News - 31.07.2023

Tunisie : Des boulangeries agréées et des boulangeries-pâtisseries pour le bonheur du citoyen (Album photos)

Des boulangeries agréées et des boulangeries-pâtisseries pour le bonheur du citoyen

Par Ridha Bergaoui - En Tunisie, le pain représente la base de notre alimentation, c’est une denrée plus qu’indispensable. Il faut en acheter quotidiennement et parfois plusieurs fois par jour. La Tunisie produit presque 7 millions de pain par jour (certains disent 10 millions). Ceci représente près de 7 millions de farine de blé tendre /an. Le Tunisien consomme relativement beaucoup de pain, sa consommation moyenne serait d’environ 64 kg de pain/habitant/an alors que dans les pays de l’Union Européenne, par exemple, la consommation de pain tourne autour de 45 kg seulement.

Boulangeries agréés et non agréées

En Tunisie, le secteur de la boulangerie comprend près de 5000 établissements. On distingue environ 3500 boulangeries qui reçoivent de la farine subventionnée du type PS, fabriquent et commercialisent du gros pain. Ce sont les boulangeries du type A (probablement entre 1300 et 1500 boulangeries) qui confectionnent uniquement le pain de 400 g, vendu à 250 millimes et destiné à l’usage strictement familial. Il y a également les boulangeries C (au nombre de 1600 à 1800) qui vendent de la baguette, de 55cm de longueur et pesant 220 g, à 200 millimes. Ces boulangeries sont autorisées à fabriquer, à côté de la baguette, d’autres types de pains à partir de la farine PS-7. Il y a quelques années, il y avait aussi les boulangeries du type B qui fabriquaient à la fois du gros pain et de la baguette. Cette catégorie a été abrogée en raison probablement des difficultés de contrôle du devenir de la farine.

Afin de maintenir le prix du pain à un niveau si bas, malgré l’inflation et la hausse des prix des intrants, de l’énergie et de la matière première, le pain est une denrée fortement subventionné. A part le prix très bas de cession de la farine aux boulangeries agréées, l’Etat est également amenée à leur verser des allocations, en rapport avec la quantité de farine traitée, pour la couverture des frais de fabrication du pain. Le retard dans le versement de cette indemnité a mis en difficulté à plusieurs reprises les boulangers.

Depuis 2011, certaines pâtisseries se sont mises à fabriquer du pain à partir de la farine non subventionnées.  Alors que l’arrête du 22 juin 2016, relatif à la production, l’exposition et la vente du pain parle de points chauds, l’arrêté du 13 novembre 2020 (qui abroge l’arrêté précédent) distingue les boulangeries agréées, autorisées à s’approvisionner en farine PS des minoteries pour la fabrication du pain subventionné, et les Etablissements non agréés qui produisent le pain spécial à partir de produits autres que la farine PS.

Les établissements non agréés doivent se limiter à produire un pain (différent de la baguette courante) ne dépassant pas le poids de 150 g et d’une longueur de 20 cm ou d’un diamètre de 23 cm en utilisant la farine PS-7 et autre types de farines spéciales. Il est, par ailleurs, interdit à ces établissements de porter la dénomination « boulangerie » sur les façades de leurs magasins.

Ces établissements sont actuellement au nombre de 1500 environ et vendent toute une gamme de pains spéciaux (pain dit de céréales, pain complet, pain de semoule, de seigle etc.) dont le prix varie de 250 millimes (pour le pain blanc de 150g) à 1800 millimes et plus. Enfin, ils doivent s’approvisionner uniquement des minoteries et reçoivent un quota limité de farine PS-7 et de semoule (respectivement 6 et 4 tonnes/an) à des prix certes plus élevés que les boulangeries agréées mais toujours subventionnés (à 60-70 dinars le quintal alors que les prix hors subvention dépassent les 200 dinars le quintal). Il faut souligner que ces établissements ont été toujours contre l’application de l’arrêté du 13 novembre 2020 et ont organisé de nombreux mouvements de contestation pour demander l’abrogation de l’arrêté sus-indiqué ainsi qu’une augmentation du quota en farine et semoule.

Enfin, les boulangeries agrées sont affiliés à la Chambre nationale des boulangeries (relevant de l’Utica) alors que les boulangeries non agréées sont représentées au sein de la Conect par le Groupement professionnel des Boulangeries Modernes.

La crise du secteur de la boulangerie

En Tunisie, depuis quelque temps le pain se fait rare et le Tunisien peine à s’en procurer facilement ou au prix officiel. Chacun a son idée pour expliquer les raisons de cette crise. Il y a ceux qui pensent que c’est une crise voulue par le pouvoir pour limiter la consommation du pain du Tunisien qui en gaspille de grande quantité. D’autres croient que c’est une forme déguisée pour lever la subvention sur le pain et habituer le consommateur à payer son pain plus cher. Certains expliquent que l’Etat n’a pas de liquidités pour importer le blé et approvisionner correctement les boulangeries en farine et que la guerre en Ukraine, la sécheresse et la mauvaise récolte de céréales ont aggravé la crise. Il y a également ceux qui disent que c’est la saison touristique et le retour de nos compatriotes qui ont entrainé une augmentation sensible de la consommation et un manque de pain surtout dans les régions touristiques. Il y a enfin ceux qui suggèrent que ce sont les boulangeries non agréées qui sont à l’origine de la crise et qu’ils cherchent la levée des subventions sur le pain afin d’alimenter des tensions sociales.

Par ailleurs, à part le trafic de la farine subventionnée PS et son usage en dehors de la fabrication du pain subventionné, la situation du secteur de la boulangerie est confuse, avec des boulangeries agréées et d’autres qu’on ne veut pas appeler boulangeries alors qu’ils fabriquent et commercialisent du pain. Le consommateur ne connaissant pas la différence entre les deux catégories, qui fabriquent tous deux du pain, s’étonne que le poids de la baguette soit passé de 220 à 150 g dans certains magasins et du prix qui est passé de 200 à 250 ou même 300 millimes. A chaque fois il incrimine les boulangers malhonnêtes qui sont à l’origine de ces dépassements et l’Etat qui laisse faire. Le citoyen est perdu entre boulangeries agréées et boulangeries modernes, il ne comprend pas pourquoi ces deux catégories soient toujours en conflit, en état de guerre permanente et se jettent constamment publiquement les accusations. Ce qui l’intéresse c’est trouver du pain à tout moment et au prix officiel. A chaque fois à l’annonce d’une grève des uns et des autres, il se trouve angoissé et doit soit peiner et perdre du temps pour trouver du pain ou se résigner à le payer beaucoup plus cher.

Une possible réorganisation du secteur de la boulangerie

Partout dans le monde, les boulangeries cohabitent et se partagent le créneau avec des boulangeries-pâtisseries. Chacun a ses spécificités, son offre en produits et services et ses clients. Il faut souligner que dans les pays de l’Union Européenne, on compte 1 boulangerie pour 1800 habitants. Pour atteindre ce taux, il faut avoir de 6500 à 7000 établissements alors que la Tunisie compte actuellement moins de 5000 boulangeries. Le marché n’est donc pas saturé et il y a encore de la place pour tous. 

La présence des établissements de pains spéciaux est une richesse pour le pays. C’est un signe de modernité, de tolérance et d’ouverture. Des qualités importantes surtout que notre pays est à vocation touristique et a été toujours ouvert aux différentes civilisations et cultures.  Cela permet également de répondre au besoin de chacun en fonction de ses gouts, de sa culture et de ses convenances en offrant une gamme variée de pains qui répondent aux différents besoins des consommateurs. A côté de l’aspect nutritionnel, ou santé (pain complet pour soigner des problèmes de transit ou pain sans gluten pour les problèmes de maladie cœliaque ou intolérance au gluten), le pain doit répondre à de nombreux critères de qualité tant par son aspect visuel que pour ses qualités organoleptiques. Les connaisseurs et fins gourmets savent qu’il y a un accord des mets et du pain et qu’un pain se marie mieux avec un met plutôt qu’un autre. De nombreuses personnes aiment le bon pain et sont prêts à payer leur pain favori plus cher qu’un pain courant. Il ne s’agit nullement d’un pain pour les pauvres et un autre pour les riches, un pauvre peut acheter du pain spécial, s’il en a envie ou besoin, et un riche peut également acheter des baguettes subventionnées.

Indépendamment de la crise actuelle, il est nécessaire de revoir l’organisation du secteur de la fabrication et de la commercialisation du pain en tenant compte des orientations politiques socio-économiques de l’Etat et de certaines contraintes techniques et pratiques La politique de l’Etat est de préserver le pouvoir d’achat du citoyen, de garder les subventions particulièrement sur le pain et de maintenir les prix actuels.

Dans le cadre d’une restructuration du secteur de la boulangerie, il est possible de concevoir un secteur comprenant des boulangeries agréées qui se spécialisent dans la fabrication et la commercialisation du pain courant, à partir de la farine PS subventionnée, avec d’une part le gros pain de 400 g et la baguette classique de 220 g. Et les boulangeries-pâtisseries spécialisées dans les pains spéciaux et qui offrent aux citoyens d’autres produits comme les sandwichs, confiseries, chocolats, des boissons diverses et des jus ainsi qu’un coin pour pouvoir déguster à l’aise de la bonne pâtisserie.

Lees boulangeries-pâtisseries doivent indiquer clairement sur la façade de leurs magasins qu’il s’agit d’une boulangerie-pâtisserie afin de ne pas induire en erreur le consommateur. Celui-ci en pénétrant dans ces magasins sait qu’il va trouver du pain spécial et non de la baguette courante subventionnée. Ces établissements doivent s’approvisionner en farine pâtissière et spéciales, semoules et autres composants sur le marché libre. Ces produits ne seront pas subventionnés puisque les prix des gâteaux et pains spéciaux sont libres. Ces établissements doivent faire un effort pour attirer le consommateur et justifier l’écart de prix avec le pain subventionné.

Les hôtels et les collectivités sont généralement équipés pour préparer leurs pâtisseries, ils doivent également être capables de confectionner le pain dont ils ont besoin à partir de la farine non subventionnée. Ceci va pousser ces collectivités à limiter l’usage et le gaspillage du pain.

La formation du personnel de la boulangerie est un facteur primordial pour produire un pain de qualité. D’énormes possibilités existent et la boulangerie est un secteur très vaste où le savoir-faire et la créativité de l’artisan-boulanger n’a pas de limite. Un bon boulanger est capable d’innover et d’inventer de nouveaux produits en jouant sur les formes, le grammage, les types d’ingrédients et additifs ainsi que les techniques utilisées.

En Tunisie, comme de nombreux autres secteurs, celui de la boulangerie est resté un peu archaïque et peine à se développer et à s’épanouir. De nombreux progrès restent à faire tant au niveau de l’organisation qu’au niveau la fabrication et la commercialisation.

L’information, l’éducation et a sensibilisation du consommateur sont importantes. Le pain est un produit précieux, noble et délicat qui ne supporte pas être tripoté par plusieurs mains qui peuvent véhiculer la saleté, des contaminants et des microbes et ne mérite pas de finir dans les poubelles.

Ridha Bergaoui
 

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