De la nécessité d'apprentissage de la démocratie.
La démocratie, voilà un mot magique, qui est aujourd’hui plus que jamais sur toutes les lèvres, dans toutes les conversations et au cœur de toutes les revendications. Les Tunisiens ont fièrement allumé la flamme démocratique et elle n’est pas près de s’éteindre. La démocratie, tous les Tunisiens en ont rêvé, ils la voulaient passionnellement. Paradoxalement les Tunisiens ne l’ont jamais connue qu’à travers les médias, les lectures ou les expériences d’autrui. Les Tunisiens ont été séduits par cette déesse et ses douces promesses de liberté, dignité et bien -être économique et social, à tel point qu’ils ont décidé de mourir pour elle et les criminels ennemis de la démocratie ne se sont pas privés de les tuer pour les empêcher d’y accéder.
Finalement il a suffi d’oser l’impensable : la révolution, une révolution noble et digne, pour que le rêve interdit devienne à portée de main. Mais voila, naturellement grisés par les effluves de la révolution, les Tunisiens se réveillent sur une réalité qu’ils n’avaient pas anticipée. Hier unis par le désir de démocratie, aujourd’hui divisés au nom même de cette démocratie. Mais en réalité, ils ne sont pas aussi divisés qu’on veuille bien le croire. Leur division est même naturelle. Elle n’est en fait que l’expression de l’apprentissage de la démocratie. On ne peut pas s'attendre à ce que d'emblée on puisse bien gérer une situation complexe et méconnue. La première leçon importante qu’on est en train d’apprendre de ce processus, c’est que la démocratie se conjugue au pluriel.
En fait, il n’y a pas une démocratie mais des démocraties. Le concept a bien évolué et pour cause, le monde a beaucoup évolué depuis que les Grecs nous ont gratifiés du concept de "Demos" "Kratos" ou souveraineté du peuple, formulé par Abraham Lincoln comme «le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple». Les Tunisiens commencent à se rendre compte que chacun a sa propre vision de la démocratie et qu’en campant sur ses positions chacun ne fait que défendre son rêve et la façon de le réaliser. Ainsi et dans un chaos post -révolutionnaire, des camps ont commencé à se développer spontanément autour de différentes visions et les oppositions ont commencé à voir le jour [Kobba versus Kasbah] et un débat maladroit a quand même vu le jour parfois émaillé de violence et surtout de crises aigues de « Dégagite ». Ce débat a été bien relayé par la toile et beaucoup moins bien par les médias hésitants et non préparés à gérer ce raz de marée de liberté. Rappelons que la " Dégagite" est une forme d'action [une manifestation verbale] inventée en Janvier 2011 par les révolutionnaires Tunisiens et qui complète les autres formes d'actions pour exprimer des demandes précises ayant généralement attrait a des personnes ou des comportements liés a la dictature. Dans sa forme modérée ,cette manifestation est l'expression d'un profond désaccord e.g. Le désaccord avec les manières frustes du nouvel ambassadeur de France en Tunisie, alors que dans sa forme aiguë elle traduit un refus catégorique et une obligation de résultat immédiat, e.g. refus du dictateur et refus des premiers gouvernements de transition mis en place. Cette forme d'action a même été adoptée par les révolutionnaires Egyptiens.
Ceci indique que l’apprentissage de la démocratie est bel et bien partie et même sur les chapeaux de roue, mais dans la douleur et pour cause. La révolution Tunisienne était spontanée et non encadrée, il ne pouvait en être autrement. Par ailleurs préoccupé par la chasse à la dictature et par l’extraction de toutes les racines du mal, personne n’a encore vraiment pris le temps de se demander mais en fait, c’est quoi exactement la démocratie et maintenant qu’elle est la comment vais-je faire pour l’exercer? La seconde leçon qu'on a appris de cette phase c’est qu’on ne s’improvise pas démocrate, on le devient par l’apprentissage et l’exercice. Et une chose est sûre, c’est que dans ce domaine il n’y a pas de gens plus doués que d’autres. La révolution Tunisienne a montré que l’aristocratie appartient au passé même si a elle résisté en essayant à un moment de s’accaparer la révolution mais tomba rapidement victime de la «dégagite ».
Que peut-on alors faire pour éviter la douleur de l’apprentissage de la démocratie. Le défi des Tunisiens étant d'arriver à sortir de la kleptocratie népotique qu'ils ont vécue pendant des décennies et construire la démocratie qui leur convient. On pourrait peut-être adopter la stratégie suivante pourvu qu’elle passe l’examen de la démocratie:
Une stratégie en 8 points pour l’apprentissage de la démocratie :
1-Laisser notre fameux ego de tunisien au vestiaire et admettre collégialement qu’en matière de démocratie, on est des néophytes. J’ose croire et espérer qu’il devrait être facile de se persuader qu’on ne peut pas être expert en une chose dont on n’a aucune expérience. La démocratie nous a été déniée à tel point que des voix se sont élevées pour dire que ce corpus philosophique et politique qu’est la démocratie n’est pas bon pour nous autres Arabes.
Donc en réussissant cet apprentissage, on peut d’abord faire taire ces voix grotesques et surtout faire de notre rêve de transition vers une société démocratique, une réalité.
2-Partir des acquis qui ont fait l’union des Tunisiens et ont permis d’entreprendre cette belle et enviable révolution. En l’occurrence la mémoire collective de la souffrance pendant plusieurs décennies de dictature, le formidable esprit de solidarité des Tunisiens, de l’histoire tunisienne pleine de défis hautement relevés ainsi que du refus catégorique des formes archaïques de pouvoir tels la monarchie, l’aristocratie , l'oligarchie, la théocratie et toutes les autres formes de régimes totalitaires. Fort de ces acquis, on doit s’engager irréversiblement dans l’apprentissage et la construction de la démocratie et appliquer de ce fait le paradigme « Apprendre en Réalisant » [Learning by Doing] qui a prouvé son efficacité par ailleurs.
3- S’organiser en formations politiques [ne pas perdre de vue que la démocratie est un régime politique]. L’idée n’est pas d’avoir une pléthore de partis politiques mais d’établir le dialogue pour créer des consensus et essayer de créer les ententes les plus larges possibles. Pour formuler des idées on a besoin d’un auditoire organisé et le meilleur moyen d’avoir une chance de faire progresser ses idées, c’est de former ou de rejoindre une organisation politique qui serait la plus à même de véhiculer ces idées. Il est impératif d’éviter les ruptures avec les autres formations.
4- Comprendre les fondamentaux de la démocratie qui sont : la souveraineté de l’état, la liberté de l’individu et le respect absolu des droits de l’homme, l'indépendance de la justice et la séparation des trois types de pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) , la règle de la majorité, la consultation régulière du peuple par le moyen d’élection et de référendum et la pluralité des partis politiques.
5- Inscrire la gestion du pays dans le cadre rigoureux d’une "constitution" et d'une juridiction associée, idéalement un vrai tribunal constitutionnel. Toutes les institutions auront de ce fait l'obligation de privilégier la réflexion le dialogue et surtout la justice.
6-Etre vigilant et se prémunir contre les antidémocrates de toutes tendances qui tout en se prévalant de cette démocratie n’ont d’autre objectif que de la confisquer et ceci en veillant à ne pas dénier la démocratie à quiconque.
7-Intégrer l’apprentissage de la démocratie dans le système éducatif en faisant de l’école une institution démocratique. A ce propos l’éducation à la citoyenneté démocratique dans les écoles et dans toutes les institutions est un exercice de micro démocratie qui ne peut que développer les compétences démocratiques grâce auxquelles la démocratie non seulement pérennisera mais évoluera sainement dans le temps et l’espace. De nouveaux paradigmes démocratiques innovants et mieux adaptés aux réalités tunisiennes pourront ainsi émerger naturellement.
En 2003, le secrétariat du Conseil de l’Europe a lancé une initiative pour promouvoir l’apprentissage actif de la démocratie dans les écoles européenne. Un projet similaire pourrait être envisagé en Tunisie et l'ONU/UNESCO pourraient être sollicités pour aider à son implémentation.
8- Intégrer toutes les composantes de la dimension humaine dans l'élaboration du processus démocratique et les coupler avec le développement des sciences et des technologies. A ce propos, comprendre et admettre que la diversité de la démocratie est à la l’image du polymorphisme biologique de l’homme pourrait aider à pacifier le débat non seulement au niveau national mais même régional et international.
La pluralité de la démocratie et la diversité biologique de l'homme
L’idée qui prévaut dans les milieux sociaux et qui émane d'observations à une macro échelle, est que l'être humain n’est pas par nature prédestiné à être démocrate ou non démocrate. Il n'y a pas de personnes qui deviennent automatiquement de bons citoyens et d'autres non. La démocratie peut et doit s’apprendre. Ceci est corroboré par les études génétiques qui ont démontré que des jumeaux vrais, qui partagent un pool de gènes quasiment identique, élevés dans des milieux socio-culturels différent, ayant reçu des éducations différentes et évoluent de façon significativement différente au niveau comportemental. Le cas des jumeaux est un cas particulier et rare d'identité génétique alors que la règle d'or dans la biologie de l'homme est la diversité. Cette règle de polymorphisme i.e. plusieurs variantes d'un même trait, est partagée avec le concept de démocratie qui est aussi polymorphe. On dénombre aujourd'hui plusieurs formes de démocratie tels : Démocratie antique, Démocratie athénienne, Démocratie directe, Démocratie semi directe, Démocratie libérale, Démocratie participative, Démocratie représentative, Démocratie chrétienne jusqu'à la forme la plus récente, la Cyberdémocratie. Ceci témoigne donc du fait que le concept de démocratie évolue à partir d'une base immuable ce qui est aussi une caractéristique fondamentale de la biologie de l'homme et en particulier sa génétique.
Ainsi, si on accepte sans rechigner la diversité biologique de l'homme, diversité qui a été établi par la recherche et l'apprentissage, émane d'un socle génétique commun et immuable, réalisant par la même occasion la richesse de ce concept, on devrait donc par l'apprentissage de la démocratie, arriver à bien s'imprégner de son socle commun et à se familiariser avec ses différentes variantes et par conséquent apprendre à les respecter. Ainsi faisant, on pourra réussir la transition démocratique sans douleur et dans les meilleurs délais.
Il n'ya pas si longtemps, en matière de démocratie, les Tunisiens étaient comme ces apprentis soldats qui jouaient à la guerre virtuelle devant leur consoles vidéos et leur simulateurs. Aujourd'hui la donne a changé on est passé en mode réel alors il faut apprendre les vrais règles du jeu pour le maitriser.
Prof. Med-Dahmani Fathallah
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Bravo Dahmani, en plus de ton talent en biologie je découvre ton talent en politique. Vous l'avez bien mentionné, il faut admettre la diversité biologique, on est pas fait de la même manière chacun à des chromosomes différents par conséquent on ne voit pas les choses de la même manière mais le plus grave on ne raisonne pas tous de la même façon. Il y a forcément des extrémistes qui viennent te gacher la leçon d'apprentissage. Que Faire face à eux ???
Bravo pour l'analyse scientifique de la démocratie si Dahmani, la notre "cyber démocratie" est le nouveau né , qui a besoin de bcp de soins : Docteurs, infirmières, nurses et des parents pour l'entourer jusqu'à maturité.
J’ADHÈRE ENTIÈREMENT AVEC VOTRE ANALYSE...MERCI
Je trouve cet article absolument remarquable et il mériterait d'être largement diffusé. J'y ajouterai simplement un tout petit paragraphe sur la nécessité en démocratie de contre-pouvoirs: association, syndicat, presse libre mais cela était d'ailleurs sous entendu dans lidée des droits de l'homme. J'adhéré aussi totalement sur le rôle des partis politiques qui doivent se regrouper pour éviter un trop large et inutile émiettement et doivent faire la pédagogie de la démocratie. Ils ont un rôle historique à jouer.