News - 16.05.2023

Des cultures irriguées aux cultures hydroponiques

Des cultures irriguées aux cultures hydroponiques

Par Ridha Bergaoui - La Tunisie subit de plein fouet le réchauffement climatique et connait depuis quelques années un épisode grave de sécheresse et de manque de pluie. Les réserves hydriques sont au plus bas et la distribution de l’eau est rationnée.

L’agriculture consomme près de 80% des disponibilités hydriques qui ne cessent de se réduire. Les périmètres irrigués trouvent beaucoup de difficultés à s’alimenter en eau. Dans les périmètres publics irrigués, des recommandations fermes ont été faites aux agriculteurs de ne pas cultiver des plantes trop gourmandes en eau et la plus grande partie des terres est abandonnée. Chez les privés, la plupart des puits sont pratiquement à sec et leurs propriétaires s’efforcent de les approfondir ou réaliser, clandestinement, des forages de plus en plus profonds pour pomper l’eau. Cette surexploitation des nappes est grave et s’accompagne d’une détérioration de la qualité de l’eau.

Comparée à une culture en plein champ, l’hydroponie présente l’avantage d’une importante économie d’eau, pouvant aller jusqu’à 90%. Elle peut constituer une excellente solution au manque d’eau dans les périmètres irrigués pour une production agricole intensive malgré des conditions climatiques défavorables.

Une vieille technologie remise à jour

L’hydroponie est une technique de culture hors sol où la plante est cultivée sans ou avec un substrat inerte (sable, billes d’argile, laine de roche…), reçoit la lumière naturelle ou artificielle, l’eau et les éléments nutritifs nécessaires (minéraux et oligo-éléments). Bien nourries et placées dans un environnement adéquat, les plantes connaissent une croissance et une productivité optimales.

Très ancienne, pratiquée depuis le temps des Aztéques, l’hydroponie connait de nos jours un renouveau avec l’intégration des nouvelles connaissances scientifiques et des importants acquis technologiques. Elle présente de nombreux avantages et de nombreux pays l’ont adapté pour des raisons différentes (manque de surfaces agricoles, manque d’eau, produits peu pollués, rentabilité intéressante, froid et neige durant une grande période de l’année etc.).

En Tunisie, du côté de Ghar El Melh, les agriculteurs pratiquent, depuis le XVIIe siècle une agriculture un peu particulière qui s’apparente en partie à l’hydroponie appelée « Ramli » qui signifie sable. Ils utilisent cette technique ancestrale, introduite par les andalous, pour cultiver de nombreuses légumes comme la pomme de terre, laitues, oignons… Sur ces terres sablonneuses, donnant sur la mer et qui s’étendent sur environ 200 ha, l’eau douce de pluie se trouve piégée au-dessus d’une couche d’eau de mer salée et remonte deux fois par jour poussée par les marées. Les agriculteurs exploitent la couche superficielle de sable (d’environ 40 cm) pour cultiver de nombreux légumes qui seront automatiquement arrosés grâce à la remontée périodique de la couche d’eau douce. Ce système ingénieux, original et unique au monde permet aux agriculteurs de cultiver durant toute l’année légumes et fruits d’excellente qualité sans aucun apport d’eau d’irrigation. Il a été inscrit, depuis peu, par la FAO en tant que Système ingénieux du patrimoine agricole mondial (Sipam)

De nos jours, les cultures hydroponiques sont largement pratiquées dans le monde. Des millions d’ha sont cultivés en tomate, concombre, poivron, épinards, haricots, plantes aromatiques et des fleurs coupées… L’hydroponie est très utilisée dans de nombreux pays, comme la Scandinavie, le Benelux, la Russie, le Brésil ou le Japon, qui n’ont pas de problème d’eau. D’autres pays, menacés par la désertification et la sécheresse, comme ceux du Moyen Orient (Arabie Saoudite, EAU, Palestine etc.), pratiquent l’hydroponie afin de produire toute une gamme de légumes et de fruits et se passer de l’importation.

Quoique le principe soit simple et unique, les systèmes hydroponiques, actuellement disponibles, sont multiples, diversifiés et de plus en plus automatisés pour une efficacité et une rentabilité maximales. Les cultures se font essentiellement dans des serres afin de protéger les plantes et se libérer des contraintes climatiques. L’ambiance (température, humidité, ventilation, lumière) peut être complètement et automatiquement contrôlée et réglée par ordinateur. De nombreuses variantes existent et se différencient selon, le type d’installation (un ou plusieurs niveaux), le système d’irrigation et le recyclage ou non de la solution nutritive (circuit ouvert ou fermé).

Avantages et inconvénients des cultures hydroponiques

Ci-dessous brièvement quelques avantages et inconvénients des systèmes hydroponiques.

1/ Les avantages

Economie d’eau (jusqu’à 90%)

Contrôle des conditions d’ambiance et cultures à l’abri des conditions climatiques défavorables

Pas de contrainte sol (physique, chimique ou parasitaire)

Apport optimum des éléments nutritifs et possibilités de recyclage de la solution nutritive

Faible risque de développement des maladies et faible utilisation de pesticides

Légumes et fruits beaux et faibles résidus de pesticides

Croissance rapide des plantes, densité et rendements élevés

Importantes possibilités d’automatisation et simplification du travail

Travail facile et agréable à l’intérieur des serres

2/ Les inconvénients

Couts élevés des installations

Besoin de connaissances et de savoir-faire importants

Surveillance et contrôle permanents nécessaires

Consommation et dépendance énergétique importantes

Pollution et déchets plastiques

Solutions nutritives couteuses

Adaptée uniquement à des espèces à racines courtes et de petite taille (salades, tomate, courgettes, fraise etc.)

Pollinisation par les insectes difficile

Possible pathologies hydriques véhiculées par la solution fertilisante

les variétés de plein champs pas toujours adaptées, l’utilisation de variétés spécifiques recommandée.

Qualité des produits issus de cultures hydroponiques

Avec ce type de culture, certains ont tendance à penser que les produits hydroponiques, cultivés sans sol et à l’abri du soleil doivent avoir nécessairement un gout fade et sans aucune saveur. En réalité les qualités gustatives des plantes, fruits et légumes dépendent essentiellement de la variété. C’est le sélectionneur qui veille à obtenir des produits dont les qualités conviennent aux différents utilisateurs (consommateurs, industriels, commerçants…). Cependant quelques sélectionneurs privilégient des qualités comme la résistance aux maladies, le rendement, l’aspect visuel, facilité de la récolte et la durée de vie du produit final… aux dépens des qualités organoleptiques. C’est à l’agriculteur de choisir la variété la plus appréciée par ses clients.

L’état de maturité a également un effet sur les qualités gustatives. A stade précoce moins de sucre et saveur, trop mûr le produit peut devenir impropre à la consommation. Pour un gout intéressant, le produit doit être cueilli à temps.

A part la variété végétale, et le stade de maturité, il est possible que les produits issus des plantes cultivées en plein air, mûris en plein soleil et trouvant dans le sol tous les éléments nutritifs nécessaires, soient plus savoureux.  Les plantes doivent recevoir suffisamment de lumière pour leur croissance et pour la synthétiser des sucres nécessaires pour des fruits et légumes savoureux et sucrés.

L’usage limité de pesticides et désherbants en hydroponie demeure, pour le consommateur un facteur important de qualité. La préservation de l’environnement et de la santé des ouvriers est un avantage écologique et de santé publique très appréciable.

Accompagner les agriculteurs dans la reconversion à l’hydroponie

Parmi les freins qui peuvent limiter le développement de l’hydroponie il faut citer particulièrement les couts très élevés des installations et des équipements, un besoin de connaissance et une maitrise technologique importante.

En effet, à côté de la serre indispensable, l’installation hydroponique comporte un ensemble d’équipements nécessaires pour le bon fonctionnement du système (système hydroponique, pompes et filtres, instruments de mesure et de contrôle, installations électriques, lampes…). L’idéal étant de disposer de serres complètement contrôlées où il est possible de maitriser toutes les conditions d’ambiance et de dépasser les contraintes climatiques. Afin d’alléger la facture énergétique, il serait important de valoriser l’énergie solaire et de compléter les équipements par des installations photovoltaïques adéquates et des groupes électrogènes pour mettre à l’abri les équipements des coupures électriques. Afin d’éviter la pollution par le plastic et les déchets des solutions nutritives, une attention particulière à l’environnement doit être exigée lors de la mise en place des exploitations hydroponiques.

Par ailleurs, en hydroponie, les cultures se trouvent à la merci de l’agriculteur et la réussite dépend de son savoir-faire. L’agriculteur doit maitriser d’une part les paramètres d’ambiance et d’autre part la qualité et la quantité des apports d’eau et des éléments nutritifs. Les besoins des plantes varient en fonction de la culture, du stade physiologique, de la production... Dans les cultures en plein champ, le sol joue un rôle tampon et représente un important et de réservoir d’éléments nutritifs. En hydroponie, l’équilibre est fragile et les marges d’erreur sont faibles. Des excès ou des carences en éléments nutritifs peuvent avoir des conséquences immédiates et considérables au niveau du développement des plantes et de la rentabilité économique de l’exploitation. Une formation adéquate et la maitrise des techniques sont nécessaires avant de se lancer en hydroponie.

La recherche, la formation, la vulgarisation et l’encadrement des agriculteurs sont des facteurs essentiels pour la réussite de l’introduction de toute nouvelle technologie. La création d’un centre technique spécialisé en hydroponie, à l’instar du Centre technique des cultures protégée et Géothermiques (CTCPG) à Gabes, celui de la pomme de terre et de l’artichaut (CTPTA) à Saïda ou celui de l’agriculture biologique (CTAB) à Chott-Meriem est très souhaitée. Ce centre technique aura les missions d’accompagnement des agriculteurs pour les aider à surmonter leurs difficultés techniques (choix du système hydroponique approprié, choix des variétés adaptés, systèmes d’irrigation et de fertilisation, lutte contre les ennemis des cultures et des pathologies végétales spécifiques…). Il aura également un rôle important dans la formation par l’organisation de journées d’information et de démonstration ainsi que l’élaboration de documents techniques de conduite et de référence des cultures en hydroponie.

Aider et soutenir les agriculteurs, par un système avantageux de prêts et de subventions, pour l’achat des équipements nécessaires à l’hydroponie (serres, systèmes hydroponiques, équipements de conditionnement et de contrôle…) est nécessaire.

La reconversion des périmètres irrigués, actuellement peu exploités en raison du manque d’eau, à l’hydroponie pourrait rendre la vie à toutes ces régions, jadis vertes et animées, et qui risquent de se désertifier et de se vider de leur population ou de muter en constructions et quartiers anarchiques.  Cette reconversion nécessite toutefois une volonté politique et de nombreuses mesures d’accompagnement dont certains ont été précédemment exposés. Il s’agit là du sort et de l’avenir de milliers de personnes qui vivent directement ou indirectement de l’exploitation agricole de ces terres (environ 420 000 ha dont 220 000 ha de périmètres irrigué publics et 200 000 ha de privés). Il s’agit également de légumes et fruits nécessaires pour notre alimentation de tous les jours et une question de sécurité alimentaire nationale qu’il faut absolument défendre et préserver.

Ridha Bergaoui

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