News - 12.01.2025

Abdelaziz Kacem - L’index de l’Oncle Sam I: Le dieu dollar

Abdelaziz Kacem - L’index de l’Oncle Sam I: Le dieu dollar

Quand la défaite est cuisante, dit le proverbe chinois, il faut s’asseoir au bord de la route et digérer le désastre. L’effondrement de la Syrie, dernier bastion de la résistance, doit nous amener impérativement à nous poser les bonnes questions, pour trouver les réponses les plus salutaires. Nous y reviendrons dans un prochain article, mais d’ores et déjà, nous devons reconnaître que le combat sous la bannière de la religion est sans issue. Oui le sionisme est talmudique, c’est au nom de la Tora qu’il tue nos frères en Palestine, au Liban et en Syrie. Mais opposer Allah à Élohim est à la limite un blasphème à l’encontre du premier, puisque les troupes qui s’en réclament, toujours, en retard d’une guerre, sont condamnées à l’échec. Ils n’ont aucun secours à attendre ni de leurs invocations ni de leurs imprécations.

Au seuil de ce triste Nouvel an, j’ose espérer que les Arabes reprendront leur Nahda, leur Renaissance, essentiellement laïque, là où ils l’avaient laissée.

Pour commencer, il faut que la résistance arabo-palestinienne sache une fois pour toutes qu’elle a pour principal ennemi le néo-conservatisme américain. Netanyahu n’est qu’un arsouille, le gourdin dont il se sert pour garder la main sur les richesses de la région. 

Toutefois, pour éviter tout amalgame, saluons la générosité légendaire du peuple américain, qui, hélas, n’a quasiment aucun contrôle sur la politique étrangère de son gouvernement. En revanche, force est pour nous de rendre un vibrant hommage à sa jeunesse universitaire. Celle des années soixante du siècle dernier, qui s’est farouchement opposée à la guerre génocidaire du Viêt-Nam, et celle qui, aujourd’hui encore, fait front contre l’engagement direct de Joe Biden dans la guerre d’extermination du peuple palestinien.Ladite administration a pour sobriquet l’Oncle Sam, un personnage emblématique créé pendant la guerre anglo-américaine de 1812-1815. Dans les années 1830, l’illustration lui donne les traits du 7e président américain, Andrew Jackson (1829-1837). Ce dernier est peut-être le dirigeant américain le plus odieux de son époque, En 2006, le Federal Reserve System (la Banque centrale des États-Unis) émet un billet de 20 USD au recto duquel figure son portrait, en hommage à sa brillante carrière d’exterminateur des Indiens. Il était chef milicien et ses bandes armées se sont distinguées par leur extrême cruauté à l’égard des peuples amérindiens. À l’issue de chaque massacre, il faisait le bilan de ses victimes en comptant le nombre de nez coupés. Sa campagne électorale était axée sur son seul mérite de «meilleur tueur d’Indiens». À la Maison Blanche, son portrait est présent dans le bureau Ovale depuis  Donald Trump, qui le prend pour mascotte.

Mais l’image de l’Oncle Sam ne se précise qu’en 1916, l’Amérique se préparant à entrer en guerre, dans une affiche, célèbre depuis lors, le présentant sous les traits d’un homme blanc, d’âge mûr et au regard farouche. Il porte un nœud papillon rouge et se coiffe d’un haut-de-forme étoilé aux couleurs des États-Unis. Belliciste et impérieux, il pointe le doigt vers vous avec une injonction : «I Want You for the U.S. Army» (J’ai besoin de vous pour l’armée des États-Unis). Pour un non-Américain, l’accoutrement est clownesque, mais le doigt est menaçant, accusateur, il vous met à l’index. Cette affiche est réutilisée en prémisse du réengagement américain dans la Seconde Guerre mondiale.

Le 7 septembre 1961, l’Oncle Sam est solennellement reconnu par le Sénat comme «l'incarnation des États-Unis».

Nul ne saurait parler de l’Amérique mieux qu’un Américain, et si, pour ceux qui veulent avoir un aperçu de la création du Nouveau Monde, il ne fallait lire qu’un seul livre, je recommanderais celui de l’historien et politologue Howard Zinn (1922-2010), Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours . Le lecteur y saura, entre autres, que «les gouvernements américains [ont] signé plus de quatre cents traités avec les Amérindiens et les [ont] tous violés, sans exception» (p. 592). Mais les traités, somme toute, ne sont que des chiffons. Le plus important à signaler, c’est l’extermination méthodique des Peaux-Rouges, au motif que ces «sauvages» occupent des terres fertiles, qui conviendraient mieux aux «civilisés».Par-delà la défroque, l’Oncle Sam est une mentalité, une posture, un comportement, une arrogance. C’est aussi une profession de foi qui relève plus du fétichisme que de la religion, proprement dite : «In God we trust» (En Dieu, nous croyons). En 1956, le Congrès américain en fait une devise nationale et, en 1957, elle figurera sur toutes les monnaies et les billets de banque. Les banques gouvernent le monde. Ce qui suit est édifiant.

Au Musée des lettres et manuscrits de Paris, à l’occasion du centenaire de la Guerre 14-18, a eu lieu, du 9 avril au 31 août 2014, une exposition intitulée «Entre les lignes et les tranchées». Parmi les documents qui y sont présentés, le n° 1761 de la revue Annales, en date du 28 mars 1917. Le journaliste Camille Ferri-Pisani, son envoyé spécial aux USA, y publie l’interview «de l’un des hommes les plus influents des USA, un grand banquier qui ne souhaite pas que son nom soit cité». Loin des motivations morales et idéalistes, il explique le véritable mobile de l’entrée de son pays en guerre. Sa première phrase est digne d’être placée parmi les meilleures assertions du XXe siècle : «Lorsqu'un peuple est sur le point de se sentir trop riche, une guerre est nécessaire pour l'arracher à la tentation du bonheur.»

En bon argentier, il poursuit : «Les idées abstraites ne sont pas mon fait. Je ne connais que les chiffres. J'ignore La Fayette. J'ignore si l'Allemagne attaqua la première. De l'histoire, je ne retiens que la statistique. Je sais une chose, c'est que la Grande Guerre a quintuplé le chiffre de nos affaires, décuplé nos bénéfices et tout ce trafic magnifique, nous l'avons opéré avec les Alliés. Nous nous sommes enrichis en vous procurant du coton, de la laine, de la viande, de l'acier, des obus, du blé, du cuir, des souliers, des mitrailleuses, des chevaux, des automobiles, des produits chimiques. […] Tout ce qu'on pouvait vous vendre, nous vous l'avons vendu. Vous nous avez payé partie en or. Notre stock or dépasse aujourd'hui le stock or de tous les Alliés réunis. Mais vous nous avez payé aussi avec du papier. Or vos traites ne vaudront que ce que vaudra votre victoire. Il faut que vous soyez victorieux à tout prix pour faire face à vos engagements.»Le banquier poursuit son rigoureux raisonnement, qui nécessite une belle explication de texte : «Il vous faudra reconstruire tout ce qui fut détruit. Cet argent que nous avons gagné sur vous, nous vous le prêterons pour relever vos villes, pour rebâtir vos fabriques, pour créer à nouveau votre existence économique. Un beau champ s'offre là pour nos placements futurs. Mais ce champ ne sera profitable que si vous triomphez avant l'épuisement complet. Voilà pourquoi nous voulons votre victoire rapide. […] Nous voulons la guerre ne serait-ce que pour protéger la flotte marchande anglaise dont la moitié du capital est yankee. Nous vous aiderons plus encore que vous ne pensez. Nous enverrons des volontaires, nous voterons le service militaire obligatoire, nous augmenterons encore notre production en obus, en canons, nous prendrons part s'il le faut, à la lutte continentale. Tous nos citoyens marcheront. […] Vous comprenez maintenant pourquoi la guerre est inévitable ? Les luttes entre peuples ? Mais c’est le seul moyen que nous avons de régler de trop lourdes différences en banque ! La Grande Guerre ? Guerre des tarifs, la nécessité d’un traité douanier avantageux, l’espoir d’une expansion économique nouvelle ! Plus encore que le Kaiser, ce sont les banques de Berlin qui ont voulu la guerre !»

No comment ! Le prochain article : À l’index de l’Oncle Sam II : La guerre est un racket.

Abdelaziz Kacem



 

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