Riadh Zghal: Les enjeux de la gouvernance des municipalités

En l’absence de conseil municipal élu, la gestion municipale se transforme en pure administration: ni stratégie fondée sur une veille sur les besoins et les priorités de la communauté, ni débat sur les questions émergentes de la vie économique et sociale de manière à concevoir des solutions idoines et des plans de développement, ni écoute des citoyens, toutes catégories confondues, ni décrets municipaux pour conduire les activités selon des objectifs stratégiques à réaliser.
Toutefois, une gestion administrative municipale fixée uniquement sur l’application des lois ne garantit nullement l’immunité contre la corruption.
Une bonne gestion municipale ne peut se passer d’un conseil municipal qui en fixe l’orientation stratégique. C’est à ce propos que s’introduit la dimension politique. Dotée d’une administration et d’un conseil municipal élu, la gestion municipale obéit à une triple logique:
• Une logique politique des organes élus
• Une logique d’administration publique soumise à une tutelle centrale (ministère de l’Intérieur dans le cas de la Tunisie)
• Une logique de management d’une organisation tenue de générer des ressources pour l’autofinancement de ses activités et donc d’un usage de l’apport des sciences de gestion, toutes disciplines confondues.
Aux exigences d’efficacité dans la réalisation des objectifs stratégiques de la ville et d’efficience dans l’exploitation optimale des moyens disponibles, s’ajoute celle de la conformité aux règles de l’administration publique, par beaucoup centralisée, en plus des jeux politiques en présence. En conséquence, l’enjeu devient l’assurance d’une harmonie entre diverses rationalités : celle du politique, celle de la conformité aux règles et des directives du ministère de tutelle et celle de la rationalité managériale.
Les conseils municipaux élus sont supposés être une émanation représentative des forces vives de la commune. Ils sont donc concernés par l’enjeu démocratique et supposés faire prévaloir l’intérêt collectif du plus grand nombre. Mais la crise de citoyenneté, «citoyens critiques», la diversité croissante des populations des villes nourrie par l’exode rural et une urbanisation croissante et, en milieu rural, l’héritage de structures sociales plus ou moins marquées par des résidus de conflictualités entre groupes, tout cela entraîne davantage de complexité de la gestion municipale. A cela s’ajoutent les déséquilibres des rapports de force entre catégories sociales et entre partis politiques. En conséquence cela implique un risque de fausser le jeu de la représentativité et de favoriser la gestion «opportuniste» au profit d’individus, de partis ou de certaines catégories sociales au détriment des autres.
Le management des affaires municipales au quotidien dépend de deux centres de décision: celui des managers (secrétaire général, chefs de service) et celui des élus (conseil municipal, bureau municipal, commissions sectorielles).
Le corps des managers et des employés de la municipalité est censé être l’organe exécutif qui met en application les décisions prises par le conseil municipal. Il tire son pouvoir d’une asymétrie de l’information dans la mesure où il en est le détenteur et en partie l’auteur. Ce sont ces cadres et employés qui fournissent les données aux élus du conseil municipal. L’on sait que la livraison de l’information peut être sélective et servir d’instrument utilisé pour peser sur les décisions.
Lorsque la prise de décision se réalise dans un contexte de complexité et de «multirationalités», il demeure pour les divers acteurs une marge de liberté d’agir selon leurs stratégies propres . C’est pourquoi la question de la gouvernance des villes se pose avec acuité vu la multiplicité des enjeux. En effet, les villes sont des lieux de concentration des richesses et aussi d’exclusion, de pauvreté, de criminalité et de dégradation de l’environnement. A cela s’ajoutent les turbulences générées par la révolution et l’instabilité politique.
Des nombreux dysfonctionnements découle une remise en question de la légitimité du pouvoir central, de la légalité-rationalité des dispositifs réglementaires, de l’autorité des dirigeants et des partis politiques. Cela appelle une remise en question des dispositifs habituels de la régulation politique et crée la demande pour une légitimation sociale démocratique : concertation des diverses parties prenantes, partenariat, mutualisation des ressources… L’efficacité et l’efficience des politiques de la ville ne seront plus tributaires de la seule conformité aux règles mais dépendent davantage du comment faire de la politique de la ville un moyen de réaliser les vastes objectifs du vivre-ensemble.
La question se transforme alors en une affaire de valeurs : quelles valeurs mettre en avant pour générer les consensus quant à la stratégie, aux priorités et politiques à mettre en œuvre ? Comment passer d’une situation où domine la divergence des intérêts à un mode de fonctionnement orienté par une logique gagnant-gagnant ?
La situation que l’on vit aujourd’hui est inédite, il va donc falloir imaginer de nouvelles solutions. Cela invite à reconsidérer les approches de la gestion municipale, innover dans les politiques de manière à intégrer la demande de légitimité des décisions et de la formation de consensus pour un mieux-être citoyen durable. Ce que l’on peut souhaiter aujourd’hui, alors qu’un nouveau texte régissant les élections municipales à venir est en préparation, que cette problématique soit considérée par le législateur.
Riadh Zghal
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