Mohamed Sassi (sous la direction) Economie et relations internationales en Tunisie. Histoire et mutations nouvelles, éditions L’Harmattan 2021
Dans ce livre Mohamed Sassi réunit un ensemble d’articles qui ont meublé un colloque initié par l’Association Tunisienne d’Histoire Economique, organisé en mars 2019. En plus des travaux académiques, on y trouve des témoignages d’acteurs de politiques économiques.
Le domaine économique a fait l’objet de recherches menées par des géographes autant que par des historiens. Ce qui distingue leurs approches c’est qu’elles s’inscrivent dans un cadre pluridisciplinaire qu’impose l’appréhension d’un système déterminé par le social, le politique, de même que le mode d’organisation de la dynamique entrepreneuriale et concurrentielle à une époque déterminée.
L’approche pluridisciplinaire est revendiquée par l’un des contributeurs à ce livre, Ridha Shili qui évoque, entre autres courants disciplinaires de l’histoire économique, celui allemand né au milieu du XIXe siècle : « La doctrine historique allemande … s’est appuyée sur trois données fondamentales, réfléchir sur l’histoire et les traditions nationales, comprendre les structures politiques qui en sont issues et de là concevoir une économie politique qui respecte l’évolution historique et qui tire ses principes de la réalité nationale. » (p.70-71)
Shili souligne que ni une approche « stadiste », autrement dit évolutionniste, ni une approche quantitativiste dans l’étude de l’histoire économique ne semblent permettre une compréhension satisfaisante du cours de l’histoire économique. Les apports de la recherche restent sectoriels selon lui. L’économie étant un phénomène social total (Mauss), l’étude de son histoire est au carrefour des disciplines des sciences sociales et tire profit des méthodologies qu’elles ont développées (économie politique, sociologie politique, gestion des affaires, anthropologie, géopolitique). C’est ce que souligne Barjot dans son article sous le titre « un lieu de rencontre des sciences sociales » (p.40)
Une lecture transversale de l’ouvrage où Mohamed Sassi s’interroge sur la méthodologie à adopter pour l’étude de l’histoire économique, suggère que, au-delà des querelles d’école, la compréhension de l’évolution historique nécessite
• Une approche macro qui oriente l’investigation vers les politiques des Etats et les rapports de force qui dirigent ses choix stratégiques, le contexte géopolitique et la gouvernance internationale avec ses organisations qui suggèrent, voire imposent des lignes directrices pour la conduite des politiques nationales, les capacités de négociation des Etats en matière de relations économiques bilatérales ou multilatérales (à cet égard lire les contributions de Sioud et Chalbi)
• Une approche méso qui étudie les dynamiques économiques locales : d’une part, l’entrepreneuriat, les métiers traditionnels, l’économie sociale et solidaire, l’économie formelle et les modes gestion des entreprises générateurs de croissance ou de stagnation rentière, l’économie informelle qui fleurit hors des cadres réglementaires, l’innovation technologique et organisationnelle qui touche aussi bien l’administration publique que celle des entreprises, la montée du tertiaire…, d’autre part, les conditions des différentes catégories d’agents économiques dont les agriculteurs, les travailleurs dans les secteurs industriels et de services, les travailleurs précaires et leur répartition entre les divers secteurs.
Il faudrait ajouter à ces deux tendances de la recherche celle des formes d’organisation économique axée sur le territoire tels clusters, les districts industriels ou les technopoles et autres formes plus anciennes. A cet égard, les travaux de l’historien Ali Zouari en sont un exemple illustratif . Dans la conduite d’une recherche qualitative, il a été amené à considérer plus d’une dimension pour comprendre les ressorts de la prospérité de Sfax au XVIIIe et XIXe siècles : sa position géographique au carrefour du commerce avec l’Afrique subsaharienne et sur le chemin des pèlerins Marocains et Algériens, son organisation sociale, sa culture favorable à l’association, l’éthique religieuse qui impose la valeur de confiance dans les affaires. Zouari parle d’une époque où l’initiative était entièrement libre et où l’association était le moteur de la dynamique économique créatrice de richesse. Il fait l’inventaire d’une dizaine de formes d’associations entre citadins et ruraux entre sfaxiens, djerbiens, tunisois ou libyens…Le socle de ces associations consistait en des traditions ancestrales, des écrits et surtout des valeurs qui guidaient le choix des partenaires : « honnêteté, expérience, capacité, endurance, droiture et caractère conciliant considérées toutes comme essentielles pour une bonne réussite » (p.316)
• Une approche micro, celle que s’intéresse aux entreprises de production, financières ou de service, des formes de coopération, d’alliance et de concurrence, l’entrepreneuriat social.
• Ajouter à tout cela, l’historien de l’économie devrait être en mesure de saisir les signaux annonciateurs de virages structurels des systèmes économiques : les crises économiques certes mais aussi des orientations telles le courant de désengagement de l’Etat, la privatisation, la domination de l’industrie financière et la jonction entre finance-technologie-rejet du contrôle institutionnel que sont les cryptomonnaies, l’économie de la connaissance et les mutations technologiques…
Ce livre qui ne se limite pas à l’histoire économique tunisienne mais réunit des auteurs de plus d’une nationalité, s’adresse autant aux historiens qu’aux politiciens, économistes ou sociologues. L’un des conclusions à tirer après lecture de cet ouvrage, c’est que la prospérité économique ne s’obtient pas par l’application d’un modèle bien pensé s’il n’est pas en harmonie avec les spécificités d’un contexte multidimensionnel.
Riadh Zghal
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