14 janvier à Bogota (Colombie). Et le voilà dans le premier avion, cap sur Tunis, tant il s’est senti concerné, avide de servir, se dédiant à contribuer au processus de transition, là où il peut être le plus utile.
Orphelin du père à 5 ans et demi, issu d’une modeste famille de cultivateurs à Téboulba, marqué par la lutte quotidienne de sa maman travaillant elle-même le petit lopin de terre familial pour nourrir ses 9 enfants, il fera de la quête du savoir, son unique voie de réussite. Dès l’âge de 11 ans et demi, interne au Lycée de Sousse, il devait se prendre lui-même en charge, ne compter que sur lui-même et subvenir, à l’obtention de sa première bourse universitaire, aux besoins des siens. Sciences Eco et ENA à Tunis, Mastère et PhD à l’UCLA (Etats-Unis), puis une longue carrière d’enseignant et de chercheur, ponctuée par la présidence de la Bourse de Tunis (1988-1990) et un passage au gouvernement (1990-1995). Comment a-t-il vécu ses années de ministre ? Dans quelles conditions en était-il parti ? Quelles appréciations fait-il de la situation actuelle de la Tunisie et à quand le bout du tunnel ?
Réservé de nature, Mustapha Kamel Nabli a accepté de répondre aux questions de Leaders. Un récit croisé, restituant parcours et analyses.
Sommes-nous dans la bonne direction ?
Examinons les cheminements. D’abord sur le plan politique: la Tunisie vit une réelle dynamique politique avec une multitude de partis, d’associations, de débats, certes parfois de la violence, (mais limitée par rapport à la violence révolutionnaire observée dans nombre d’autres pays à travers l’histoire récente).Pour ce qui est de la sécurité, la tendance enregistrée depuis le 14 janvier montre une nette amélioration, malgré quelques secousses et fluctuations qui peuvent se résorber. Les forces de sécurité intérieures reprennent position et se redéploient. Sur le plan social, nombre de conflits ont surgi, mais on va dans le sens de l’apaisement.
Quant à l’économie, il y a un ralentissement notable sans provoquer cependant une chute. Nous n’avons pas eu de crise majeure, du type de cessation de paiements, de fermetures de banques ou d’assèchement des liquidités. La situation est délicate et peut devenir grave, mais pour le moment elle n’est pas alarmante. En fait, il y a une dualité à gérer, et c’est la nature même d’une révolution et encore plus de cette ampleur et de cette complexité comme celle que nous vivons actuellement en Tunisie. La question clé qui se pose est de se demander si tout cela va aboutir à la reprise, puis la relance.? Si les élections se déroulent dans un climat serein d’indépendance, de transparence et de sécurité, nous nous en sortirons sans doute.
Je ne panique pas, je garde un peu de calme. Je suis un optimiste prudent.
Quels sont les facteurs de stabilisation ?
C’est une situation d’équilibre instable. Il n’y a pas un ou deux ou trois facteurs seulement, qu’on peut traiter séparément ! Ils doivent tous l’être, concomitamment.
L’économie sans la sécurité ne peut pas fonctionner et la sécurité s’améliore dès que le social et l’économique s’améliorent. Tout est interdépendant. Il va falloir cheminer habilement dans cet équilibre instable pour se prémunir contre le moindre dérapage et le surmonter rapidement.
Quel rôle peut jouer la Banque Centrale dans cette stabilisation ?
Il lui appartient de garantir le fonctionnement du système financier à travers trois aspects fondamentaux. Tout d’abord, il faut que le système de paiement continue à bien fonctionner afin de couvrir toutes les transactions.
Ensuite, le système de crédit doit continuer à financer l’économie et enfin les paiements extérieurs doivent êtres assurés. En somme, il faut, en effet, maintenir le maximum de confiance auprès de tous les opérateurs, respectivement, tunisiens et étrangers et ce, tout en renforçant la crédibilité des institutions de paiement et de crédit.
Et les facteurs de risques ?
Ils sont essentiellement de deux ordres. Le premier est le nombre d’entreprises en difficulté qui ne cesse de croître et leur endettement de s’aggraver, ce qui pourrait les conduire à ne plus pouvoir honorer leurs engagements, ce qui plombera leurs banques et se répercutera directement sur celles-ci : point de ressources, point de crédits, point de paiements. Le deuxième, les paiements extérieurs qui pourraient êtres soumis à des difficultés du fait du tarissement de nos réserves de change. Mais, nous n’en sommes pas là, et tous les efforts sont déployés pour éviter ces risques.
A quand le bout du tunnel ?
La période critique sera l’automne. Neuf mois après le déclenchement de la révolution, nous serons en phase de décantation du processus politique. Nous pourrons, alors, nous assurer de la capacité de rétablissement de la sécurité et de reprise économique.
Si pendant les 4 prochains mois tout évolue dans le bon sens, on s’en sortira. A l’inverse, si nous tombons dans les dérapages, je commencerai à parler de situation grave. Les entreprises comme les familles auront épuisé leurs réserves (en plus pour les familles, l’effet de l’été, du Ramadan, de l’Aïd et de la rentrée scolaire), et seront confrontées à de graves difficultés.
Suite de l'article dans le mensuel Leaders (Doosier spécial et photos exclusives)
- Ecrire un commentaire
- Commenter
Analyse objective et surtout sincère de la réalité économique & financière du pays, qui contraste avec les discours mensongers des responsables BenAlistes. Je rejoins parfaitement Monsieur le Gouverneur dans son souci de ‘‘préservation des grands équilibres’’, notamment la problématique des paiements extérieurs. Avec le ralentissement des recettes (exportations, mais surtout les produits touristiques et les transferts des Tunisiens Résidents à l’Etranger), nous devrions surveiller et maîtriser nos dépenses, particulièrement nos importations de biens et services, dans la mesure où le paiement du service de la Dette Extérieur et le règlement des dividendes revenant aux IDE ne peuvent pas être faillis. Cependant, nous gagnerions à être vigilants dans l’évaluation du Plan de Développement Economique & Social (25 Milliards de dollars) et particulièrement dans la structuration de son financement, en priorisant les ‘’Fonds stables, Recettes fiscales & parafiscale, et Dettes internes’’ sur les ‘’Dettes extérieures et IDE on-shore’’ (consommateurs d’intérêts et dividendes en devises).
D’après M. Sinaoui : ''Le gouvernement tunisien de transition compte engager prochainement des concertations sur ce programme avec les forces politiques et sociales du pays''. C’est ainsi que Mr M.K. Nabli donne un aperçu sur la situation économique, affiche les enjeux que nous traversons, et dévoile les menaces que nous guettent. J’espère que les partis politiques puissent débattre de ces problèmes pour sensibiliser les tunisiens sur l’équilibre instable que le GT s’efforce de gérer. La Presse devrait être à la hauteur pour accompagner le travail colossal de nos technocrates. J’espère que Mr Nabli puisse nous parler des Dettes extérieures, et surtout du Plan de 25 Milliards de dollars.
faisons confiance au gouverneur de la banque centrale c'est un leader dans son domaine
bravo et gga bravo Mr KAMEL NABLI ,le mal aimé de ZABA,parcequ'il avait fai toujours une excellente analyse économique huste du pays sans falsification des chiffres,le lance un appel pourque cet universitaire économiste et compétent dans la matière,de se présenter comme candidat(indépendant)aussi bien pour la présidence de la république que pour l'ass.CONSTITuante
Quand le premier ministre avait dit de son gouvernement qu'il était le meilleur depuis l'indépendance je l'ai bien cru car j'y avais pensé moi même. Et j'ai pensé tout de suite à des hommes comme Mohamed Ennaceur ( mon Dieu qu'est ce qu'il a bavé avec les réfugiés les agitations sociales majeures etc.. ) Jelloul, Houas, et notre respectable Nabli et bien d'autres.Vrai que les quatre prochains mois sont décisifs Mais alors pourquoi vouloir perturber cette machine transitionnelle après le 23.Ce serait un gâchis. L'assemblée pourra certes contrôler le gouvernement mais pas nécessairement le chambarder surtout qu'elle sera appelé à fonctionner pour la durée qui lui est impartie( un an ) en toute quiétude et loin des contingences du court terme.