Fadhâ (Espace), nouvelle de Mahmoud Tounsi traduite de l’arabe par Tahar Bekri
Le Roi s’assit sur son trône avec la gravité avec laquelle s’assoient les rois… Avec tout le prestige et toute la majesté. Et maintenant ! Que va faire le Roi? Personne ne sait. Le Roi lui-même, ne le sait.
«Qu’est-ce que je vais faire maintenant?»
Sans savoir, le Roi se mit à jouer avec ses doigts en se demandant:
«Qu’est-ce que je vais faire maintenant? A quoi vais-je penser?»
Pendant qu’il était ainsi, pensant à quoi il allait réfléchir et jouant avec ses doigts, une idée lui tomba entre les doigts sans qu’il s’en aperçut. Il continua à jouer avec ses doigts et ses doigts à jouer avec l’idée qui s’emmêle et se complique. Ainsi - sans le savoir - le Roi se mit à penser à l’espace:
«L’espace se prolongea avec l’idée. Il grandit comme grandit l’homme puis devint plus grand que lui. Il marcha comme l’homme puis lui échappa. Il s’élargit comme les yeux de l’homme puis il les déborda. Il s’arrêta avec celui qui s’arrête et celui qui est arrêté. Il devint carré puis rectangle. Il n’était ni invalide ni pendu. Il devait seulement grandir. Il grandit à l’intérieur de lui-même. Il devait tomber. Il tomba au sein de lui-même. Il s’effondra sans bruit. Il se mit à bouger dans le néant. Il se remplit d’oubli et s’allongea au fond de lui-même ; obscurité, obscurité. Il se leva à l’intérieur de lui-même: lumière, lumière. Il grandit comme grandit la joie. Il grandit comme grandit la douleur. Puis les choses devinrent solides. Un silence immense les enroba. Elles se mirent à bouger au milieu de la pause continue. Sa gorge remplie de sa voix? l’étouffa. Ses nerfs finirent par danser dans la pause continue.»
Puis le Roi se demanda:
«Si tout cela était d’argile, nous n’aurions pu voir nos visages ni imaginer nous-mêmes dans une mémoire vide. Quelle grande inattention! Elle est passée. Sans couleur. Comme l’odorat ou le goût.
Où est la voix? Je n’ai rien touché. Les étourdis ont commencé à chanter. C’est la chanson de la négligence.»
Le Roi promena son regard longuement
Entre les déserts d’une mémoire vive qui se verse à travers des temps de bois, un homme était là, dansant à l’intérieur de la grande pause de cette grande signification. Il tombe dans l’éternité…Puis quoi?
Des ouvriers donnent des coups de marteau contre la surface de l‘eau… Des objets qui bougent, sans qualité ni quantité, décorent celui qui tomba au sein de lui-même. Il s’en évade. Le fugitif… Le fugitif est tombé où il faut, où il ne faut pas qu’il tombe, dans des pensées magiques d’un roi qui a peur de ses mains, d’un roi qui joue avec ses doigts, les doigts de ses mains qui jouent avec ses pensées qui s’emmêlent dans ses doigts…
Il reste ainsi à démêler ses pensées de ses doigts et doigts de ses pensées jusqu’à ce qu’il…
Fadhâ (Espace),de Mahmoud Tounsi
MTE, Tunis, 1973.
© Traduit de l’arabe par Tahar Bekri
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