News - 05.07.2023

L’hospitalité en question: Faut-il ouvrir sa porte et à qui?

Mohamed Habib Salamouna: L’hospitalité en question: Faut-il ouvrir sa porte et à qui?

Par Mohamed Habib Salamouna - Entre l’impératif moral qui impose de recevoir l’étranger et le réalisme politique qui restreint son accueil, que reste-t-il du droit sacré d’asile et d’hospitalité?

Nul ne peut nier que la réflexion sur le rôle et la place de l’hospitalité dans notre culture morale et politique doit être ravivée. Mais il n’est pas souhaitable de ne pas tomber dans le travers le plus courant : prôner l’hospitalité en la métamorphosant en une valeur simplement «évidente», destinée au marché si gourmand et fluctuant du moralisme. Sur ce marché, mille sentencieux personnages utilisent les valeurs comme des paroles magiques. Ils croient que leurs affirmations recèlent immédiatement le pouvoir de régler les problèmes. Nul ne conteste qu’il faille accéder à un monde plus clément ; mais pour ce faire, suffit-il de proclamations bienveillantes?

A l’heure où les contrôles aux frontières sont problématiques, les nouvelles morales  promues jusque dans les journaux ne cessent de condamner l’inhospitalité, le refoulement de l’autre. Chacun insiste sur la relation nécessaire aux autres, sur la question du lien entre les hommes, et c’est tant mieux ! Mais ces partis pris suffisent-ils à conjurer la malédiction de l’altérité ? En vérité, il faut croire que de nombreux obstacles s’opposent encore à l’accueil de celui qui est exilé loin de sa demeure. Même si chacun accepte que les amis et les proches passent le seuil de sa demeure, il faut convenir que l’hospitalité reste globalement soumise à des inquiétudes: qui es-tu? D’où viens-tu ? Que veux-tu ? Accepterions-nous d’ailleurs, sous prétexte d’hospitalité, d’ouvrir la porte à un « n’importe qui », à un tortionnaire en exil ? Il le faudrait pourtant : car participer à la haine de l’autre, c’est être haineux soi-même. Or, il n’est pas bon d’ajouter la haine à la haine ; et puis, l’accueillir, c’est tenter de l’aider à changer, s’opposer à sa cruauté en lui parlant (de ses actes notamment).

Sans doute, nous n’avons pas à accueillir un tortionnaire chaque jour. La question générale demeure, toutefois. Qu’est-ce qui rend l’étranger redoutable au point qu’on se refuse à l’accueillir? Qu’est-ce qui fait que nous refusons parfois la proximité de quelqu’un ? Une chose est sûre : depuis que l’homme se déplace d’un village à un autre, d’un continent à un autre, depuis qu’il migre et change de lieu, le problème de l’hospitalité est posé. Quelques soient les raisons de son déplacement __pression de la nécessité, déportation, exil, espoir d’une vie meilleure, pèlerinage, tourisme ou simple curiosité__ l’homme ne cesse de se faire visiteur chez les autres alors qu’il est sans abri. Il ne cesse de passer sous des lois qui lui sont inconnues. Dans quelle mesure ces lois lui font-elle une place?

Jacques Derrida, dans un livre éclairant, répond de manière ferme à cette question. Qu’on ne se méprenne pas sur cette référence. Réputé difficile, voire obscur, le philosophe s’est évertué dans ce travail sur l’hospitalité à être clair. Pour peu que l’on accepte de se consacrer au problème, on fera de cette lecture un bon usage.

En ces années où se discutent de nombreux projets de lois portant sur l’immigration(3), le risque est grand de ne jamais prendre assez de soin pour cerner les notions mises en jeu par l’hospitalité. La question ne se pose-t-elle pas juste au moment où quelqu’un passe le seuil de la maison, est invité à s’asseoir et à prendre gîte ? C’est alors que l’on doit s’efforcer vraiment d’être humain, de trouver des actes générateurs de communauté de langage et de vie.

Mais pour discuter cette question avec pertinence, il faut éviter trois naïvetés. D’une part, on n’a pas toujours bien vu la difficulté de concilier le principe philosophique de l’hospitalité, inconditionnel (donner la main à chacun), et les lois de l’hospitalité qui circonscrivent des limites de réception de l’autre (ne passe pas le seuil que celui qui remplit certains critères). D’autre part, il faut saisir dans l’hospitalité un modèle de vie, le modèle de réception conjugal, dans lequel le père de famille qui reçoit répond simultanément de la demeure, de son identité et de son espace. Enfin, pour comprendre l’énigme de l’inhospitalité, il faut explorer les craintes de l’hôte, l’imaginaire du danger. Plus sa position est faible, plus il se sent menacé dans sa situation par l’arrivée de l’étranger, plus il sonde le mystère inquiétant de l’exil de ce dernier et l’accuse de façon sourde. Il finit par renverser le rapport, parce que rôde autour de lui le fantôme de sa destitution. Il finit par se prendre pour la victime et par rendre l’autre responsable de ses propres désagréments. En somme, si l’hospitalité est un principe qui doit régir les manières de rencontrer, elle doit faire l’objet d’exercices incessants.

Mohamed Habib Salamouna
Prof de français
 

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