Opinions - 30.05.2022

Rakia Moalla-Fetini : Non à la troisième République, Prêtons serment à nouveau à la Constitution de 1959

Rakia Moalla-Fetini : Non à la troisième République, Prêtons serment à nouveau à la Constitution de 1959

Comme la majorité des Tunisiens, j’ai été parmi ceux qui ont applaudi la décision prise le 25 Juillet 2021 par le Président Kais Saïd de limoger le gouvernement et de geler les activités du Parlement(1). Une telle décision était due depuis longtemps car il était devenu clair que le cheminement de la Tunisie vers la démocratie a été dévoyé et qu’un changement de cap radical était devenu impératif. La démocratie sous le règne des frères musulmans avait tourné à de la délinquance politique. Leur corruption et leur incompétence simple et/ou délibérée ont ruiné le pays(2)

La Tunisie reste aujourd’hui confrontée à de redoutables défis, sociaux, politiques, économiques et sécuritaires, alors même que ses soutiens internationaux se font plus réservés. Ce contexte difficile peut être retenu à la décharge du président Kais Saïd, mais il ne saurait l’excuser. Il est en effet devenu clair que Kais Saïd n’est pas l’homme du changement espéré et que le processus dans lequel il a engagé le pays ne fait que perpétuer la crise : fuite en avant dans la gestion de la crise financière qui guette le pays, gaspillage de temps et de ressources dans des mises en scène qui prétendent « consulter le peuple » sur ses aspirations, tergiversations à ne plus finir pour réformer le système judiciaire et traduire en justice les coupables dans l’usurpation directe et indirecte de l’argent public, les assassinats politiques, les attentats terroristes, et l’envoi de jeunes Tunisiens auprès de Daech en Syrie, en Irak et en Libye. Sa toute dernière initiative, qui est d’organiser un referendum pour juillet 2021 par le Président Kais Saïd de limoger le gouvernement et de geler les activités du Parlement instaurer une troisième République sur les ruines de la deuxième, est la goutte qui a fait déborder le vase.

Il est ainsi grand temps de reconnaitre que le projet du ‘Printemps Arabe’ était vicié dès le départ. Jusqu’en 2010, et dans l’ensemble, la Tunisie avançait dans la direction salutaire que lui avait fixée Bourguiba, et avait réalisé des progrès réels sur tous les plans. Il est certain qu’avec le passage du temps, le régime avait commencé à s’essouffler et n’avait pas réussi à hisser le pays sur une trajectoire de développement plus inclusive et plus durable, ni n’avait réussi à renforcer les mécanismes de freins et contrepoids pour prévenir la propagation de la corruption sous ses multiples déclinaisons. Le ressentiment populaire né de ces manquements a nourri la révolte qui précipita la chute du régime de Ben Ali.

Mais en l’absence d’une alternative politique crédible, le pays fut  arraché de son ancrage historique naturel et livré à tous les vents ; les plus néfastes et les plus destructeurs sans doute étant l’idée fausse que la démocratie est un bien achevé qui peut être importé clefs-en-main, une compréhension infantile du concept de liberté, une conception anhistorique du développement économique et de sa relation avec le développement politique, un manque d’appréciation de la nécessité de se plier à l’ordre établi pour garantir la sécurité et la stabilité sans lesquelles il ne peut y avoir ni investissement, ni croissance, ni présent, ni futur.

Dans les annales de l’histoire, le printemps Arabe restera synonyme de décrochement dans la marche de libération et de progrès commencée depuis la guerre d’indépendance.    

Ce qu’il s’agit de faire aujourd’hui pour corriger cette errance historique c’est de nous réapproprier l’histoire de notre pays à commencer par la vision fondatrice de la République : libérer le peuple des chaines de la pauvreté et de l’ignorance, et promouvoir son émancipation et sa prospérité grâce à l’éducation, au travail, et à l’usage de la raison.

Cette vision fondatrice est née d’une longue lutte pour affirmer le droit de la Tunisie d’être libre, indépendante, et souveraine. Suite à la déclaration de l’indépendance en 1956, et à l’instauration de la République en 1957, la Constitution était venue sceller, en 1959, ce processus historique en un document qui sauvegarde pour la postérité cette vision fondatrice. Son importance et sa valeur inestimable ne résident pas dans les dispositions particulières qu’elle a énoncé sur l’organisation des pouvoirs mais bien dans le processus qui l’a enfantée : une guerre de libération au cours de laquelle tout un peuple s’est mobilisé pour réfléchir à son destin et se choisir une voie pour son futur. Cette Constitution, comme tout corps vivant, a évolué à travers le temps et doit continuer à le faire pour s’adapter et refléter les progrès futurs. Mais son texte original augmenté de ses anciens et futurs amendements doit rester le référentiel de l’identité de notre peuple, de son histoire, et de la manière dont il se projette dans le futur(3).  Le premier amendement qui s’imposera sera la révision de l’article 1er pour enlever toute ambiguïté sur le caractère purement civil de l’Etat.

Le fait qu’on se soit laissé berner pour accepter que cette Constitution soit abrogée et qu’elle soit remplacée par celle de 2014 ne nous honore pas. La Constitution de 2014 est nulle et non avenue : elle a visé à effacer la mémoire de notre histoire et de notre identité, et a été le moyen par lequel les frères musulmans ont usurpé le pouvoir en adoptant un régime parlementaire seul capable de garantir leur mainmise sur le pouvoir. En l’absence en leur sein d’un leader capable d’assumer l’exercice du pouvoir exécutif, ce régime leur a permis de gouverner le pays par le biais de coalitions gouvernementales, ce qui leur a permis à chaque fois de rejeter la responsabilité de leur échec sur leurs partenaires.

Les pères fondateurs de notre République ont vu juste quand ils ont opté pour un régime présidentiel dans lequel le pouvoir exécutif est confié à un président élu, dont les prérogatives sont tempérées par des contre-pouvoirs institutionnels et conditionnées par l’alternance démocratique. Ils ont compris que sans être la panacée, un tel régime était seul à même de permettre la mise en œuvre d’une stratégie de développement qui assure la prospérité au plus grand nombre et offre à tous la possibilité d’une vie digne. Ils ont compris que le stade de développement économique de notre pays nécessite des politiques de très long-terme qui soient adossées à des perspectives de développement décennales dans lesquelles les grandes priorités de l’Etat et les principaux axes de son intervention sont déterminés. Dans des économies de marché en voie de développement, des coalitions gouvernementales faibles et instables ont peu de chance de pouvoir diriger, guider et contrôler, de façon efficace, le marché.    

Le tapage médiatique autour de la Constitution de 2014 a pu faire croire à certains que cette Constitution élargit le champ des libertés individuelles et civiles. Il n’en est rien. Le verbiage de ses 28 articles sur les droits et les libertés n’ajoute rien par rapport à ce qui a été énoncé de façon élégante et concise dans les 12 articles de la Constitution de 1959 sur la question. En fait elle a éliminé un article important de la Constitution de 1959 sur l’exigence que nul parti politique ne s’appuie « dans ses principes, objectifs, activité, ou programmes sur une religion, une langue, une race, un sexe ou une région. »
De grâce, la faillite et la famine guettent notre pays et ceux qui vont en souffrir seront les plus démunis parmi nous. Sans plus tarder et sans plus tergiverser et polémiquer, prêtons serment à nouveau à la Constitution de 1959 et élisons un nouveau Président et une nouvelle chambre des députés(4).  Puis, donnons aux nouveaux élus l’ordre de s’occuper d’abord et avant tout de l’économie. Une fois qu’on aura réussi à remettre l’économie sur pieds et à lui insuffler une nouvelle vie, nous pourrons réfléchir de nouveau à faire avancer l’agenda du développement politique. Il n’y aurait pas meilleur moyen de commencer à le faire que d’élargir de façon effective le champ des libertés en affirmant le droit de tous les enfants Tunisiens à la même éducation de qualité.  Ce droit doit être affirmé avant tout autre droit car seul lui peut garantir les conditions nécessaires à l’exercice de tous les autres droits. Il n’y a point de liberté sans capacité d’action, et point de capacité d’action sans une éducation de qualité. 

Rakia Moalla - Fetini

(1) Voir ma lettre ouverte aux représentants de la communauté internationale, publiée sur les colonnes de ce journal le 12/8/2021.
https://www.leaders.com.tn/uploads/FCK_files/Lettre%20Ouverte%20aux%20Repre%CC%81sentants%20de%20la%20Communaute%CC%81%20Internationale.pdf

(2) Voir même lettre ci-dessus.

(3) vieillie à mesure que la vénération du peuple American pour elle augmente.

(4) La chambre des conseillers pourra suivre dans un deuxième temps.

 
 

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