Tunisie: Acheter en ligne, est-ce garanti?
Le téléphone sonne: c’est le livreur qui s’annonce pour vous remettre votre commande. Vous avez hâte de lui ouvrir la porte, le payer (souvent en cash), désemballer votre paquet et vérifier son contenu. Est-ce bien conforme à ce que vous avez acheté en ligne? En êtes-vous satisfait? Mais, en cas de mauvaise surprise, que faire? Refuser de le recevoir? Quel recours en cas de réclamation? Et de quelles garanties bénéficiez-vous? Voyage au cœur de l’achat en ligne qui se développe très rapidement, en Tunisie aussi. L’effet du Covid, la multiplication des facilitations, l’attractivité des offres et la puissance du marketing digital changent nos modes d’achat et de consommation.
Qu’il s’agisse de commander un repas, des produits alimentaires, des articles électroniques ou électroménagers et autres, ou de s’acheter des vêtements, des chaussures et de multiples autres objets, il vous suffira d’un clic sur votre smartphone. Les Tunisiens sont de plus en plus nombreux à s’y mettre par centaines de milliers ! Certaines grandes plateformes enregistrent des millions de ventes.
Près de 2 milliards de dinars…
La taille réelle du marché est difficile à cerner, surtout avec la multiplication des pages sur les réseaux sociaux. Les estimations les plus prudentes avancent un montant total annuel entre 1.5 et 2 milliards de dinars. La plus grande partie se fait dans l’informel et en cash. «En fait, le commerce parallèle et informel s’est converti sur internet, explique à Leaders un connaisseur du dossier. Certains se contentent de se mettre d’accord avec un fournisseur opérant dans l’informel, pour promouvoir des produits sur internet à des prix se voulant attractifs, avec des spots vidéo et une mise en avant très poussés, mentionnant juste un numéro de téléphone à appeler. Une fois que le client appelle, sa commande est enregistrée, puis transférée au fournisseur qui se chargera de la faire livrer, d’encaisser l’argent et de ristourner une commission sur les ventes. D’autres se constituent leurs propres stocks et agissent en direct, appuyés par un réseau de livraison…»Seules de grandes plateformes disposent de dépôts centraux, avec des dépôts-relais dans de grandes régions, où sont livrés des produits en rotation rapide et exigeant une livraison sous 24 à 48 heures. Tout y est sélectionné: les marques, les produits, les prix, les revendeurs, et même les livreurs. Le droit de rétractation, sous 10 jours, est respecté, et les réclamations sont suivies attentivement. Mais, ce n’est pas le cas général dans cette jungle que sont devenus les réseaux sociaux.
Un grand boom
Le baromètre du e-commerce réalisé par MDWEB révèle dans sa dernière vague que près de trois quarts des internautes tunisiens ont procédé à un achat en ligne. Si dans ces achats figurent le règlement de factures (Steg, Sonede, etc.), la recharge des cartes téléphoniques et autres, ce sont le textile-habillement et de nombreux autres produits aussi, ainsi que les repas, qui sont de plus en plus fréquents.
«La valeur moyenne des achats est de 156,4 Dinars par mois», indique Walid Kooli, enseignant universitaire, expert accompagnateur en commerce électronique, en charge du baromètre. «La moitié des acheteurs dépensent moins de 93,1 Dinars pour leurs achats par mois, ajoute-t-il. Les canaux les plus utilisés pour les achats en ligne sont les sites web des commerçants (76,5%) et les réseaux sociaux (38%). Le téléphone et le PC sont les deux dispositifs les plus utilisés par les acheteurs en ligne (72,2% et 71%).»
Les indicateurs de la Banque centrale de Tunisie quant aux paiements au cours du premier semestre 2023 sont instructifs. Le nombre de cartes bancaires s’élève à 6.7 millions, et celui des distributeurs / guichets automatiques bancaires est de 3 140 unités. Le nombre de sites marchands actifs est de 1102. Quant aux terminaux de paiement électronique, ils demeurent en faible croissance, n’atteignant qu’un peu plus de 34 600. Près de la moitié n’est pas activée, ou très peu utilisée, explique à Leaders un spécialiste du dossier. Des commerçants réticents estiment que le coût d’achat, avoisinant les 1 000 D, est élevé, tout comme le taux de commission ponctionné…
Le grand boom de l’achat en ligne bénéficie de l’expansion de l’internet et de la téléphonie mobile. Le taux d’utilisation de l’internet est de 73.3% et celui de la téléphonie mobile 126%. Pour une population de 12 millions d’habitants, la Tunisie compte près de 16 millions de puces téléphoniques mobiles actives, et plus de 8 millions d’internautes… La présence des Tunisiens sur les réseaux sociaux est estimée à 7.625 millions sur Facebook, 5.280 millions sur Messenger et 2.850 millions sur Instagram. La croissance des achats en ligne est très rapide.
A la livraison et en cash
Le paiement se fait essentiellement à la livraison, affirment à Leaders différentes sources, allant jusqu’à 92% des achats. Et en cash. Très rarement par chèque bancaire. Cette attitude du consommateur traduit un manque de confiance, en dehors généralement des repas, et la crainte d’une mauvaise surprise à la réception de la commande. Parfois, la déception est grande à l’arrivée du colis : produit cassé, dans un état détérioré, non conforme à la photo et aux caractéristiques, de mauvaise qualité et autres…Le grand problème est cependant l’absence de traçabilité juridique du commerçant. Si pour les plateformes de qualité et de confiance, cette traçabilité documentée est de rigueur, sur de nombreux autres sites et pages sur les réseaux sociaux, l’opacité est totale. Le plus souvent, le colis vous est remis sans bon de livraison en bonne et due forme, ni facture (ni certificat de garantie pour les produits concernés). Juste une feuille de papier mentionnant votre nom, votre adresse et votre commande. Vous pouvez refuser immédiatement la réception du colis et vous abstenir de payer le montant requis. Ou dans certains cas le prendre, mais à l’usage immédiat si vous vous rendez compte de la défectuosité, vous pouvez alors retourner sur le site ou la page où vous avez effectué l’achat et essayer d’introduire votre réclamation. En fait, vous avez peu de chance d’y parvenir. Si certains commerçants vous prêtent attention et s’engagent à changer le produit ou le reprendre, d’autres se montrent réticents.
Que faire alors ?
«La Tunisie dispose d’une loi qui organise le commerce électronique, promulguée en 2000 (loi 83-2000 sur les échanges et le commerce électronique», indique à Leaders Khabbab Hadhri, directeur du développement du commerce électronique et de l'économie immatérielle au ministère du Commerce et du Développement des exportations. Elle instaure les règles régissant la relation entre le commerçant et le consommateur dans ce monde virtuel, à savoir l’obligation de publier les informations de l’identité du commerçant, l’affichage des prix et la transparence des transactions. Cette loi donne au consommateur le droit de se rétracter dans 10 jours à compter de la date de réception de la commande. En son article 30, elle stipule : «Sous réserve des dispositions de l'article 25 de la présente loi, le consommateur peut se rétracter dans un délai de 10 jours ouvrables, courants: - à compter de la date de leur réception par le consommateur, pour les marchandises, - à compter de la date de conclusion du contrat, pour les services.»«La direction de la qualité et de la protection des consommateurs ainsi que les 24 directions régionales du commerce sont habilitées à recevoir les réclamations des consommateurs ayant subi des arnaques commerciales en ligne. Le consommateur est invité à fournir toutes les pièces justificatives (bon de livraison, identité du commerçant...) facilitant la tâche pour les agents de contrôle économique à effectuer les investigations nécessaires».
La procédure risque d’être longue et difficile à aboutir. Le cyberconsommateur doit être vigilant.
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