News - 02.09.2025

Ridha Bergaoui: Le quinoa, une culture très ancienne et un aliment santé contemporain et d’avenir

Ridha Bergaoui: Le quinoa, une culture très ancienne et un aliment santé contemporain et d’avenir

Face aux effets catastrophiques grandissants du dérèglement climatique, l’agriculture tunisienne est appelée à se réinventer. La raréfaction de l’eau, la sécheresse, la hausse des températures et la fréquence accrue des stress abiotiques obligent à explorer des espèces végétales capables de résister à ces contraintes. Parallèlement, les consommateurs cherchent de plus en plus des aliments nutritifs, diversifiés et bénéfiques pour la santé, souvent qualifiés de « superaliments ». Dans cette double dynamique, le quinoa apparaît comme une plante parfaite, déjà fort appréciée dans de nombreuses régions du monde.

Le quinoa, une plante qui nous vient de très loin

Le quinoa (Chenopodium quinoa Willd.) est une plante herbacée annuelle, cultivée pour ses graines, apparentée à l’épinard et à la betterave. C’est une « pseudo-céréale » qui ne fait pas partie des céréales, comme le blé ou l’orge, mais qui se prête bien aux mêmes usages alimentaires. On l’appelait « blé des Incas ». Il a été domestiqué il y a plus de 7 000 ans dans les hauts plateaux andins (région Pérou-Bolivie) et a été une culture fondamentale pour les sociétés Andines.

Hommage à Ahmed Marouani, un grand passionné du quinoa 

Sans exagérer, il est possible d’affirmer que l’introduction du quinoa en Tunisie est en grande partie l’œuvre de Ahmed Marouani, qui vient malheureusement de nous quitter tout récemment. Marouani a consacré toute sa vie professionnelle à l’enseignement et la recherche à l’Ecole supérieure d’agriculture du Kef en tant que spécialiste des céréales. Passionné de la recherche, il s’est beaucoup investi ces dernières années dans la vulgarisation et le développement de la culture du quinoa. Il n’a cessé de faire connaitre les avantages de la culture et des graines auprès des agriculteurs pour les inciter à adopter cette plante, en raison de ses multiples avantages. Il a mené en parallèle de nombreux travaux de recherche et a installé de parcelles expérimentales dans différentes régions de la Tunisie afin de tester le comportement de différentes variétés de quinoa et leur adaptation aux différentes conditions locales et régionales, dans le but de conseiller les agriculteurs dans le choix des variétés les plus adaptés, les plus productives et les plus résistantes aux bioagresseurs. De nombreux travaux ont été également menés pour définir les itinéraires techniques les plus adéquats (dates de semis, dose de semis, fertilisation…).

Sincères condoléances à la famille et prions pour que Dieu puisse lui accorder sa miséricorde et l’accueille dans son immense paradis اللهم ارحمه واغفر له واجعله من اهل الجنة واسكنه فسيح جناتك

Le quinoa n'a pas retenu l'attention des conquérants espagnols (comme le haricot, la pomme de terre ou le maïs) à cause de la teneur en saponines de l'enveloppe de ses graines ainsi que du fait que sa farine n'est pas panifiable, en raison de l'absence de gluten dans sa composition. Sa diffusion hors des Andes est relativement récente et a commencé lentement au XVIIIe–XIXe siècle avant de s’accélérer à partir des années 1970 et surtout depuis les années 2000, du fait de la découverte de ses intérêts nutritionnels et agronomiques. Il a connu une forte augmentation des surfaces et des volumes exportés ces dernières années en raison du boom de la tendance « superfood ». En Amérique du Nord, au Japon et en Europe, les filières d'alimentation diététique « bio » et du « commerce équitable » font la promotion du quinoa.

Le quinoa est aujourd’hui cultivé ou testé dans de nombreuses régions hors Amérique du Sud (Europe, États-Unis, Canada, Afrique de l’Est, Inde et certains pays méditerranéens). Sa culture a été introduite dans plus de cent vingt pays mais demeure particulièrement importante surtout dans son aire d’origine. La production mondiale annuelle est d’environ 170 milles tonnes, dominée largement par le Pérou et la Bolivie et un peu l’Equateur.

Le quinoa, une plante rustique, peu exigeante

Le quinoa est une plante tolérante à la sécheresse, adapté aux régions à climat semi-aride et arides. Adapté également aux sols pauvres et salins et aux températures extrêmes (de 4 à 35 °C). On compte dans le monde plus de 2000 variétés différentes selon la couleur, la forme et le gout des graines.

Son cycle végétatif est court (90–150 jours selon la variété et la saison de culture). Elle peut atteindre 1 à 2 m de hauteur. Sa culture est facile et nécessite peu d’interventions. Un labour superficiel suivi d’un nivellement du terrain pour éviter stagnation et un désherbage préalable pour éliminer les mauvaises herbes. Le semis peut se faire, selon les régions bioclimatiques, soit en automne (Octobre-novembre) soit au printemps (février-mars). Le semis se fait de préférence en lignes espacées de 40-50 cm et la dose de semis seulement de 4-6 kg/ha s’agissant de petites graines (le poids de mille graines allant de 1,3 à 3,5 g en fonction de la variété). L’entretien de la culture consiste en un désherbage, surtout aux stades jeunes, des irrigations complémentaires, si possible surtout durant les périodes critiques (levée, montaison, floraison). Le quinoa nécessite très peu d’eau toutefois des irrigations complémentaires permettent d’améliorer sensiblement les rendements de la culture. Le quinoa valorise bien la fertilisation aussi bien organique que minérale. C’est une plante rustique qui a peu d’ennemis et nécessite peu ou pas de traitements phytosanitaires. L’inflorescence est composée de grosses grappes de fleurs appelées panicules avec de très nombreuses petites fleurs. Les graines ont la forme de petites sphères aplaties de 2 à 3 mm de diamètre de 1 à 2 mm d'épaisseur. Elles peuvent être blanches, rosées, orange, rouges, marron ou noires en fonction de la variété. La récolte se fait lorsque les panicules sont jaunes et les graines dures. Elle peut être mécanique ou manuelle. Dans ce dernier cas on coupe les panicules, suivi du battage et du stockage des graines. Le rendement peut aller de 800-1200 kg/ha (soit 150 fois la quantité semée). En irrigué et en conditions favorables, le rendement peut dépasser les 2 tonnes/ha.

Un aliment santé très précieux

C’est la composition du quinoa qui est à l’origine de son succès récent et qui a justifié l’intérêt particulier accordé par les nutritionnistes et diététiciens à cette fantastique petite graine que les Incas appelaient « graine mère » ou « mère de toutes les graines ».

En effet, le quinoa se distingue par sa richesse et la qualité de ses protéines riches en acides aminés essentiels surtout en lysine (dont la teneur dans les céréales est très faible). Il est naturellement dépourvu de gluten et convient parfaitement aux personnes cœliaques ou sensibles au gluten. Il peut représenter dans ce cas un excellent substitut aux céréales traditionnelles. Son index glycémique est bas, comparé aux farines blanches des céréales raffinées, et convient aux personnes souffrant de diabète du type 2. Le quinoa est riche en graisses insaturés. Sa richesse en fibres et son taux élevé de protéines donnent chez le consommateur une sensation de satiété tout en régulant le transit digestif. Il est riche en minéraux (Mg, K, Ca et fer facilement disponible) et permet de lutter contre les diverses carences et l’anémie. Le quinoa est également riche en composés bioactifs (flavonoïdes et antioxydants) qui peuvent contribuer à réduire le stress oxydatif.Quoiqu’il existe des variétés douces, la plupart des variétés de quinoa contiennent cependant, à des degrés divers, des saponines, déposées en une fine couche superficielle sur les graines, et qui donnent un gout amer au quinoa.  Il est nécessaire et facile d’éliminer cette couche de saponines soit par rinçage des graines dans l’eau soit par abrasion mécanique.

Le quinoa est recommandé aux personnes anémiques surtout les femmes enceintes, aux intolérants et sensibles au gluten, aux personnes souffrant de problèmes digestifs ainsi qu’aux sportifs en raison de son excellent apport nutritif. Il convient, d’une façon générale, parfaitement à tous ceux qui se soucient de leur bon état de santé et de leur poids corporel.  

Le quinoa, un aliment polyvalent

Le quinoa est un aliment polyvalent qui s’adapte facilement à toutes les cuisines, tout en améliorant notre équilibre nutritionnel. Il peut être consommé saler, sucré, chaud ou froid. En Équateur, Pérou, Bolivie, Venezuela, et en Colombie, le quinoa est un aliment de base, de consommation régulière et quotidienne, qui remplace les céréales et les féculents. On en fait même de la bière traditionnelle alcoolisée.

Avant d’utiliser le quinoa, il faut bien le rincer pour enlever les saponines puis le cuire dans de l’eau durant 15 mn environ. Le quinoa a une texture légère, moelleuse et un peu croquante. Il est alors possible de l’utiliser de différentes façons (en remplacement du riz ou de la semoule), en salade ou comme garniture avec des légumes sautés, du poisson ou de la viande. On peut également en ajouter aux soupes pour les enrichir en protéines et leur donner de la consistance. Le quinoa se consomme aussi en graines germées fraiches et pleines de nutriments.En boulangerie-pâtisserie, la farine de quinoa (mélangée à d’autres farines) est utilisée pour faire du pain, des galettes, des crêpes, des gâteaux ou des biscuits. Le quinoa apporte un goût agréable surtout de noisette. Dans certains commerces on peut trouver du quinoa soufflé comme céréales du matin, et même du lait de quinoa pour végétariens.

Certaines différences existent entre les différents types de quinoa (blanc, rouge ou noir). Elles résident principalement dans leur texture, leur goût et leur durée de cuisson. Les valeurs nutritionnelles sont globalement similaires. Toutes les variétés sont d'excellentes sources de protéines complètes, de fibres et de minéraux, mais le quinoa noir est plus riche en fibres. Le choix dépendra également de l'usage culinaire désiré. Le quinoa blanc est le plus courant et le plus utilisé. Il possède une texture tendre et un goût doux, délicat et neutre. Il cuit rapidement et a une texture légère, bien aérée après cuisson. Idéal pour ceux qui cherchent une base neutre dans leurs plats, ou en remplacement du riz. Le quinoa rouge est recherché pour sa tenue en cuisson et son goût plus marqué, et le noir pour son croquant et sa saveur intense. Les mélanges de couleurs offrent un bon compromis combinant les avantages de chaque variété pour des plats plus colorés et texturés.

Le quinoa en Tunisie

En Tunisie, une consommation de quinoa existe, basée sur l’importation d’un petit volume d’une trentaine de tonnes environ/an. Le prix au détail varie en fonction de l’emballage, de l’origine (Pérou/Bolivie), label (bio), circuits (magasins santé, e-commerce, épiceries). Le prix tourne autour de 8-10 dinars pour un sachet de 250 grammes.

L’introduction de la culture du quinoa en Tunisie est très récente et date d’une dizaine d’années seulement. Des essais ont été lancés, aussi bien par des organismes publics que privés, dans de nombreuses régions (Sidi Bouzid, Sidi-Thabet, Bizerte, Sahel, Médenine, Gafsa…) surtout en rapport avec l’impact du changement climatique et la durabilité des systèmes agricoles comme alternative à la culture des céréales classiques dans les zones marginales. Les données confirment le bon comportement du quinoa en conditions semi-arides et/ou sous salinité avec un rendement allant de 1 à 2 tonnes/ha.

Le quinoa est connu pour sa remarquable tolérance à la sécheresse, aux sols salins et peu fertiles ce qui en fait une culture particulièrement intéressante dans les zones marginales soumises à l’aridité et à la dégradation des terres. Le développement de cette culture se justifie amplement du fait que la Tunisie est touchée de plein fouet par le réchauffement climatique et la sécheresse. Par ailleurs, les graines sont complétement dépourvues de gluten et conviennent parfaitement aux personnes souffrant de la maladie cœliaque ou intolérantes au gluten en remplacement des céréales classiques comme le blé dur et tendre. C’est également un aliment complet, très riche en nutriment particulièrement en protéines bien équilibrés et en fer qui convient à tous. La demande « santé/bien-être, sans gluten, végétal » progresse, et le marché semble en croissance notamment le bio. Le développement de la culture du quinoa permettrait, dans une première étape, de substituer une partie des importations par une offre locale mieux adaptée aux gouts et au besoin des consommateurs. Envisager plus tard l’exportation, la demande étant en forte croissance dans les pays voisins.

Le quinoa peut être adapté facilement à nos habitudes alimentaires et, moyennant quelques adaptations et recherches, peut servir pour la préparation du pain et du couscous sans gluten. On peut en faire du Taboulé de quinoa (mets originaire du Proche-Orient, à base dans ce cas de quinoa, mêlé d'un fin hachis de tomates, persil, oignons et feuilles de menthe fraîche, assaisonné d'huile d'olive et de citron) ou de la soupe enrichie au quinoa. En dessert on peut l’utiliser à la place du riz pour faire de la « mhalbia ».

Dans un contexte de réchauffement climatique, où les surfaces consacrées aux céréales (blé et orge) ne cessent de se rétrécir, le développement de la culture du quinoa dans des zones marginales du semi-arides et arides, les terres salées, permet de complémenter nos récoltes de céréales et de réduire nos importations de blé.

La culture du quinoa se développe dans de nombreux pays. Tout près de chez nous, le Maroc et l’Egypte disposent de programmes ambitieux de culture et de production du quinoa afin de réduire leurs importations en blé. L’Egypte, en développant la culture du quinoa, compte sur une adoption de cet aliment par les consommateurs et une utilisation courante du quinoa pour la confection du pain quotidien et l’utilisation de la farine dans diverses recettes. Au Maroc, dans le village d’Agoudim, la culture est rentable et si développée que les femmes y font le couscous et le pain à base de quinoa.

Conclusion

Pour son intérêt nutritionnel et diététique (richesse en protéines, en fer et absence de gluten), le quinoa trouve facilement sa place sur le marché national. Sa culture permettrait de se passer de l’importation et viser même l’exportation.  Le quinoa peut également être adopté à grande échelle et substituer en partie le blé, ce qui permet de réduire nos importations en céréales, alléger notre dépendance alimentaire et jouer ainsi un rôle stratégique important dans la souveraineté alimentaire du pays. Il serait nécessaire dans ce cas de définir une stratégie complète qui permettrait d’une part de développer sa production et d’autre part l’introduire dans les habitudes de consommation. Des recherches, complétées par des analyses économiques, devraient être poursuivies et lancées pour définir les variétés à adopter, les itinéraires techniques adéquats et les conditions de rentabilité de sa culture.

Ridha Bergaoui


 

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