Sidi Bou Said sur la liste UNESCO du patrimoine mondial: Tout un avenir du village à envisager

Par Khadija Touhami - Le projet d’inscription de Sidi Bou Saïd au patrimoine mondial a enchanté tout le monde. C’est vrai que la décision était prise dans la foulée d’un glissement qui menace la stabilité de la colline sur laquelle est situé le village, mais elle reste toujours une opportunité précieuse pour la sauvegarde du site.
Tous les sites proposés à l’inscription au patrimoine mondial sont soumis obligatoirement à un processus et à un ensemble de critères ordonnés par l’UNESCO, et requièrent l’engagement de nombreuses parties prenantes (citoyens, associations, collectifs, institutions…).
Le processus d’inscription est une suite d’étapes contraintes par des délais stricts. Le dossier de Sidi Bou Saïd a été tout d’abord inscrit sur la liste indicative (Avril 2024), qui est un inventaire dressé par l’Etat répertoriant ses sites naturels et culturels potentiellement éligibles à l’inscription au patrimoine mondial. Après sa rédaction, qui doit être effectuée selon un format précis et par une équipe d’experts (historiens, cartographes, urbanistes, conservateurs du patrimoine, architectes, juristes, photographes, informaticiens, documentalistes, sociologues, géologues…), le dossier de Sidi Bou Saïd a été déposé le 28 janvier 2025 au Centre du Patrimoine Mondial.
Si la complétude du dossier est approuvée par le Centre, il sera transféré à l’ICOMOS (Conseil International des Monuments et des Sites) l’organisation consultative chargée de l’évaluation des dossiers d’inscription, et qui est tenu d’envoyer son rapport d'évaluation au Comité Intergouvernemental du Patrimoine Mondial pour la décision finale.
Le Comité se réunit une fois par an, pour décider quels sites seront inscrits sur la liste du patrimoine mondial. La prochaine session du comité sera tenue entre le 6-16 juillet 2025 en Bulgarie. Il est prévu que le dossier de Sidi Bou Saïd sera soumis à la décision du Comité pendant la session de 2026.
Ce processus d’inscription doit répondre à un ensemble de critères sélectifs, auxquels le dossier de Sidi Bou Saïd a été soumis. Premièrement, il faut définir précisément la zone proposée à l'inscription. Dans le cas de Sidi Bou Saïd, il a été décidé que seulement le centre historique du village avec une zone tampon environnante soient l’ensemble urbain proposé à l’inscription. Deuxièmement, le dossier doit introduire une déclaration de la valeur universelle exceptionnelle, expriment les attributs du site qui doivent être analysés et documentés pour apporter la preuve que le centre historique peut être considéré comme ayant une valeur universelle exceptionnelle conforme à des conditions d’intégrité et d’authenticité, et par conséquence il peut être inscrit sur la liste du patrimoine mondial. De plus le site doit répondre à au moins un des dix critères référentiels établis par l’UNESCO. Enfin il faut que le site soit impérativement doté d’un plan de gestion et de protection qui sera sous le contrôle continu de l'UNESCO.
Il est évident que l’inscription de Sidi Bou Saïd sur la liste du patrimoine mondial ne s’arrête pas au dépôt du dossier au Centre du Patrimoine Mondial, qui est une étape administrative nécessaire, mais pas suffisante. L’évaluation du dossier d’inscription est l’étape essentielle et décisive, puisque l’expert mandaté par l’ICOMOS pour rédiger son rapport d’évaluation est tenu de prospecter le terrain, pour saisir l’identité du site telle qu’exprimée dans la déclaration de sa valeur universelle exceptionnelle, et détecter les mesures appliquées pour sa protection et sa gestion.
Pour préparer Sidi Bou Saïd à cette visite inopinée et convaincre l’évaluateur que le site proposé à l’inscription est réellement «un hub d’inspiration culturelle et spirituelle en Méditerranée» comme le suggère le titre du dossier, un travail profond et intense ainsi qu’une mobilisation active et efficace doivent être entamés par les parties prenantes. Elles doivent élaborer un plan de gestion adapté à l’environnement culturel et naturel de Sidi Bou Saïd, pour assurer la pérennité de sa valeur universelle exceptionnelle ainsi que ses conditions d’intégrité et d’authenticité, conformément aux directives de l'UNESCO.
Le plan de gestion de Sidi Bou Saïd doit instaurer des actions de protection. En effet, il doit promouvoir des recherches scientifiques pour documenter les caractéristiques du site, mettre en place des systèmes de suivi pour évaluer son état de conservation, imposer des restrictions juridiques pour le protéger, et créer une structure de gestion dotée de ressources adéquates pour assurer la protection de la zone proposée à l’inscription. La participation active des résidents locaux dans la prise de décision et la gestion du site doit être favorisée pour assurer une approche inclusive et durable. De plus, des initiatives de sensibilisation doivent être mises en place pour les habitants, les visiteurs et les parties prenantes.
Pour éviter que le centre historique proposé à l’inscription ne soit submergé par des mesures de protection excessives et potentiellement étouffantes, il est essentiel de doter le plan de gestion d’une approche holistique qui touchera tout le village, ce qui permettra d'assurer une complémentarité harmonieuse entre tous les quartiers du village, au bénéfice du périmètre proposé pour l'inscription et de sa zone tampon.
Dans ce contexte, il est important de souligner que lors de la Conférence Générale de l'UNESCO en 2011, il a été recommandé aux États membres de promouvoir et d'adopter le concept de «paysage urbain historique». Ce concept est défini comme «le territoire urbain résultant d'une stratification historique de valeurs et d'attributs culturels et naturels», dépassant ainsi les notions traditionnelles de «centre historique» ou «ensemble historique» pour inclure un cadre urbain plus vaste ainsi que son environnement géographique. Cette définition pourrait être aisément appliquée à l'ensemble du village de Sidi Bou Saïd.
A court terme, les parties engagées pour l’inscription de Sidi Bou Saïd doivent appréhender la correction de certaines défaillances qui peuvent éventuellement compromettre le rapport d’évaluation de l’ICOMOS. Nous citons entre autres : la congestion routière, les flux touristiques incontrôlés, l’esthétique du site et de ses monuments historiques, ainsi que la concentration commerciale qui est entrain de menacer l’intégrité et l’authenticité du centre historique. Elles doivent aussi raviver l’esprit des lieux artistique et spirituel par des manifestations étudiées et qui expriment réellement la valeur universelle exceptionnelle de Sidi Bou Saïd.
Il est évident que l'inscription de Sidi Bou Saïd sur la liste du patrimoine mondial ne doit pas être vue seulement comme un titre honorifique accordé par l'UNESCO. Il s'agit surtout de mettre en avant les acquis découlant de cette reconnaissance, notamment le plan de gestion, qui mérite d'être célébré et valorisé.
Khadija Touhami
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