Mise à niveau du Comité Supérieur des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales (CSDHLF) de Tunisie.
La Tunisie a vécu comme vous le savez une révolution et vit actuellement une période transitoire afin d'instaurer une démocratie réelle.
Cette révolution a été déclenchée au nom de la dignité par les jeunes des régions déshéritées et s'est propagée dans tout le pays en utilisant un système unique dans son genre qu'est l’Internet, le virtuel. Ce qui me permet de conclure que notre révolution est une révolution digitale qui s'est déferlée sur le reste du monde arabe qui se plaint aussi des mêmes maux.
Les revendications au cours desquelles se sont mobilisés nos jeunes sont de deux ordres :
Politiques et économiques.
- Sur le plan politique : ils réclament la liberté au sens large du mot
- Sur le plan économique : les jeunes ne demandent que des emplois
Mais ils ont une troisième exigence qui a autant d'importance que les revendications politiques et économiques : c'est le recouvrement de leur dignité.
Pour concrétiser ces aspirations, le Comite Supérieur des droits de l'homme est appelé à jouer pleinement son rôle pour consacrer les acquis de la révolution.
Malheureusement sa situation actuelle est en de ça des exigences de la révolution, d'où la nécessité d'une opération de mise à niveau global.
I. Situation actuelle
Le Comite Supérieur des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales (CSDHLF), a été crée depuis 1991.
La création du CSDHLF a été marquée par un bon démarrage.
En effet le CSDHLF a été l'un des cofondateurs des Principes de Paris et le nom de la Tunisie est cité deux fois dans la Résolution 48/134 de I’ Assemblée Générale de I'ONU du 20 décembre 1993.
Malheureusement la naissance prometteuse du CSDHLF n'a pas connu l'évolution souhaitée à cause d'un certain nombre de facteurs.
Le cadre légal du CSDHLF présente des défaillances considérables
- Une quasi absence de l’indépendance à l’égard de l'autorité du Président de la république et de ses proches collaborateurs (conseillers,...).
- Une faible pluralité et diversité des membres du CSDHLF surtout au niveau des personnalités nationales et des associations concernées par les droits de l’Homme.
- Une quasi absence de l’indépendance dans la procédure de choix des membres du CSDHLF, de leur nomination, de leur démission ou révocation,...
- Absence de l’immunité des membres du CSDHLF
- Limitations des attributions et de la liberté d'action du CSDHLF
- Insuffisance du budget alloué au CSDHLF
- Insuffisance des ressources humaines
- Absence de l'indépendance au niveau du recrutement du personnel
- Insuffisance des moyens de travail (véhicules,...)
Ces déficiences ont entravé la réussite du CSDHLF dans l’accomplissement de ses missions à l’échelle nationale et internationale.
Cet échec est concrétisé par un manque de confiance à l’égard de cette institution auprès des citoyens et une discréditation internationale par le classement du CSDHLF au statut «B» octroyé par le Sous-comité.
Afin de pallier à ces défaillances, une opération de mise à niveau s'impose.
II. Processus actuel de mise à niveau du CSDHLF
Bien que la Tunisie, vit une situation transitoire qui doit déboucher sur une vraie démocratie, un climat de liberté règne actuellement
Un certain nombre de signes positifs ont été enregistrés en matière de liberté d'expression et d'association :
- Des mesures courageuses ont été prises telles que la proclamation d'une amnistie
- 85 associations exerçant dans le domaine des droits de l’homme qui étaient interdites ont été légalement autorisées
- 51 partis politiques ont été crées et autorisés reflètant une pluralité bien confirmée
- Des structures nationales de veille et de contrôle ont vu le jour :
Tel que :
- L’instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique
- La commission nationale d'investigation sur la corruption et la malversation
- La commission nationale d'investigation sur les abus enregistrés au cours de la révolution
- L'instance nationale indépendante pour la réforme du secteur de l’information et de la communication
- L'Instance Nationale indépendante des élections
Il y a lien de noter aussi :
- L’achèvement de l’adhésion de la Tunisie au système international des droits de l’homme par l’approbation d'un certain nombre de conventions et de protocoles facultatifs
On peut citer à cet égard :
- L'approbation de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées
- L'adhésion au protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques
- L'adhésion au statut de Rome de la cour pénale internationale
- L'adhésion au protocole facultatif se rapportant à la convention contre la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants
Un environnement national propice donc s'est instauré et s'est ajouté à une volonté solide et sincère des dirigeants du CSDHLF pour mettre à niveau cette institution à travers une réforme rigoureuse sur le plan légal, humain et logistique.
Pour ce faire, nous avons lancé une opération de consultation auprès des ONG concernées par les droits de l’homme, des personnalités nationales connues pour leurs larges connaissances et expériences en matière de droit de l’homme ainsi que des représentants du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme afin de s'initier par leurs avis, propositions, observations et recommandations,...
L'ouverture d'un bureau du Haut Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme traduit notre attachement aux buts et aux principes de la Charte des l’Organisation des Nations Unies et nous aidera à mieux faire face à nos engagements internationaux en matière des droits de l’homme et nous permettra à mieux dialoguer avec les organes de traités internationaux.
Ces efforts ont abouti à l’élaboration d'un projet de décret-loi relatif au cadre juridique du CSDHLF qui sera soumis pour approbation au Président par intérim dans les prochains jours.
Nous avons essayé d’éviter les défaillances des anciens textes régissant le CSDHLF.
Dans ce cadre, nous avons instauré le principe de l’immunité des membres, tout en interdisant les révocations abusives et en prolongeant leur mandat à cinq ans.
Les attributions de cette institution ont été également élargies pour qu'elles couvrent toutes les dispositions des Principes de Paris et la jurisprudence qui lui ont succédés depuis 1993.
C'est ainsi que ces attributions sont détaillées comme ce qui suit :
1) La possibilité de s'autosaisir- de sa propre initiative ou suite à la réception d'une requête-de toute question portant sur les cas de violation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
2) Emettre des avis sur des questions relatives aux droits de l’homme et aux libertés publiques soumises par le Président de la République, le gouvernement et les institutions constitutionnelles.
3) Soumettre au Président de la République, au gouvernement et aux institutions constitutionnelles les propositions susceptibles de consolider les droits de l’Homme et les libertés publiques sur le plan national et international y compris celles permettant d'assurer la conformité ou la compatibilité de la législation nationale et les pratiques aux instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’Homme, aux libertés publiques et au droit international humanitaire.
4) Procéder à l’encouragement du processus d'adhésion et de ratification par la Tunisie des conventions mondiales et régionales relatives aux droits de l’Homme et les libertés publiques.
5) Accomplir toute mission qui lui serait confiée dans ce domaine par le Président de la République, le gouvernement et les institutions constitutionnelles.
6) L’interaction avec les mécanismes nationaux des droits de l’Homme, des libertés publiques et du droit international humanitaire.
7) Recevoir les requêtes et les plaintes individuelles et collectives provenant des citoyens tunisiens et des étrangers se trouvant en Tunisie sur les violations concernant les questions ayant trait aux droits de l’Homme et aux libertés publiques.
En cas de violations flagrantes des droits de l’Homme et des libertés publiques, le comité supérieur des droits de l’Homme et des libertés fondamentales peut se constituer en partie civile auprès des tribunaux contre les auteurs de ces violations conformément à l’article 36 du Code de la procédure pénale.
8) Effectuer, sans préavis, des visites dans les établissements pénitentiaires et de rééducation, les centres de détention, les centres d'hébergement ou d'observation des enfants, les organismes sociaux chargés des personnes ayant des besoins spécifiques, et ce, en vue de s'assurer de l’application de la législation nationale relative aux droits de l’Homme et aux libertés publiques en conformité avec les conventions relatives aux droits de l’Homme ratifiées par la Tunisie.
9) Effectuer, sur mandat spécial du Président de la République ou sous sa propre initiative, des missions d'enquête et d'investigation portant sur des questions ayant trait aux violations des droits de l’Homme et des libertés publiques, et soumet les rapports y afférents au Président de la République avant leur publication.
10) Etablir des relations avec les organisations non gouvernementales, les associations et organismes actifs dans les domaines de protection et de consolidation des droits de l’Homme.
11) La réalisation de recherches et d'études dans le domaine des droits de l’Homme et des libertés publiques.
12) La contribution indépendante à la préparation des projets de rapports à présenter par la Tunisie aux organes et comités conventionnels des Nations Unies ainsi qu'aux organes et institutions mondiales et régionales et d'y émettre un avis.
13) Le suivi des observations et recommandations émanant des organes et comités des Nations Unies.
14) La contribution à la diffusion de la culture des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.
15) La contribution à l’élaboration des plans et programmes relatifs à l’éducation aux droits de l’Homme.
16) La consolidation et la promotion des acquis et réalisations de la Tunisie dans le domaine des droits de l’Homme et des libertés publiques.
17) Coopérer, dans les limites de ses attributions, avec les institutions compétentes des Nations Unies, les institutions régionales ainsi que les institutions nationales des droits de l’Homme dans les autres pays.
18) Coopérer avec le comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’Homme.
19) Participer aux réunions organisées par les institutions nationales ou internationales des droits de l’Homme.
En définitive, nous sommes en train d'œuvrer pour que notre institution nationale soit totalement indépendante dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière visant la promotion et la protection des droits de l’Homme, la consolidation de leurs valeurs, la diffusion de leur culture et la contribution à la garantie de leur exercice.
Une institution qui ne reçoit des instructions d'aucun pouvoir public pourra ainsi remplir pleinement sa mission.
Par ailleurs, notre travail sera focalisé aussi sur la nécessite pour le Gouvernement, d'introduire des réformes profondes en matière de justice, de sécurité ainsi que dans le domaine économique et la corruption.
- En matière de justice, la nécessité de la réforme de la justice est devenue une revendication sociale qui accompagne tout processus démocratique et qui vise un renforcement constant des acquis en matière des droits de l’homme et des libertés.
II faut veiller à ce que cette réforme puisse garantir et assurer le fonctionnement transparent de l’administration de la justice en tant que véritable recours et gardienne des libertés individuelles.
La révision du statut de la magistrature est un préalable en vue d'assurer son indépendance en consacrant expressément les principes de l’inamovibilité et de l’irrévocabilité des juges et consolider son immunité tout en séparant les juges du siège des membres du ministère public qui sont seulement subordonnés au ministre de la justice.
- II faut réviser aussi le code de procédure pénale pour harmoniser ses dispositions relatives à la détention préventive, la garde à vue, la présomption d'innocence et la responsabilité pénale avec les normes internationales.
- II faudrait aussi publier les conventions internationales ratifiées par la Tunisie et les intégrer dans le droit interne et organiser des séminaires de sensibilisation au profit des acteurs de la justice.
- La révision du code pénal s'impose aussi afin de sanctionner des magistrats auteurs des détentions abusives ou illégales à l’instar des sanctions qui s'appliquent aux responsables des centres de détention.
- II est souhaitable aussi dans ce contexte d'abolir la peine de mort dans notre société car tout le monde sait que dans l’ensemble les techniciens de la science criminelle sont de plus en plus portés, à contester, sinon la légitimité du principe, du moins l’efficacité ou l’opportunité de la peine capitale.
- L'argument des partisans de la peine de mort qui est l’intimidation et l’exemplarité est inexact.
Car la pratique actuelle de la peine de mort est de nature à priver cette sanction de toute valeur enseignante, ce qui est préférable de l’abolir en consacrant le principe de l’humanisme de la sanction au lieu de son exemplarité.
La machine judiciaire ne peut jamais fonctionner sans appui sécuritaire.
- En matière de sécurité, tout le monde est au courant de la défaillance dans ce domaine qui est dû essentiellement à sa déformation professionnelle pour ne pas dire autre chose.Afin d'assainir ce secteur il faut planifier une réorganisation des structures de la sécurité intérieure en s'inspirant des réglementations en vigueur dans les pays démocratiques et ce :
- En œuvrant de manière à assurer une rupture entière avec les mauvaises pratiques du passé :
- En punissant tous ceux qui ont fait subir des sévices à des citoyens.
- En limogeant toute personne impliquée dans le système, en se débarrassant des incorrigibles et en désignant d'autres en leur inculquant de nouvelles valeurs humaines.
Cette démarche qui a déjà commencé devrait être accompagnée par un recrutement d'un nombre important de nouveaux agents de manière à permettre de rétablir l’'ordre public tout en formant les nouveaux recrues dans une nouvelle optique qui respecte les droits de l’Homme dans leur globalité et tout en assurant le recyclage des agents déjà en exercice et en essayant parallèlement de revaloriser l’image de marque du policier auprès des citoyens.
En attendant, il faut travailler avec la police actuelle pour que la quiétude et la confiance se consolident et que règne un climat propice au débat démocratique et au démarrage économique.
- En matière économique, le secteur économique constitue la pierre angulaire dans la réussite démocratique.
Le changement du modèle ancien de développement qui a montré ses limites est une urgence et ceci par un autre modèle capable de stimuler un vrai partenariat de la Tunisie avec l’Union Européenne.
L'Europe a un intérêt immédiat au partenariat car notre potentiel du codéveloppement est considérable.
L'Europe et plus particulièrement la Suisse sont invités à appuyer une mobilisation internationale dans ce sens.
- Le peuple tunisien attend un partenariat plus fructueux.
II a montré, montre et montrera encore son ancrage dans la modernité en initiant la révolution au monde arabe et il vient de le redémontrer en inscrivant la parité Homme-Femme dans son code électoral.
L'Europe a pu renaitre de ses cendres à l’issue de la seconde guerre mondiale en grande partie grâce à l’aide américaine donnée massivement et sans conditions.
Si nous arrivons à s'imposer démocratiquement, nous aurons besoin d'un plan Marshall pas d'une aide liée ou conditionnée.
Cette approche économique nous permet :
- De bloquer l’émigration clandestine qui menace la sécurité et la stabilité de l’Europe.
De freiner l’islam radical et sa progression en créant une large classe moyenne solide, productive, instruite et ouverte qui appelle à l’amour et non à la haine, à la fédération et non à l’exclusion, qui appelle à la diversité, à la modernité et à la tolérance.
La Tunisie est un pays tolérant qui respecte la liberté du culte mais refuse le fanatisme.
II est du devoir de tout Tunisien comme celui de tous ceux qui aspirent à une Tunisie profondément républicaine de contrecarrer les extrémistes de tous bords.
En définitif, je tiens à remarquer que la réussite de ces réformes reste tributaire de la lutte contre la corruption.
- En matière de corruption, il est également fondamental que la corruption soit éradiquée du pays en instituant un système de contrôle rigoureux, transparent et en adoptant des peines dissuasives et exemplaires pour lutter efficacement contre ce fléau.
Car cette pratique a gangréné dans tous les ministères, dans toutes les administrations à des degrés différents comme partout dans les pays non démocratiques, et a constitué une réelle entrave au développement du pays. Une justice indépendante devrait garantir la cessation de ces pratiques pour qu'elles fassent partie des temps que les générations futures ne connaitront pas.
En guise de conclusion permettez-moi de souligner que la révolution tunisienne est bien partie, mais il faut absolument la traduire de les faits et lui éviter les déboires d'un retour en arrière.
C'est au peuple démocratiquement consulté de s'exprimer sur son avenir et de trouver des solutions.
II faut instaurer un régime démocratique, ou toutes les sensibilités politiques pourront s'exprimer.
L'entente entre les partis politiques, les composantes de la société civile est une nécessite et une priorité, si on ne veut pas que d'autres forces occultes profitant des dissensions réinstallent une nouvelle dictature.
Le politologue américain Robert Putman disait dans ce sens :
« La bonne gouvernance est la condition nécessaire d'une croissance économique saine et durable, créatrice de richesses et d'emplois et par conséquent source de progrès social et de prospérité pour les citoyens. Cette bonne gouvernance ne peut s'exercer dans un régime de dictature qui étouffe les libertés.
Elle ne peut être que dans un climat démocratiquement sain, ou la concurrence est loyale et le système judiciaire est indépendant et impartial, et dans un climat ou les libertés individuelles sont garanties, que l’économie peut prospérer ».
Farhat RAJHI
Président du CSDHLF
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Un programme vaste et ambitieux. Tous mes voeux de succès à M. RAJHI et son équipe en espérant que Dieu guide leurs pas vers la réalisation de ces objectifs dont dépend en grande partie l'avenir de notre nation. L'abolition de la peine de mort ne devrait plus être un sujet tabou. Il est temps d'aborder le sujet et de trancher définitivement.
MERCI MERCI SI FARHAT ET BONNE CONTINUATION Allah yonsrek
Je dois féliciter l'auteur de ce papier qui dénote une capacité intellectuelle extraordinaire et une culture abondante, qui offre une analyse autant globale que profonde de tous les domaines politiques, économiques, sociales et culturelles. Autrement dit, il trace en filigrane les perspectives d'une Société Moderne capable de relever tous les défis générés par la mondialisation et la globalisation. Le papier est élaboré par le Président d'un Comité, mais à mon humble avis, il est digne d'un Projet de Chef d'État, ou à la limite Chef de Gouvernement. Personnellement, je n'ai pas eu ni l'honneur ni l'avantage de rencontrer l'intéressé mais j'estime qu'il dispose de toutes les qualités morales, intellectuelles et professionnelles pour gérer un pays et j'espère que sa démission du Comité lui offre la latitude pour s'engager dans cette voie.