News - 26.02.2023

De la cueillette des aliments à l’agriculture de précision

De la cueillette des aliments à l’agriculture de précision

Par Ridha Bergaoui - La mission principale de l’agriculture est de produire des aliments pour nourrir les populations. Après une période d’abondance et de surplus alimentaire, et dans un contexte de guerre et de crise mondiale, la question de sécurité alimentaire est de nouveau d’actualité. De nombreux pays connaissent des situations alimentaires critiques de sous-alimentation et de famine.

Dans les années à venir, la situation alimentaire mondiale risque d’être encore plus grave du fait que l’agriculture se trouve confrontée à de nombreux nouveaux défis auxquels elle doit faire face.

De la cueillette à la culture intensive, un long parcours

L’agriculture remonte à plus de 10 000 ans lorsque l’homme a commencé à se sédentariser et à domestiquer, pour ses propres besoins, aussi bien les plantes que les animaux. Plutôt que cueillir et chasser pour se nourrir, il s’est mis alors à cultiver les plantes et à élever des animaux. 

Depuis, d’énormes progrès ont été réalisés et les techniques de se développer tout en s’appuyant sur des connaissances scientifiques, fruits d’une recherche agronomique rationnelle. Des multinationales et industriels privés se sont impliqués dans la recherche, le développement et la commercialisation d’intrants agricoles nécessaires comme les engrais, pesticides, herbicides et autres produits chimiques et la mécanisation agricole. Les industries agro-alimentaires ont connu également de grands progrès et les produits fabriqués et commercialisés se sont diversifiés, popularisés et démocratisés.

Les avancées dans le domaine du transport, surtout maritime, et du commerce international ont facilité les échanges entre pays producteurs et consommateurs. Ceci a entrainé le passage d’une agriculture familiale de subsistance à une agriculture orientée vers l’exportation avec toutefois la dépendance des exploitations vis-à-vis des marchés internationaux et des intermédiaires.

La révolution verte

Initiée au Mexique au début des années 1960, la révolution verte consiste à l’intensification de la production agricole (dans une première étape le blé, riz et maïs) en s’appuyant sur un paquet technologique constitué de semences sélectionnées à hauts rendements et d’apport adéquats d’engrais chimiques et de produits phytosanitaires. L’irrigation et la mécanisation sont également deux éléments importants de l’intensification. Les progrès de cette démarche étaient spectaculaires et les productions agricoles ont connu un réel progrès. D’autres pays, d’Asie (Inde, Indonésie, Pakistan…) et d’Afrique du Nord, dont la Tunisie, ont suivi l’exemple du Mexique.

La révolution verte, avec surtout l’arrivée des semences hautement performantes (souvent hybrides et parfois OGM), a permis d’augmenter sensiblement la production des aliments, faire face au boom démographique et repousser la malnutrition et la famine dans de nombreux pays.

A part les céréales, d’autres produits agricoles ainsi que les élevages (surtout volaille et porcs) ont également été développés sur le même principe en faisant appel à des paquets technologiques entiers (intrants, mécanisation, irrigation).

Des retombées négatives de la révolution verte

La révolution verte est de nos jours contestée et les résultats nuancés. On l’accuse surtout de pollution et dégradation de l’environnement (dégradation des sols, pollution des nappes, diminution de la diversité biologique…) en raison de la surexploitation des ressources et l’usage excessif des produits chimiques.

La révolution verte, censée au départ aider au développement des pays pauvres, semble profiter beaucoup plus aux multinationales des produits chimiques (engrais et produits phytosanitaire), des firmes de sélection (surtout avec les semences hybrides), et les commerçants des produits agricoles nécessaires à l’alimentation du bétail (soja, le maïs…). Elle a entrainé l’abandon des variétés et des races locales (réputées peu productives) et le savoir-faire traditionnel. L’agriculture de subsistante, vivrière a laissé la place à la monoculture orientée vers les marchés nationaux ou internationaux.

En raison de nombreux dérapages et scandales fortement dénoncés par les médias (comme la maltraitance animale dans les élevages industriels, l’utilisation excessive des hormones et des antibiotiques, les fraudes et les nombreux scandales sanitaires comme la vache folle, la présence de contaminants et de pathogènes…), le consommateur garde une mauvaise perception des produits de l’agriculture intensive et des produits agroalimentaires hyperindustrialisés et ultra transformés. L’agriculture intensive, par ses produits douteux, est accusée de nuire à la santé du consommateur et son bienêtre et à l’origine de l’antibio- résistance et de nombreuses pathologies.

De nouveaux défis supplémentaires

La croissance démographique représente le premier défi sérieux. La population mondiale est passée de 6 milliards d’habitants en l’an 2000 à 8 milliards de nos jours pour atteindre 10 milliards en 2050. Avec l’amélioration du niveau de vie et l’urbanisation, la production agricole est appelée à augmenter au moins de 25% pour satisfaire les besoins alimentaires de la population mondiale. La disponibilité en terres agricoles représenterait le premier facteur limitant.

La mauvaise distribution des aliments pose également problème. Les pays industrialisés détiennent la plus grande partie de la nourriture et des richesses alors que les pays pauvres et moins développés souffrent de sous-alimentation et de famines.

Le second défi important serait le réchauffement climatique avec ses événements météorologiques extrêmes comme les sécheresses, les inondations et les tempêtes. Ces incidents climatiques auraient des conséquences graves sur les récoltes et les disponibilités alimentaires végétales et animales, aggravant ainsi la situation d’insécurité alimentaire des pays pauvres.

Par ailleurs, en rapport avec la hausse des prix du pétrole, de nombreux pays producteurs sont tentés d’utiliser les produits alimentaires à des fins énergétiques, et la production de biocarburants (biodiesel et bioéthanol) à partir des huiles végétales ou les sucres, ce qui représente une réelle menace pour la disponibilité et la sécurité alimentaires mondiales.

Les nouvelles alternatives

De nos jours et avec le réchauffement climatique et l’augmentation des prix de l’énergie et des intrants, l’activité agricole se trouve sérieusement menacée et l’existence de l’humanité également. L’agriculture doit faire preuve de résilience et de plus de durabilité. Elle doit faire face à de nombreux défis comme l’épuisement des ressources naturelles, la sécheresse, les contraintes environnementales, la faible rentabilité économique… Ces contraintes nécessitent des réponses adéquates, innovantes et une nouvelle approche du développement agricole.

La protection de l’environnement et des ressources seront des facteurs décisifs de cette nouvelle approche. Le sol étant indispensable pour toute production agricole, il est indispensable de lui accorder l’attention qu’il mérite. Dans un contexte de sécheresse et de rareté des précipitations, la bonne gestion des ressources en eau et de l’irrigation sont déterminants.

De nombreuses solutions sont proposées et développées. L’agriculture en mode biologique est la forme d’agriculture durable la plus courante. Ce mode de production se fait selon un cahier des charges qui interdit le recours aux semences et produits OGM, l’utilisation des engrais chimiques, phytosanitaires et vétérinaires de synthèse. Cette agriculture prône la complémentarité sol/productions végétales/élevage. Un organisme certificateur officiel et indépendant contrôle le respect du cahier des charges. Les produits de l’agriculture biologique ont trouvé beaucoup de succès auprès des consommateurs qui en demande malgré des prix plus élevés que pour les produits conventionnels.

D’autres formes d’agriculture durable respectueuses de l’environnement comme la permaculture, l’agroforesterie… sont expérimentés. Ces pratiques visent un bon niveau de production tout maintenant la bonne santé du sol, la protection de la biodiversité, la diversification des cultures et la qualité des produits.

Microorganismes et santé

Ces dernières années, les progrès scientifiques et techniques ont complètement bouleversé certaines de nos conceptions et croyances. Parmi ces conceptions la prise de conscience du rôle important des microorganismes.

En effet, alors que le 20e siècle a bien mis en évidence le rôle des microorganismes dans les différentes pathologies (ce qui a permis de mettre au point des antibiotiques et des vaccins nécessaires pour combattre les combattre), le 21e siècle a permis de démontrer le rôle important que jouent les microorganismes dans le bienêtre et la santé. Préserver la microflore et la maintenir équilibrée est un gage de bonne santé.

Aussi bien pour l’homme que pour les animaux, les études récentes ont montré l’importance et le rôle primordial de la microflore intestinale dans la préservation de la bonne santé et des performances. Cultiver et développer, grâce à une alimentation adéquate, une microflore intestinale saine et équilibrée est recommandé et essentiel.

Le sol, un organisme vivant à part entière

Jusqu’il y a peu de temps, le sol était considéré comme un simple substrat inerte de culture. De nos jours le sol est considéré comme un organisme vivant à part entière. Vers, insectes, champignons microscopiques, bactéries et autres microorganisme jouent un rôle important dans les propriétés physico-chimiques du sol, sa structure, sa richesse en matière organique, son humidité et sa capacité de rétention d’eau. Un bon état de santé du sol est gage de fertilité et de productivité.

Alors qu’on défendait jusqu’ici le travail multiple et répétitif du sol, en faisant appel à différents engins mécaniques qui remuent le sol, l’aèrent et le retournent, on s’est rendu compte que ces opérations nuisent à la faune et flore du sol, réduisent sa fertilité et favorisent sa mort et son érosion tant éolienne qu’hydrique.

Les nouvelles orientations recommandent de réduire le travail mécanique du sol et favoriser l’activité des organismes qu’il héberge. L’agriculture de conservation est un mode de culture de plus en plus pratiqué et apprécié pour ses nombreux avantages. Ce type d’agriculture, axée sur la préservation de l’état de santé du sol, s’appuie sur trois principes fondamentaux : un travail minimal du sol, des rotations des cultures et le maintien d’une couverture permanente du sol. Tout en protégeant la santé du sol, sa richesse en humus et sa fertilité, ces techniques permettent de réduire la consommation en intrants (carburant, engrais, eau…) le temps de travail de l’homme et des machines et une économie appréciable des couts de production.

La technologie au secours de l’agriculteur

La robotique et les objets connectés sont des outils modernes qui viennent aider agriculteurs et éleveurs et faciliter les tâches généralement salissantes, pénibles et répétitives. A l’intérieur des bâtiments et dans la salle de traite les robots nettoient, font la traite des animaux, suivent l’évolution du troupeau, l’alimentation, la santé et l’état physiologique des animaux ainsi que le cycle reproductif (chaleur, gestation, vêlage…).

Dans les champs, les tracteurs et les engins connectés permettent d’effectuer automatiquement à distance tous sortes de travaux (labours, semis…). Des drones, des robots et des capteurs sont capables de suivre l’état des cultures, l’homogénéité, la santé et les maladies, la distribution des engrais et des pesticides… De grosses économies d’eau d’irrigation peuvent être réalisées grâce à l’irrigation pilotée par ordinateur qui s’appuie sur un ensemble de capteurs placés au niveau du sol et des plantes.
Ces techniques de l’agriculture de précision permettent, tout en minimisant l’impact sur l’environnement, d’améliorer l’efficacité de la production agricole, une gestion précise des intrants et une réduction sensible des couts de production.

Agriculture durable, et plus particulièrement l’agriculture de conservation avec le semis direct, représenteront certainement la norme dans les années à venir. Le recours aux nouvelles technologies, le matériel agricole connecté, les robots et les drones serait tout à fait courant. Les techniques d’irrigation, pilotée par les ordinateurs et les capteurs, est la solution pour l’économie d’eau. Dans un contexte marqué par le réchauffement climatique et la nécessité d’augmenter la production agricole, ces nouvelles pistes pourront aider à répondre aux défis d’une croissance démographique mondiale importante, tout en préservant les ressources et l’environnement, assurer la pérennité des exploitations agricoles et répondre aux soucis de qualité et d’éthique du consommateur.

Ces nouveaux concepts permettront également d’alléger le travail des agriculteurs-éleveurs selon la démarche de plus en plus ambitionnée de nos jours par les sociétés modernes : « travailler moins mais plus intelligemment ».

Ridha Bergaoui

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